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    L’épidémie du smartphone : prolifération et dissémination des composants électroniques

    Environnement & Planète
    Notre société utilise toujours plus d’appareils électroniques, cela entraîne une nette prolifération des composants électroniques et leur large dissémination. Mais de quoi exactement sont constitués ces appareils électroniques ? Et quels sont les impacts de ces composants sur l’environnement ?

    Cet article est le 2e volet de Sciences du numérique et développement durable : des liens complexes.

    La popularisation successive des ordinateurs, des téléphones portables, des lecteurs audio et maintenant des tablettes, des montres connectées et des capteurs d’activité personnels est une conséquence des avancées technologiques. Ces appareils électroniques ont de plus en plus tendance à être « connectés », c’est-à-dire qu’ils ont accès directement à Internet ou peuvent y accéder via d’autres appareils connectés. Une étude récente estime qu’en 2017, il y aura en moyenne 5 appareils électroniques connectés par personne, soit environ 20 milliards d’appareils électroniques connectés dans le monde.

    Prenons l’exemple du smartphone pour illustrer les problèmes induits par cette prolifération. Cet exemple est d’autant plus significatif que l’on a dépassé le milliard de smartphones vendus en une année en 2013, soit une augmentation de plus de 38% par rapport à 2012 (source IDC).

    Les matériaux qui composent l’électronique

    Une étude menée par l’UNEP en 2009 sur des données fournies par la société Nokia, fait état de plus d’une quarantaine de matériaux impliqués dans la fabrication d’un téléphone portable.

    Principaux matériaux composant un téléphone mobile.

    Principaux matériaux composant un téléphone portable (en orange).
    Source : UNEP, 2009.

     

    Des données plus récentes (2012) du même fabricant précisent les grandes familles de matériaux employés dans la fabrication d’un smartphone actuel. Les métaux dominent avec 44% du poids total de l’appareil (acier inoxydable, cuivre, zinc, aluminium et environ 0,1-0,2% de métaux précieux). Les plastiques représentent 32% (ABS/PC : Acrylonitrile Butadiène Styrène/Polycarbonate, PET : Poly(téréphtalate d’éthylène), PA : Polyamide, époxy). La batterie (composée de lithium et de cobalt, graphite, aluminium, cuivre) pèse 15% du poids total. Les matériaux en céramique s’élèvent à 8% (verre, autres céramiques). Enfin, les autres matériaux comptent pour 1%.

    La miniaturisation et les fonctionnalités toujours plus avancées de ces appareils ont conduit à une multiplication des métaux nécessaires à leur fabrication, à cause des propriétés spécifiques que certains métaux confèrent. L’explosion des volumes de production de ces équipements implique une augmentation importante des besoins en métaux ( 6% par an en moyenne sur les 15 dernières années par exemple pour l’indium dont la production est utilisée à 80% pour l’industrie électronique, selon l’USGS en 2015). Ceci a des conséquences fortes sur la raréfaction de certaines ressources naturelles, l’épuisement de ressources non renouvelables et plus généralement, sur l’exploitation de ces matériaux dont la demande a fortement augmenté. De plus, l’extraction de ces métaux entraîne le rejet de nombreux éléments toxiques et radioactifs. Outre ces impacts écologiques, l’extraction de matériaux rares peut avoir des conséquences géopolitiques importantes. La guerre civile en République Démocratique du Congo entretenue par l’extraction  et le trafic de coltan en est un exemple emblématique (voir le « Guide pour un système d’information éco-responsable », WWF, 2011). Le coltan est un minerai dont on extrait le tantale, utilisé comme conducteur dans les téléphones portables notamment.

    Et chaque nouvelle génération de processeur ajoute sa demande de métal, avec par exemple le hafnium qui serait une solution à la problématique de « courant de fuite tunnel » dans les prochaines générations de processeurs encore plus miniaturisés. Les contraintes sur l’augmentation de performance et la miniaturisation semblent, avec la technologie, bien incompatibles avec une réduction des métaux utilisés, tant en diversité qu’en volume. On verra par ailleurs que le recyclage des métaux rares, hormis les métaux précieux, est très loin de ce qu’on pourrait espérer.

    L’analyse du cycle de vie

    L’extraction des matériaux n’est pas la seule phase à prendre en compte pour mesurer l’impact lié à la fabrication de ces appareils électroniques sur l’environnement. Il est nécessaire de considérer tout le processus de fabrication et plus généralement, tout le cycle de vie des équipements, de leur fabrication à leur fin de vie.

    L’analyse de cycle de vie est une méthode d’évaluation environnementale qui consiste à analyser les flux (extraction de ressources, émission de substances) pour chaque étape du cycle de vie d’un produit ou d’un service : depuis l’extraction des métaux nécessaire à sa fabrication, en passant par la phase d’usage du produit, jusqu’au traitement du produit devenu déchet. Cette analyse est multicritère, c’est-à-dire qu’elle permet de chiffrer des impacts de différentes catégories : par exemple les gaz à effet de serre, mais aussi la biodiversité, la toxicité, la pression sur les ressources non renouvelables, etc. Grâce à cette technique standardisée, il est possible non seulement d’évaluer quelles sont les phases du cycle de vie ayant le plus d’impact pour un équipement donné (ou pour un service), mais également de voir si une mesure d’amélioration environnementale n’entraine pas un déplacement d’un type d’impact vers un autre type, éventuellement d’une autre phase du cycle. Cette méthode permet aussi d’identifier, parmi tous les composants d’un équipement, quels sont ceux qui ont le plus d’impact et pendant quel processus. C’est donc un outil d’évaluation précieux tant pour l’éco-conception des équipements que pour l’aide à la décision dans un objectif de réduction des impacts.

    Par exemple, concernant l’impact sur les gaz à effet de serre, les analyses de cycle de vie montrent que pour les serveurs, c’est bien la phase d’usage qui est prépondérante. En revanche, pour ce qui est des équipements des usagers et notamment pour les smartphones , la phase de fabrication a significativement plus d’impact que la phase d’usage en France. Ainsi la fabrication d’un smartphone peut représenter plus de 75% des émissions de GES sur l’ensemble de son cycle de vie, comme le reconnaît Apple. Ces indicateurs sont peu visibles du grand public, les rares industriels qui font réaliser de telles analyses préférant en très grande majorité opter pour des analyses simplifiées et donc se focaliser sur des indicateurs plus simples à calculer (par exemple le prélèvement de ressources non renouvelables, directement fonction des quantités de métaux présents dans l’équipement ou les gaz à effet de serre). Lorsqu’ils réalisent des analyses de cycle de vie complètes, celles-ci ne sont quasiment jamais communiquées au grand public.

    Le recyclage et la fin de vie

    démontage d'un téléphone portable en vue de son recyclage

    Démontage d’un téléphone portable en vue de son recyclage.
    Photo : Maurice Mikkers / Flickr – CC BY-SA 2.0.

    Concernant la fin de vie des appareils, le recyclage permet de valoriser des équipements en fin de vie. Mais nous sommes loin du concept de « l’économie circulaire » : aujourd’hui en Europe et y compris dans les pays riches dont la France, moins d’un tiers des équipements électroniques suivent une filière agréée de recyclage en fin de vie, selon le rapport de l’ADEME, « Equipements électriques et électroniques », octobre 2014. Un pourcentage non négligeable des smartphones se retrouvent ainsi dans les ordures ménagères et seront donc incinérés ou enfouis, ce qui implique pollution et perte définitive de métaux plus ou moins précieux. Par ailleurs, c’est autant de gaz à effet de serre qui ne seront pas économisés puisqu’il est plus « propre » pour la planète de recycler que d’extraire de nouveaux métaux.

    Selon l’étude de l’AFOM (Observatoire sociétal de la téléphonie mobile), en 2010, seuls 16% des Français ayant changé de téléphone mobile ont recyclé celui dont ils n’avaient plus l’usage, 16% ont donné l’ancien, 52% ont conservé le « vieux ». Les taux de recyclage des autres pays développés sont comparables.

    Pour autant, le recyclage n’est pas la panacée pour les appareils électroniques, puisqu’actuellement, les usines de recyclage des cartes électroniques (et on n’en compte pas plus de cinq dans le monde) récupèrent au plus 20 des 40 à 60 métaux différents présents dans un smartphone. Des progrès en la matière sont donc nécessaires pour pouvoir optimiser la fin de vie de ces nombreux appareils électroniques. Des progrès peuvent être également réalisés pour rendre ces appareils plus facilement réparables et adaptables, et ainsi allonger leur durée de vie ou leur offrir une seconde vie.

    Quant à la phase d’usage, c’est-à-dire la phase pendant laquelle nous utilisons ces appareils électroniques, qu’en est-il de ses relations avec le développement durable ? Ce sera l’objet d’un prochain article à paraître sur Interstices.

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    Françoise Berthoud

    Ingénieur CNRS au sein du laboratoire LPMMC (UMR 5493), directrice du Groupement De Service EcoInfo.

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    Laurent Lefèvre

    Chargé de recherche Inria, membre de l'équipe AVALON au sein du laboratoire de l'Informatique du Parallélisme (LIP, UMR 5668).

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    Chargée de recherche CNRS, membre de l'équipe Myriads à l'Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (IRISA, UMR6074)

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