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    Annabelle Ballesta à la découverte des biomathématiques

    Médecine & Sciences du vivant
    Annabelle Ballesta a su très tôt qu'elle ferait des mathématiques. En cours de route, elle découvre les biomathématiques. Aujourd'hui, cette science pluridisciplinaire se trouve au cœur des recherches de la doctorante.

    Photo © Inria / Christian Tourniaire

    Lorsqu’elle passe son bac S, Annabelle Ballesta ne souhaite qu’une chose : faire des mathématiques. Elle effectue une prépa Maths Sup / Maths Spé puis elle choisit une école d’ingénieur spécialisée dans les mathématiques. À l’INSA de Rouen, elle a l’opportunité de partir pendant un an en Angleterre et c’est donc à l’université de Leeds qu’elle va découvrir l’application des mathématiques à la biologie. En Angleterre, les biomathématiques ont une place qu’elles n’ont pas en France. Pour preuve, chaque université a son cours de mathématiques appliquées à la biologie. Annabelle suit alors les cours du professeur Brian D. Sleeman, un « grand ponte des biomathématiques » qu’elle a eu la chance de côtoyer. Comme elle le dit sans fioritures, « j’ai juste été fascinée ! » Cette rencontre est décisive dans son parcours. Aujourd’hui, elle nourrit une véritable passion pour l’application des mathématiques à la biologie.

    À son retour en France, elle cherche à poursuivre dans cette voie. Mais là, les choses se compliquent car les biomathématiques n’y sont pas encore très développées. Elle décide de partir faire un master de mathématiques appliquées au Canada. Mais au niveau de la recherche, le manque d’interactions avec les biologistes l’incite à rentrer en France. C’est là qu’elle établit des contacts avec l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), qu’elle connaît déjà puisqu’elle y a fait un stage durant deux mois en troisième année de licence. Jean Clairambault, directeur de recherche au sein du projet BANG, lui propose alors une thèse en mathématiques appliquées à la pharmacologie qu’elle accepte sans tergiverser. « Ce qui m’intéressait, c’est qu’il y avait une application au cancer, donc à la médecine et donc une utilité évidente ! » Par ailleurs, l’originalité de l’approche mathématique et surtout la collaboration avec l’équipe médicale de l’INSERM U 776 Rythmes biologiques et cancers dirigée par Francis Levi, n’est pas pour lui déplaire.

    Pendant les premiers mois de sa thèse, son travail consiste principalement à consulter la bibliographie de référence en biologie et à se former aux manipulations expérimentales. Ce passage laborieux, elle le voit comme un investissement sur l’avenir. « C’est quelque chose, on choisit de le faire ou non. » Pour elle, les mathématiques et la biologie sont deux sciences complètement opposées. « En mathématiques, 2 2=4, c’est sûr. On cherche à proscrire tous les il semble que, il paraît que alors qu’en biologie, si tu ne commences pas ta phrase par il semble que, tous les biologistes te tombent dessus ! » Mais Annabelle ne se démonte pas pour si peu. Avoir une maîtrise des deux langages pour pouvoir parler aux chercheurs des deux domaines, c’est l’objectif qu’elle s’est fixé. Elle s’estime heureuse de faire partie de cette communauté qu’elle souhaite voir se développer. « Clairement, les gens qui font à la fois de la biologie et des mathématiques, il y en a encore trop peu en France. Pour arriver à faire parler des biologistes et des mathématiciens ensemble, il faut vraiment des gens à l’interface de ces deux sciences, comme ce que je suis. C’est impossible de travailler avec des gens que tu ne comprends pas. »

    Cette double compétence est l’aspect « novateur » de sa thèse. « C’est relativement rare qu’il y ait des laboratoires de biomathématiques qui soient rattachés à des hôpitaux ou à des équipes de biologie. » En appliquant des outils mathématiques à un problème ouvert en biologie pour générer des résultats nouveaux, Annabelle ouvre ainsi une voie jusqu’à présent peu explorée. Jongler entre les équations différentielles — qu’elle utilise pour décrire les réactions chimiques ayant lieu dans la cellule — et les cultures cellulaires, fait désormais partie de son quotidien. Néanmoins, pour les mathématiciens, travailler de façon étroite avec leurs collègues biologistes n’est pas encore une norme. Le problème selon Annabelle, c’est qu’il faut que ça le devienne. « La question que je pose dans ma thèse, je ne vois pas comment on peut y répondre de façon sérieuse sans avoir recours aux simulations numériques et il y a plein d’autres questions qui nécessitent que des mathématiciens s’intéressent vraiment à la biologie. Les biologistes aussi doivent être prêts à faire un effort de leur côté pour comprendre un peu les mathématiques. On ne leur demande pas d’être mathématiciens, juste un peu de comprendre. » C’est donc nouveau dans le sens où ça permet de répondre à des questions qui pour l’instant n’étaient pas franchement résolues.

    Optimiser l’administration des médicaments anticancéreux

    Après trois ans de thèse, et donc autant de formation en biologie, Annabelle estime avoir de bonnes bases dans les domaines biologiques qu’elle a abordés. Les organismes vivants ont tous des rythmes biologiques, celui des hommes est de type circadien, c’est-à-dire sur une période de 24 heures. Notre température va par exemple augmenter pendant la journée puis diminuer pendant la nuit. Les niveaux de certaines protéines et enzymes dans le corps vont également varier suivant le moment de la journée. « Lorsque ces protéines interagissent avec des médicaments, il paraît judicieux de chercher les moments où leurs niveaux sont propices à une efficacité maximum du médicament et surtout à une toxicité minimale. » Pour sa thèse, Annabelle s’intéresse à des médicaments anticancéreux actuellement utilisés en chimiothérapie. Le but ? Optimiser l’administration de ces médicaments de manière à trouver le meilleur moment pour les donner aux malades. En effet, ces médicaments ont des effets secondaires très importants, souvent limitants. L’Irinotecan, le médicament sur lequel elle travaille, est donné pour le traitement du cancer colorectal. Or l’un des principaux effets secondaires de ce médicament est une toxicité intestinale, ce qui provoque des diarrhées chez le patient. C’est donc un facteur limitant puisqu’il faut parfois arrêter le traitement sous peine de tuer le patient !

    Aujourd’hui, les scientifiques tentent d’optimiser les schémas d’administration. L’Irinotecan est ainsi administré à 4 heures du matin, cette heure optimale ayant été déterminée à partir d’expériences chez la souris. « Nous cherchons une raison au niveau moléculaire, à l’intérieur des cellules. Nous voulons savoir quelles sont les protéines responsables de ces rythmes, pour pouvoir cibler celles qu’il faudrait observer chez un patient. » Actuellement, l’équipe de chercheurs s’est focalisée sur l’Irinotecan : ils étudient toutes les protéines avec lesquelles le médicament semble interagir, donc toutes celles qui vont le transformer, le transporter, ou celles que le médicament va cibler. Comment procèdent-ils ? La première étape, c’est la culture cellulaire. Après avoir observé ce qui se passe dans ces cultures de cellules, les chercheurs essayent de modéliser mathématiquement la pharmacologie de l’Irinotecan. Le modèle mathématique va permettre de reproduire les quantités de protéines dans les cellules et ce qui arrive au médicament : est-ce qu’il entre dans une cellule ? Une fois dans la cellule, est-il transformé ? Est-ce qu’il va tuer les cellules ? etc. L’intérêt de la modélisation, au-delà de la compréhension exacte de ce qui se passe, c’est aussi, une fois qu’on a un modèle estimé proche de la réalité, de l’utiliser pour chercher des schémas optimaux d’administration. Les scientifiques utilisent ainsi des algorithmes d’optimisation qui leur permettent d’établir la meilleure façon de donner les médicaments anticancéreux et par conséquent, le meilleur moyen de tuer le plus de cellules cancéreuses tout en préservant les cellules saines.

    Le travail d’Annabelle est rattaché au projet européen Tempo. Ce projet vise à optimiser la tolérance et l’efficacité des traitements anticancéreux en tenant compte des rythmes biologiques de chaque individu. D’autres scientifiques de l’équipe INSERM U 776 ont effectué des expériences sur des souris et ont mesuré les mêmes protéines que celles mesurées en culture. « Ce qu’on veut prouver, c’est qu’en fait, pour un médicament donné, il n’y a pas une heure optimale d’administration mais une heure pour chaque patient car on a tous des rythmes différents ! » L’idée, c’est de trouver un schéma d’administration optimal pour chacun. Après la culture de cellules et les expériences sur les souris, la prochaine étape devrait être les patients. Mais il ne s’agit pour l’instant que des premiers balbutiements. Affaire à suivre…

    Le sujet de thèse d’Annabelle vous a intéressé ? Regardez le court-métrage qu’elle a réalisé dans le cadre du festival Les chercheurs font leur cinéma. Organisé par l’association Doc’Up — association des doctorants de l’Université Pierre et Marie Curie —, ce festival invite les doctorants de toute l’Ile-de-France à réaliser des courts-métrages expliquant le thème, la problématique ou les résultats de leurs recherches. Son film, intitulé « Soyez sympas, synchronisez ! » en clin d’œil à celui de Michel Gondry, « Soyez sympas, rembobinez », a été pour Annabelle un moyen de faire connaître son travail de recherche, notamment à ses proches, de manière légère et sympathique, tout en se formant aux techniques audiovisuelles.

    Visionner le court-métrage réalisé par Annabelle Ballesta – Durée : 7 min 05 s

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    Joanna Jongwane

    Rédactrice en chef d'Interstices, Direction de la communication d'Inria

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