Les Newsletters Interstices
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    Idée reçue : L’informatique, c’est pas pour les vieux !

    Culture & Société

    Permettez-moi de présenter le bien vieux monsieur que je suis : j’ai presque l’âge qu’aurait eu, s’il avait vécu, Alan Turing, qui a permis de nous faire entrer dans l’ère numérique et dont j’ignorais tout, il y a peu. Je suis sûrement de fait le plus ancien des lecteurs de ce journal internet qui s’appelle Interstices, et j’apprécie tout particulièrement le travail de démystification des idées reçues qui y est offert. Alors je souhaiterais à mon tour, si cela m’est permis, démonter l’idée reçue fort sotte que l’informatique ne serait pas pour les « vieux ».

    © Dessin : François Cointe.

    Tout d’abord, ce n’est pas si difficile que cela de s’y mettre à l’informatique, figurez-vous ! Même au crépuscule d’une vie. Des cours d’initiation à l’usage des machines et des logiciels sont maintenant proposés dans tous ces lieux qu’André Malraux appela des Maisons de la Culture, et qui survivent à ce jour sous d’autres noms. Oh bien sûr, aux grands âges, il faut bien de la patience. Mais n’est-ce pas ce que nous gagnons avec l’âge, justement ? Oui, les doigts enfoncent les touches du clavier bien plus lentement que le tic-tac de nos vieilles horloges, la souris sucre les fraises comme on dit, tandis que les yeux se fatiguent vite et surtout, surtout, la vieille mémoire oublie sans cesse ce que l’on tente encore de lui apprendre. C’est bien pénible, oui, mais – finalement – tout est un peu pénible à ces vieux âges, alors… pourquoi pas ?

    Avec ce « pourquoi pas » voilà que quelque chose de proprement merveilleux se produit. La mémoire s’effiloche ? Qu’à cela ne tienne, comme l’explique si bien Michel Serres lors de sa visite sur Interstices, voilà que l’informatique devient une béquille mémorielle, si vous me permettez le néologisme. Le vieux cerveau oublie, mais pas le fichier informatique. Alors voici mes bons mots, mes bons amis, mes belles images, et quelques précieuses musiques, à jamais devant moi, en tout cas pour ce qui est de leur reflet numérique. Je vous avoue que parfois, ces trésors au milieu des dossiers du système, je les égare et m’y égare, mais cela me fait une belle promenade au pays des souvenirs passés. Les mains tremblent et se trompent ? Qu’à cela ne tienne, le logiciel permet de me corriger sans relâche et sans me juger pour ces étourderies répétées. Plus de temps pour moi que pour vous ? Si je vous parlais de visu, je serais vite bien fatigué, je n’entendrais pas tout, et vous seriez bien vite lassé. Mais si je dialogue avec vous par ces courriels, alors mon temps et le vôtre ne sont plus prisonniers l’un de l’autre, je peux me reposer à loisir et lire et écrire à mon rythme. Et nous voilà de nouveau proches, de manière « asynchrone » disent les informaticiens, je crois, pour désigner cela. Et ce qu’ils appellent « accessibilité » permet à des gens dotés de basse vision et de mauvaise ouïe, de rester dans le siècle, de lire le journal en gros caractères à l’écran alors même que les bras deviennent trop faibles pour tourner les grandes pages de papier des journaux imprimés.

    Voyez-vous, ce que Gérard Berry appelle – non sans quelque emphase – la « révolution numérique », peut offrir à ceux qui sont entrés plus que tard dans le troisième millénaire, une véritable nouvelle vie. Mes courses ? Sur Internet bien sûr, de la nourriture aux biens culturels. Et sans bousculade ni peur d’être victime de ces tracas qui font honte et dont on ne parle pas mais que l’âge nous impose sans répit. Ma famille ? Omniprésente sur la toile pour sûr, toujours heureuse de partager quelque chose avec moi, quelle que soit la distance, et bien loin des corvées rebutantes de visites dans ce qu’il faut bien appeler « mouroir », pour ne pas mentir. Les jeunes, vous « sortez » comme on dit ? Moi aussi, sacrebleu ! Cinéma, voyages, concerts, expositions, certes virtuels, mais les corvées touristiques sont-elles vraiment plus plaisantes ? Et les voyages matériels nous offrent-ils vraiment plus ? Et je me suis même offert des… « surprise parties » sur ce site dit second-life. Ce qui m’a assez vite lassé, du reste, mais l’idée reste jolie. Vous êtes acteurs du monde d’aujourd’hui ? Moi aussi ! J’ai fait libérer des prisonniers politiques en mêlant ma minuscule signature au torrent humanitaire d’Amnesty. J’ai signé les pétitions qui défendaient le métier de chercheur. J’ai pleuré, cet été, Neda Soltani. Tenez, je suis même « écologique » : ordinateur portable qui ne consomme que 20 % d’énergie par rapport aux anciens modèles, plus de télé, plus de papier, beaucoup moins de taxi, moins de déchet, parcimonie. J’ai visité l’Île de Pâques sans la surpolluer. Je sais même économiser l’énergie numérique : je sais que chercher une définition sur wikipédia est bien moins coûteux pour la planète que sur Google, et vous : le saviez-vous ?

    Pourquoi dire tout cela ? Parce que j’ai un message à partager : tout ceci n’a été possible que parce que la chance m’a permis de comprendre l’informatique, pas uniquement de l’utiliser. Comment vous expliquer cela ? Au début, je ne faisais que bévue sur bévue. Tenez, j’imprimais puis re-scannais en toute bonne foi des textes pour en faire des copies, comme « avant ». Je n’avais pas compris que les contenus numériques se dupliquent à l’infini. Une autre source de mes bourdes : entre les serveurs distants, la mémoire locale à l’ordinateur qui disparaît lorsqu’on l’éteint, celle qui reste (sur des disques invisibles à l’utilisateur), les clés mémorielles (vous dites « clé usb ? » je crois) qui se branchent sur des prises, je ne comprenais jamais ce qui était volatil ou rémanent, accessible ou pas, selon que l’ordinateur était connecté ou non. Maintenant je saisis. Par ailleurs, certains courriels malveillants arrivaient à me duper, puisque je ne pouvais juger si leur contenu technique était mensonger (par exemple une perverse fausse alerte au virus qui proposait un remède qui était le virus lui-même !). Maintenant je ne suis plus une cible pour ces margoulins, parce que je comprends ce qui se produit. Plus généralement, je ne réalisais pas que les images, les sons, les mots, les cartes, etc, se codaient avec des nombres et se manipulaient de manière similaire, alors je restais perplexe et démuni dès que les logiciels variaient. J’ai aussi longtemps cru que la vertigineuse complexité du système informatique lui conférait une forme d’intelligence, en tout cas d’intentionnalité. Une illusion dont je suis libéré, grâce à quelques-uns des articles d’Interstices.

    Et je… oh excusez-moi, ma « petite fiancée » rencontrée sur Facebook (une jeunette qui a cinq ans de moins que moi, donc à peine le double de votre âge !) vient de me lancer un « ping ». Je dois vous laisser car elle est très jalouse et je lui ai promis que nous irions regarder ensemble les étoiles vues du pôle sud et admirer la Terre dans le ciel depuis la lune, grâce au « stellarium ». Oui, le ciel est une cathédrale pour cette bonne amie bantoue. Notez à ce propos que nous ne pouvons dialoguer qu’à travers des traducteurs mécaniques, ne parlant chacun que notre langue maternelle, ce qui est une source inouïe de quiproquos fort cocasses : ces outils marchent suffisamment mal pour convaincre définitivement qu’il faut bien de vraies intelligences non-mécaniques pour donner du sens aux messages numériques. Le ciel, vous disais-je ? Oh oui. Pour moi qui dois bientôt retourner à la terre, inextinguible est la soif de me tourner vers le ciel, fût-il numérique.

    Ce texte est paru sur Le Monde.fr dans la rubrique Chronique d’abonnés et publié ici avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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    Jean-Émile Meyer

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