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    Le modèle de pair à pair profite aux réseaux de capteurs très étendus

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    L’évolution de l’informatique a été marquée par différentes étapes dans la miniaturisation. Dernièrement, sont apparus d’infimes systèmes micro-électromécaniques, les réseaux de capteurs sans fil. De nouvelles applications pourraient émerger de ces systèmes, mais il reste encore de nombreux défis à relever...

    Exemples de capteurs.
    Photos : © Agence SUFRAMA / Brasil Gov. (en haut) ; © NASA / USA Government (en bas).

    Les réseaux de capteurs sans fil — Wireless Sensor Network (WSN) — ont largement envahi le marché des systèmes micro-électromécaniques ces dernières années. Les clefs de ce succès ? Leur faible coût, leur adaptabilité mais aussi leur composition : ils sont en effet constitués de dispositifs à la fois compacts et à faible consommation. Ces derniers, communément appelés poussières intelligentes ou encore capteurs, sont faits d’une plate-forme matérielle couplée avec un module d’acquisition permettant de capter et collecter des événements, d’analyser les traitements et de transmettre les informations recueillies dans divers environnements. Outre les capteurs eux-mêmes, les réseaux de capteurs sans fil possèdent le plus souvent des stations de contrôle qu’on appelle des nœuds-puits ou des stations de base. Ceux-ci ont plus de ressources matérielles et permettent de collecter et stocker les informations issues des capteurs.

    L’intérêt de la recherche et de l’industrie pour ce domaine n’a cessé de s’intensifier dernièrement. Les raisons en sont multiples : la perspective d’une excellente fiabilité de ces systèmes, leur précision, leur flexibilité, leur faible coût, leur facilité de déploiement, etc. Les caractéristiques des WSN permettent en outre d’envisager de nombreuses applications d’observation réparties dans l’espace : observation de l’environnement naturel (pollution, inondation, etc.), suivi d’écosystèmes (surveillance de niches d’oiseaux, croissance des plantes, etc.), contrôle militaire (télésurveillance de champs de bataille, détection d’ennemis, etc.), analyses biomédicales et surveillance médicale (détection de cancer, rétine artificielle, taux de glucose, diabètes, etc.)…

    Le déploiement de ces réseaux de capteurs sans fil soulève diverses questions. Quelle sera la spontanéité, l’adaptabilité du réseau ou encore la dynamicité de la topologie ?

    Le terme dynamicité est un anglicisme dérivé du mot dynamicity. Il s’agit pour un réseau des défaillances des machines ou des liens entre celles-ci, de leur mobilité dans le cadre des réseaux de capteurs. Cela concerne donc tous les facteurs faisant évoluer le graphe du réseau.

    Ces éléments restent encore à définir. Compte tenu du nombre potentiellement important de capteurs participants et de leurs ressources réduites, il paraît indispensable de développer des solutions entièrement décentralisées, répartissant la charge entre les participants et permettant de passer à l’échelle. De nombreux procédés de systèmes distribués, et plus particulièrement ceux issus du modèle de pair à pair (P2P), apparaissent adaptables aux réseaux de capteurs sans fil.

    Le modèle de communication pair à pair en particulier est doté d’une capacité qui lui est propre : le passage à l’échelle. Les systèmes reposant sur ce modèle — appelés systèmes P2P par la suite — sont totalement décentralisés, chaque nœud jouant à la fois le rôle de client et de serveur. La charge étant répartie sur tous les nœuds du système, augmenter le nombre de participants n’induit pas de goulot d’étranglement ni de point critique de défaillance, alors que ces phénomènes sont couramment observés lors de l’utilisation du modèle client/serveur. Par ailleurs, la vision uniquement locale des nœuds des systèmes P2P, synonyme d’une méconnaissance globale du système et d’une communication avec un sous-ensemble restreint de participants, rend avantageuse l’adaptation de ceux-ci aux WSN.

    La vision d’un capteur dépend du rayon de réception de son module de communication.
    © Yann Busnel

    Alors qu’un grand nombre d’applications mettent en jeu des réseaux de capteurs sans fil, ceux-ci ont plusieurs restrictions que ces applications doivent contourner. Par exemple, une faible puissance de calcul, une réserve d’énergie limitée et une bande passante réduite aux connexions sans fil entre capteurs. Un des principaux objectifs dans la conception de réseaux de capteurs sans fil est la transmission fiable de données en mettant l’accent sur la préservation d’énergie et la prévention de perte de connectivité (aucun nœud isolé par exemple). Ceci est assuré par le recours à une politique stricte de gestion d’énergie. En effet, la principale source de consommation d’énergie d’un capteur est l’utilisation du réseau sans fil via son module de radiocommunications.

    Des défis communs à tous les réseaux de capteurs sans fil

    Les protocoles de routage au sein des réseaux de capteurs sans fil sont influencés par plusieurs facteurs déterminants.

    Premier défi : une consommation d’énergie sans perte d’efficacité. Les capteurs utilisent leur réserve d’énergie à des fins de calcul et de transmission de données. Leur durée de vie dépend donc essentiellement de celle de leur batterie. Dans un WSN, chaque nœud joue le rôle d’émetteur et de routeur. La moindre défaillance énergétique d’un capteur peut donc changer significativement la topologie du réseau et imposer une réorganisation coûteuse de ce dernier. Le deuxième défi à relever, la tolérance aux fautes, souligne le fait que certains nœuds peuvent être défaillants ou inhibés à cause d’un manque d’énergie, d’un dommage physique ou d’une interférence, mais cela ne doit bien entendu pas affecter la globalité de la tâche du réseau de capteurs. En cas de défaillance, de nouveaux liens et routes doivent pouvoir être établis pour assurer la collecte des données. La redondance peut également être utilisée, tout en veillant à conserver une faible consommation d’énergie. Enfin, le troisième défi que les WSN doivent remporter est la couverture. Dans ces réseaux de capteurs, chaque nœud perçoit uniquement une vue locale de son environnement, limitée par sa portée et sa précision. La couverture d’un vaste espace déterminé est donc composée de l’union de nombreuses couvertures de petite taille.

    Les modèles de réseaux de capteurs présentés ici correspondent à des applications bien particulières. Le déploiement de nœuds par exemple est un facteur dépendant de l’application qui affecte grandement les protocoles de routage. Ce déploiement peut être déterministe ou aléatoire. Dans le premier cas, les capteurs sont placés manuellement et les données peuvent donc être acheminées via des chemins prédéterminés. En revanche, avec une approche aléatoire, les capteurs sont éparpillés (lâchés d’un avion par exemple), ce qui peut alors nécessiter une stratégie de groupement (clustering).

    La capture d’information et la couverture des données requises quant à elles, dépendent essentiellement de l’application considérée. Elles peuvent être classées selon différents modèles : en fonction du temps (surveillance périodique), des événements (réaction à l’occurrence d’un événement particulier), des requêtes (réponse à une demande d’une station de base) ou de manière hybride (combinaisons des précédentes approches).

    Dans les nombreuses études réalisées, tous les capteurs d’une application sont considérés comme homogènes : ils ont donc une même capacité de calcul, de communication et d’énergie. Néanmoins, en fonction de l’application, certains capteurs peuvent avoir des rôles différents, générant une architecture hétérogène. Dans un WSN hiérarchique par exemple, certains capteurs sont déclarés « chef » de leur groupe, ce qui leur permet de traiter le routage vers les stations de base. Étant donné que le nombre de capteurs déployés peut être de l’ordre de la centaine ou du millier, et vraisemblablement plus dans un futur proche, les algorithmes de routage doivent être capables de fonctionner efficacement avec une grande quantité de capteurs et de traiter un grand nombre d’événements sans pour autant être saturés.

    La plupart des architectures réseau reposent sur des capteurs statiques.

    Une architecture réseau décrit en fait la structuration d’un système informatique multi-postes en terme de composants et d’organisation de ses fonctions, permettant ainsi de faire communiquer un système d’informations.

    Pourtant, la mobilité des stations de base et/ou des capteurs est nécessaire dans de nombreuses applications. La capture peut être aussi bien statique (traque d’ennemis) que dynamique (surveillance de feux de forêts). Quant à la transmission de messages en provenance d’un nœud mobile ou vers ce dernier, il s’agit là d’un autre défi.

    Nombreux sont les WSN qui possèdent une densité importante de capteurs, excluant ainsi l’isolement de nœuds. Toutefois, le déploiement, la mobilité et les défaillances font varier la topologie du réseau, dont la connexité n’est pas toujours assurée. De nombreux capteurs peuvent générer de la redondance dans les mesures effectuées. L’agrégation de paquets similaires en provenance de différents nœuds permet de réduire le nombre de transmissions (suppression de duplicata, minimum, moyenne, maximum, etc.). Le traitement d’un signal peut également être effectué pour l’agrégation, par fusion de données (conformation de faisceaux, ou beamforming).

    Certaines applications nécessitent que la donnée soit transmise dans une certaine plage de temps, après quoi, elle devient caduque. Or, dans la plupart des cas, la durée de vie du réseau est favorisée au détriment de la qualité d’émission des données. Les protocoles de routage assurant une qualité de service et prenant en compte la gestion de l’énergie représentent un défi nouveau et stimulant.

    L’approche pair à pair

    Utilité du P2P : surcharge des serveurs sur Internet.
    © Yann Busnel

    Plusieurs approches permettant de construire un système issu du modèle de pair à pair ont récemment émergé, formant ainsi des systèmes distribués de grande taille ayant la capacité de passer à l’échelle. Contrairement aux approches client-serveur, les nœuds sont connectés directement entre eux par des liens logiques (au-dessus du réseau physique) et jouent potentiellement à la fois les rôles de client et de serveur. Ces systèmes permettent notamment d’agréger les ressources et les services de tous les nœuds du système. Chaque nœud ne possède qu’une connaissance locale du système, permettant ainsi de développer des applications ayant des propriétés d’auto-organisation et de tolérance aux défaillances particulièrement adaptées à la grande taille des nouveaux systèmes distribués.

    L’objectif des systèmes P2P est de tirer profit des ressources inutilisées des nœuds du réseau (mémoire, temps processeur, etc.). Un processus nécessitant un calcul considérable est divisé en de nombreuses petites tâches, chacune répartie sur les différents nœuds du réseau. Une unité centrale de coordination des tâches est le plus souvent utilisée pour diviser, répartir et collecter les résultats (Seti@home, Genome@home…).

    Les architectures pair à pair sont présentes dans de nombreuses applications. Parmi elles, certaines classes comme la communication et la collaboration par exemple, regroupent les systèmes fournissant une infrastructure de communication et de collaboration directe entre les différents acteurs du réseau, le plus souvent en temps-réel. Le système de messagerie instantanée Jabber en est un exemple.

    Par ailleurs, la plupart des systèmes P2P appartiennent à la classe d’application « distribution de données », laquelle comprend les systèmes et infrastructures conçus pour le partage de médias numériques et autres données entre les utilisateurs. La distribution de données P2P balaie un large spectre, partant d’un simple système de partage de fichier direct jusqu’à des systèmes complexes construisant une infrastructure de stockage distribuée permettant la publication, l’organisation, l’indexation, la recherche, la mise à jour et la récupération de données via KaZaA, Oceanstore, Pastry, CAN, Mnemosyne, etc.

    Un grand nombre d’applications issues des infrastructures pair à pair ont ainsi émergé, proposant divers services internet tels que la diffusion multipoint, la gestion des indirections, ou encore la protection contre les dénis de service. D’importants travaux ont été menés sur la conception de base de données distribuées. Philip A. Bernstein, du centre de recherche Microsoft à Redmond, et ses collègues, ont proposé le modèle relationnel local (LRM), dans lequel l’ensemble des données est stocké sur un réseau de pair à pair en de multiples bases de données locales, possédant des dépendances sémantiques entre elles. PIER par exemple, est un moteur de recherche grande échelle, construit au-dessus d’un réseau de pair à pair. D’autres propositions telles que Piazza (infrastructure de web sémantique) ou Edutella (meta-données et système de requêtes pour applications P2P) existent aussi.

    Des techniques pleines de promesses

    Les capteurs communiquent entre eux grâce au modèle de pair à pair.
    Photo © DIAL-ARRI / University of Texas at Arlington (UTA)

    La mise en œuvre des techniques pair à pair pour les réseaux de capteurs est un axe de recherche stimulant, prometteur et non trivial. En effet, les caractéristiques de connexions et de vision locale permettent de mettre en évidence les similarités de ces deux domaines. D’autre part, les faibles ressources des capteurs et leur voisinage imposé par leur portée de communication rendent difficile une application directe. Plusieurs facteurs entrent en jeu, notamment l’adaptation des méthodes P2P aux contraintes énergétiques, et ainsi, une maximisation de la durée de vie du réseau. Les systèmes P2P sont de manière inhérente auto-organisables, résistants aux défaillances et capables de passer à l’échelle. De nombreux axes de recherche émergent à la frontière de ces deux domaines et se focalisent actuellement sur des objectifs tels que la diffusion, l’agrégation, la collecte mais aussi la base de données physiques.

    La diffusion d’information dans les WSN se fait souvent par inondation (flooding) induisant une forte consommation d’énergie, surtout autour du point d’entrée de la donnée diffusée. L’utilisation d’un protocole épidémique P2P est une solution envisageable pour diffuser de manière équitable l’information tout en conservant une rapidité de convergence.

    Quant aux techniques d’agrégation de données, plusieurs existent déjà dans les réseaux de capteurs. Néanmoins, l’utilisation de techniques P2P dans l’agrégation en environnement à forte mobilité est un objectif encourageant.

    En environnement dynamique et mobile, sans matériel de localisation précise des nœuds — un GPS par exemple —, l’envoi des données vers la station de base est coûteuse car le plus souvent effectuée par inondation. Une possibilité serait d’intégrer une information sur chaque noeud, mise à jour de manière épidémique, permettant d’estimer la position de la station de base sans mécanisme coûteux (en temps, en énergie,…).

    Par ailleurs, un intérêt émergeant dans la communauté des réseaux de capteurs est la mise en place de bases de données physiques. Dans cette application, chaque capteur représente une entrée de la base de données, et les requêtes sur la base se traduisent par une collecte et/ou une agrégation de d’information provenant des nœuds participants. Dans ce cas, une base de données n’est plus la mutualisation de données physiques, mais ces dernières elles-mêmes forment la base de données. Par exemple, dans la gestion des stocks d’un grand magasin, le décompte des produits serait automatique, et continuellement à jour.

    Domaine émergent, aux frontières de l’étude des systèmes informatiques, des réseaux numériques et du traitement du signal, l’attrait pour les réseaux de capteurs sans fil s’accroît considérablement. Il a été présenté ci-avant les propriétés souhaitées de ces réseaux, tout en mettant en évidence leurs limitations physiques, technologiques, etc. L’avancée récente dans le développement de systèmes pair à pair et leurs similitudes avec les réseaux de capteurs ouvrent de grandes perspectives. L’intégration du modèle de pair à pair aux WSN est un objectif attrayant et prometteur. À l’heure actuelle, peu de travaux rapprochant ces deux domaines ont été publiés mais l’essor est déjà grandissant. En particulier, une nouvelle équipe de chercheurs a notamment été créée à l’IRISA de Rennes, pour étudier ce domaine. Parmi les défis présentés dans cet article, la diffusion et les bases de données physiques sont au cœur de mes recherches personnelles.

    Quelques références vous sont proposées pour en savoir plus sur les réseaux de capteurs.

    En anglais

    • J.N. Al-Karaki et A.E. Kamal, Routing Techniques in Wireless Sensor Networks : a Survey Wireless Communications, IEEE, vol. 11, n° 6, pp. 6-28, 2004.
    • M. Castro, P. Druschel, A.-M. Kermarrec et A. Rowstron, Scribe : A large-scale and decentralized application-level multicast infrastructure, in IEEE Journal on Selected Aeras in Communications, vol. 20, n° 8, 2002.
    • P. Bernstein, F. Giunchiglia, A. Kementsietsidis, J. Mylopoulos, L. Serafini et I. Zaihrayeu, Data management for peer-to-peer computing : A vision., in Proceedings of the Workshop on the Web et Databases, WebDB’02, 2002.
    • A. Rowstron et P. Druschel, Pastry : Scalable, distributed object location and routing for large-scale peer-to-peer systems, in Proceedings of IFIP/ACM Middleware, Heidelberg, Germany, 2001.

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    Yann Busnel

    Doctorant dans l'équipe ASAP de l'IRISA et moniteur au Centre d'initiation à l'enseignement supérieur (CIES) Grand-Ouest.
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