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    Visualisation immersive et interaction haptique : une révolution pour les géosciences

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    Se déplacer virtuellement dans une structure géologique, simuler l'impact d'un aménagement... Tout cela est aujourd'hui possible grâce aux applications de réalité virtuelle développées pour les données géoscientifiques.

    Rempart du château de Saumur en fin de reconstruction.
    Photo : © BRGM / Jacques Vairon

    Le 21 avril 2001, une partie du rempart nord du château de Saumur, dans le Maine-et-Loire, s’est effondrée, démolissant plusieurs maisons situées en contrebas. Le BRGM (Bureau des recherches géologiques et minières) s’est alors vu confié une mission de conseil puis d’appui à la maîtrise d’ouvrage pour la reconstruction et le confortement de ce rempart.

    Vue du château de Saumur.
    Photo : © Marc Mongenet / Wikipédia

    Le château de Saumur est installé à la pointe d’un promontoire dominant le confluent de la Loire et du Thouet ainsi que la plaine environnante. On ne connaît rien du premier édifice (mentionné dans un texte de 968) construit pour protéger le monastère de Saint-Florent qui s’était installé sur le site une vingtaine d’années auparavant à la demande du comte de Blois, seigneur des lieux.

    En 1026, le comte d’Anjou, Foulques Nerra, s’empare du château qui restera aux mains des Plantagenêts jusqu’en 1202. Le donjon — ou tour maîtresse — construit au début du XIIe siècle a été identifié en 1993, à l’occasion de travaux menés dans la cour intérieure du château actuel. De dimensions imposantes (19m X 17m), ses murs épais (2,90m) étaient épaulés de contreforts. En 1202, le roi Philippe-Auguste confisque à Jean-sans-Terre les domaines plantagenêts continentaux. C’est le début de la lutte entre les Capétiens et les Plantagenêts qui ne s’achèvera qu’à la fin de la Guerre de Cent ans.

    Au début du XIIIe siècle, le donjon est entouré de quatre tours rondes reliées par des courtines. C’est de cette forteresse que l’armée capétienne conduite par Saint Louis, partira en 1230 pour la reconquête de l’Anjou sur les Plantagenêts.

    Pendant un peu plus d’un siècle, le château ne semble pas connaître de modifications. En 1351, le roi de France, Jean le Bon, donne le comté d’Anjou en apanage à son second fils, Louis. En 1360, Louis 1er devient duc d’Anjou. C’est à lui que l’on doit la transformation de la forteresse en château-palais. Il fait araser le donjon et exhausser la cour intérieure. Les tours cylindriques de la forteresse servent de base aux nouvelles tours polygonales, des corps de logis sont édifiés contre les courtines. De vastes salles se développent aux premier et second étages des quatre ailes éclairées par de nombreuses et grandes fenêtres. Les différents éléments de confort ainsi que les vestiges de décors retrouvés au cours des campagnes de restauration menées depuis le début du XXe siècle attestent de la somptuosité du château. La fameuse miniature du mois de septembre qui illustre les « Très riches Heures du duc de Berry » donne une image fidèle de l’édifice tel qu’il était au début du XVe siècle. Le roi René d’Anjou fait lui aussi réaliser quelques aménagements. À sa mort en 1480, Saumur et l’Anjou reviennent au domaine royal.

    C’est en 1589, lorsque Philippe Duplessis-Mornay devient gouverneur de Saumur (octroyée comme place de sûreté au parti protestant) que le château revient à la vie. Le nouveau gouverneur commence à faire édifier (du côté de la ville) la fortification que l’on voit toujours aujourd’hui autour du château. L’enceinte sera terminée en 1646 par le front nord. À la fin du XVIIe siècle, l’aile ouest s’écroule et la tour nord est en très mauvais état. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le château servira de résidence aux différents gouverneurs de la ville. Il abritera aussi des prisonniers sur lettre de cachet, puis des prisonniers de guerre (surtout des marins britanniques).

    Au début du XIXe siècle, le château devient, sur l’ordre de Napoléon, une prison d’État. Cette affectation le sauvera d’une ruine certaine, malgré les transformations qu’il subit afin de remplir son nouveau rôle. À partir de la Restauration (1814), le château est affecté au Ministère de la Guerre et devient un dépôt d’armes et de munitions. Les militaires resteront jusqu’en 1889. À ce moment-là, la Ville engage des discussions avec le Ministère de la Guerre afin de racheter l’édifice pour y installer le musée municipal. C’est chose faite en 1906. Les travaux de restauration commencent par la tour et l’aile nord. Le musée est inauguré en 1912. La tour est, l’aile est et la tour sud sont restaurées durant l’entre-deux-guerres. L’aile sud, restée dans l’état du XIXe siècle, est en cours de restauration depuis 1997. D’importantes trouvailles archéologiques y ont été réalisées. En avril 2001, l’écroulement du coteau entraîne l’affaissement du rempart nord-ouest. Commencée en avril 2004, sa reconstruction s’est achevée fin avril 2008.

    Du point de vue géoscientifique, ce malheureux incident a fourni les éléments nécessaires à l’élaboration d’un scénario qui concerne essentiellement le processus de modélisation géologique. L’accès aux données, l’interpolation des surfaces géologiques, la visualisation et l’examen des modèles, toutes ces étapes ont fait appel aux interfaces haptiques.

    L’analyse interactive de données scientifiques est problématique, en particulier pour les très gros volumes de données rencontrés par exemple dans les géosciences ou dans la simulation par calcul intensif. Dans ces domaines, le dépouillement et l’analyse des données souvent très diverses, l’intégration des modélisations, ainsi que la communication des résultats obtenus restent encore des points critiques.

    En effet, la taille et la complexité croissante des données — volume, hétérogénéité, distance — requièrent un renouvellement constant des outils qui doivent faciliter l’accès aux données à l’aide de ressources modulables. Ils doivent aussi en améliorer la perception, en exploitant davantage les capacités humaines (perception visuelle et haptique). Ces besoins, identifiés notamment par le BRGM, ont motivé son initiative « Terre Virtuelle », dont le but est de permettre l’accès à un maximum de données sur les sols et sous-sols, qu’il s’agisse par exemple de simuler l’impact d’un aménagement ou de se déplacer virtuellement dans une formation géologique.

    C’est dans ce contexte qu’est né le projet de recherche Geobench : visualisation immersive distribuée et interaction haptique appliquées aux données géoscientifiques. En termes d’équipements, ce projet exploratoire est basé sur un calculateur de type grappe de PC (PC reliés en réseau), une plate-forme de réalité virtuelle immersive (plan de travail virtuel également appelé workbench) et des dispositifs haptiques.

    Le partenariat mis en place pour le projet Geobench a fait appel à trois équipes de recherche, un éditeur de logiciel et deux utilisateurs finaux pour atteindre les objectifs fixés, chacun des partenaires ayant une mission bien précise.

    L’INRIA Rhône-Alpes-laboratoire ID et le laboratoire d’Informatique Fondamentale d’Orléans sont chargés du développement d’un intergiciel de distribution de calculs (FlowVR). La conception et le développement d’interfaces haptiques ont été confiés à l’équipe I3D de l’INRIA Rhône-Alpes. Le développement de nouvelles fonctionnalités dans le logiciel de visualisation scientifique Amira est la mission attribuée à la société Mercury/TGS. Enfin, c’est le BRGM qui se charge de la réalisation de démonstrateurs dans les domaines des géosciences et le CEA DAM Ile-de-France de la simulation haute performance.

    Le Château de Saumur, démonstrateur géoscientifique

    Modèle détaillé du château de Saumur.
    Image : © BRGM

    C’est en travaillant sur l’exemple concret du Château de Saumur que le projet Geobench a pu valider l’apport de ces outils de réalité virtuelle dans le domaine des géosciences.

    Un préalable à la modélisation géologique : accéder aux données

    Tout travail de modélisation géologique s’appuie sur des données — points de mesures, cartes, sondages, profils sismiques, etc. — souvent géo-référencées en 2D ou en 3D. Pour rassembler les données disponibles sur la zone d’étude, le géologue modélisateur réalise d’abord un travail assez fastidieux d’extraction dans des bases de données ou des systèmes d’information géographique (SIG), puis de conversions de formats de fichiers ou de systèmes de projection géographique différents. Et ce travail se complique encore plus avec l’inaccessibilité de certaines données.

    Développé par l’Open Geospatial Consortium (OGC), le concept d’interopérabilité des données géospatiales permet de s’affranchir de ces étapes de préparation en permettant un accès direct aux données via des serveurs respectant le protocole OGC. Les fournisseurs conservent alors les données dans leurs propres structures et les mettent à disposition des utilisateurs (les « clients ») sur des services Web. Selon le type de données requis, les clients vont être dirigés vers trois services différents :

    • le Web Map Service (WMS) pour les cartes sous la forme d’images
    • le Web Feature Service (WFS) pour les éléments géométriques de type point, polyligne ou polygone
    • le Web Coverage Service (WCS) pour les grilles, par exemple un modèle numérique de terrain

    Ces données sont livrées dans un format normalisé basé sur les langages XML et GML (Geographic Markup Language). À charge de l’utilisateur de les exploiter ensuite dans ses propres outils.

    Couplage d’un modèle de terrain avec les bases de données OGC.
    Durée : 0 min 57 s

     

    Le protocole OGC est aujourd’hui largement adopté, que ce soit par les éditeurs de systèmes d’information géographique ou par les logiciels de visualisation terrestre 3D comme WordWind de la NASA ou Google Earth. Le BRGM, pour sa part, est depuis plusieurs années promoteur de l’interopérabilité en France : via son portail InfoTerre, il met à la disposition de ses clients les données dont il a la charge selon le protocole OGC. On peut même dire que le BRGM, en tant que démonstrateur, a validé l’adéquation de ce type d’accès aux données dans un environnement de réalité virtuelle, une première !

    D’un point de vue plus technique, le processus se décompose en plusieurs étapes ayant nécessité des développements spécifiques dans l’outil de visualisation Avizo :

    • Définition interactive par l’utilisateur d’une zone d’intérêt sous la forme d’un rectangle
    • Envoi de la requête correspondante au serveur OGC de type WFS
    • Réception des points accompagnés de leurs attributs
    • Projection des points sur la surface topographique lorsque les points ne sont pas cotés en altitude
    • Visualisation puis interrogation des attributs des points

    Une première étape : la visualisation du château et de son sous-sol

    Visualisation interactive du Château de Saumur et de résultats de sondages.
    Durée : 0 min 47 s

     

    Un premier environnement virtuel a donc été réalisé. Il a permis de visualiser les principales données disponibles et la structure géologique du massif supportant le château. Une simple extrusion verticale des emprises au sol a suffi pour obtenir une esquisse du château et des constructions avoisinantes. Les informations sur la nature du sous-sol ont pu être recueillies grâce aux sondages. Ceux-ci ont permis aux géologues de distinguer trois types principaux de formations : des remblais anthropiques, des sables plus ou moins argileux et de la craie, dénommée localement tuffeau.

    Ces sondages sont ensuite restitués sous la forme de cylindres coloriés selon la nature de la formation. L’interpolation des points définissant les interfaces entre ces formations permet alors de définir des surfaces. Cette interpolation est basée sur des outils géostatistiques qui permettent de prendre en compte la variabilité spatiale du phénomène.

    Zoom sur la zone critique du château

    Le premier modèle obtenu s’est vite avéré insuffisant en termes de précision, notamment dans la zone d’arrachement du rempart, au pied de la tour Nord-Ouest. Cette tour a été affectée par l‘incident du 21 avril 2001 et il était crucial de bien comprendre son architecture avant d’entreprendre les travaux de consolidation.

    Cet arrachement a par ailleurs révélé des éléments de maçonnerie inconnus jusqu’alors. Un scan 3D laser, à l’intérieur et à l’extérieur du château, a permis de reconstituer la géométrie précise de la tour et de son environnement immédiat. Ce scan fournit dans un premier temps un semis de points (des millions) qu’il s’agit ensuite de transformer en éléments géométriques qui pourront être manipulés individuellement. Le modèle final intègre également les sondages et les surfaces géologiques. Il a par ailleurs été le support d’une modélisation géomécanique.

    Modèle détaillé de la tour Nord-Ouest du Château de Saumur.
    Durée : 0 min 54 s

     

    Ce modèle a évolué au cours du temps en intégrant les découvertes révélées par les travaux de restauration. Sa visualisation sur la plate-forme de réalité virtuelle du BRGM a contribué aux partages et échanges d’informations entre les différents intervenants du chantier de reconstruction (architectes, entreprises, experts BRGM), leur permettant ainsi de mieux comprendre les imbrications des éléments du château et son interaction avec le sous-sol.

    L’introduction de l’haptique dans la modélisation géologique

    La modélisation géologique est basée sur l’interpolation de points issus de l’interprétation de l’information fournie dans cette étude par les sondages.

    Or, bien souvent, la première interpolation ne donne pas satisfaction et le modélisateur entre alors dans un processus itératif au cours duquel il peut être amené à effectuer un certain nombre d’opérations sur le jeu de points afin de gérer des erreurs ou d’introduire sa connaissance du site. Il peut s’agir de supprimer un point manifestement erroné, de modifier la localisation d’un point pour rectifier une erreur d’interprétation ou de localisation, ou encore d’ajouter des points pour contraindre l’interpolation dans les zones mal reconnues.

    Édition interactive d’un modèle géologique 3D en utilisant l’haptique.
    Durée : 0 min 41 s

     

    L’introduction de ce travail d’édition dans un environnement de réalité virtuelle facilite énormément ces opérations de placement de points en 3D. Pour compléter cet apport, des interfaces haptiques ont été ajoutées pour mieux contraindre le positionnement des points, par exemple le long d’un axe vertical ou dans un plan.

    La connexion de l’interpolateur géostatistique du BRGM via l’intergiciel FlowVR, permet ensuite de visualiser immédiatement le résultat de cette édition des données.

    L’intergiciel FlowVR.
    Durée : 1 min 33 s

    Sentir une surface

    Utiliser un retour haptique donne la sensation de toucher les faces cachées. Pierre Thierry, géologue au BRGM, en a fait l’expérience lors de sa première utilisation du retour haptique.

    Première utilisation du retour haptique par Pierre Thierry, géologue au BRGM.
    Durée : 1 min 15 s

    Des prolongements avec la réalité augmentée

    Il est souvent difficile pour le géoscientifique qui travaille sur le terrain d’accéder aux bases de connaissances disponibles et surtout de les remettre en situation. Dans cet esprit, le BRGM a démarré début 2007 le projet national RAXENV (Réalité Augmentée en eXtérieur appliquée aux métiers de l’ENVironnement) soutenu par l’ANR, en partenariat avec le laboratoire Ibisc (Université d’Evry, CNRS), l’équipe Iparla (Labri, INRIA), la société Archivideo et la Lyonnaise des Eaux. L‘objectif de ce projet est de démontrer la faisabilité — technologique et d’adoption par les utilisateurs finaux — d’un système de réalité augmentée en extérieur, dans le domaine des sciences et techniques de l’environnement. Le Château de Saumur constitue l’un des démonstrateurs géoscientifiques de ce nouveau projet.

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    Jacques Vairon

    Responsable de l’unité Calcul, 3D et réalité virtuelle du BRGM (Bureau des recherches géologiques et minières).
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    Sabine Coquillart

    Directrice de recherche Inria, responsable de l'équipe i3D.
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    Odile Lausecker

    Conceptrice-réalisatrice au sein de l'équipe multimédia d'Inria.

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