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    Bitcoin, la cryptomonnaie

    Culture & Société
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    La cryptographie et la puissance des réseaux ont rendu possible l’existence de monnaies purement numériques et dépourvues d’une autorité centrale de contrôle.

    Une première version de ce document est parue dans le livre « Mathématiques et mystères » (chapitre 3), Éditions Belin, en octobre 2016.

    Une nouvelle monnaie purement électronique intéresse de plus en plus. Ne s’appuyant sur rien de tangible, le total des devises sorties d’un protocole cryptographique vaut, début 2018, l’équivalent d’environ 150 milliards d’euros. Le bitcoin a été proposé en 2008 et mis en œuvre le 3 janvier  2009 par un chercheur ou une chercheuse, ou peut-être plusieurs, dont l’identité est cachée sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. La logique de cette monnaie numérique et la confiance qu’elle inspire seront le but de notre analyse. Le sujet est passionnant du fait de l’originalité, du mystère et du succès de cette construction informatique ; il est important, car on a affaire à un nouveau type de monnaie susceptible de jouer un rôle central en économie ; et il est délicat, car personne ne sait ce que ce montage numérique va devenir.

    D’une certaine façon, toutes les monnaies sont électroniques : depuis longtemps, presque toutes les opérations bancaires se réduisent à des jeux d’écritures opérés dans les mémoires des ordinateurs. Cela signifie que l’on sait faire des systèmes informatiques robustes manipulant l’argent, même quand il s’agit de dizaines de milliards d’euros. Certes, les pannes, les bugs, les virus, les pirates informatiques existent, mais on réussit assez bien à s’en protéger : l’informatisation du stockage et du transfert massif d’argent n’a pas entraîné de catastrophes. Les crises financières comme celle de 2009 n’ont pas pour origine le dysfonctionnement ou la fraude informatiques, mais des erreurs d’analyse économique et financière commises par des humains, qui sont par ailleurs parfois trop voraces, voire malhonnêtes.

    Pas d’autorité centrale

    Aujourd’hui, toute monnaie repose sur une autorité centrale : une banque, adossée à un État ou à une association d’États. C’est aussi le cas de tous les systèmes de pseudo-monnaies électroniques privées, les monnaies « complémentaires » ou « alternatives ». Elles permettent des paiements par Internet (Paypal), le commerce au sein d’un jeu sur le réseau (le dollar Linden de Second Life) ou la fidélisation de la clientèle (les miles des compagnies aériennes, les points que votre supérette inscrit sur votre compte à chaque passage aux caisses, etc.).

    Les bitcoins sont conçus pour s’autoréguler. Le bon fonctionnement des échanges est garanti par une organisation générale que tout le monde peut examiner, car tout y est public : les protocoles de base, les algorithmes cryptographiques utilisés, les programmes les rendant opérationnels et les données des comptes.

    À tout instant, tout le monde peut savoir combien il y a de bitcoins sur chaque compte existant et participer à la vérification des nouvelles transactions. Cette transparence totale n’empêche pas une sorte d’anonymat, les propriétaires des comptes n’étant pas tenus de se déclarer. C’est presque un paradoxe : tout mouvement de bitcoins est public et, pourtant, l’anonymat des détenteurs et détentrices est protégé.

    Le bitcoin a été défini en 2008 par un personnage actuellement anonyme au nom d’emprunt de Satoshi Nakamoto, qui dit avoir travaillé deux ans à la conception de sa monnaie. Une grande traque se déroule sur Internet pour identifier le personnage. On analyse la façon dont il s’est exprimé en anglais, on fait des listes de personnes pouvant avoir les compétences requises… et on spécule.

    L’anonymat des utilisateurs et utilisatrices des bitcoins est assuré par le fait que seuls les numéros et les contenus des comptes sont nécessaires au maintien de la cohérence du livre des comptes (la « Blockchain »). La clé privée d’un compte assure son propriétaire que lui seul pourra dépenser l’argent qui s’y trouve. En théorie, donc, l’anonymat des détenteurs et détentrices de comptes est assuré. Cependant, l’anonymat n’est pas absolu. D’une part, on peut suivre le déplacement des bitcoins d’un compte à l’autre et ainsi en déduire des informations sur le propriétaire unique d’une série de comptes visiblement gérés par une seule personne. De plus, au moment de transformer des bitcoins en euros ou en une devise classique (ou l’inverse), l’anonymat devient assez difficile, car les plates-formes d’échanges doivent connaître l’identité de celles et ceux qui les utilisent.

    Des chercheurs et chercheuses, dont Sergio Lerner, ont étudié le cahier de comptes du bitcoin et conclu que S. Nakamoto détient l’équivalent d’environ cinq pour cent des bitcoins émis à ce jour. Il est en effet à peu près certain qu’au lancement de la monnaie, Nakamoto fut seul à « miner » les bitcoins pour se constituer un pécule personnel et que son pécule est regroupé sur quelques comptes en nombre assez limité.

    L’invention des bitcoins aurait permis à Nakamoto de se constituer une fortune de l’ordre de plusieurs milliards d’euros. Cette fortune sera difficile à remettre sur le marché sans dévoiler son identité, à moins de mettre en action des techniques de brouillage faisant perdre sa trace !

    La possession des bitcoins est matérialisée par une suite de chiffres et de lettres qui constitue un compte. Une personne peut détenir plusieurs comptes. Le compte comporte le montant en bitcoins de l’argent qu’il contient, une clé publique qu’on peut laisser circuler et une clé privée qui doit rester secrète, car quelqu’un qui la connaît peut dépenser l’argent du compte.

    Tout support convient pour conserver la suite de symboles constituant votre compte : papier, clé USB, la mémoire, etc. Grâce à des logiciels adéquats appelés porte-monnaie, vous pouvez gérer votre compte sur votre ordinateur ou votre téléphone. Nombre de ces logiciels sont développés dans le cadre de projets open source : les programmes ne sont pas secrets et le contrôle de l’activité est toujours possible, tout comme la contribution en vue de leur amélioration.

    Pour avoir des bitcoins sur un compte, il faut soit qu’une personne détenant des bitcoins vous en ait donné, par exemple en échange d’un bien, soit passer par une plate-forme informatique qui convertit des devises classiques en bitcoins, soit les avoir gagnés en participant aux opérations de contrôle collectif de la monnaie (nous verrons plus loin comment).

    La gestion d’un compte doit être très soigneuse. Si vous le perdez en l’effaçant par mégarde ou si vous oubliez le code secret qui permet d’y accéder, alors son contenu est perdu, comme quand vous lancez par-dessus bord un porte-monnaie réel au milieu de l’océan. De nombreux bitcoins ont ainsi été perdus en raison de l’imprudence ou de la négligence de leur propriétaire. Il n’est pas impossible non plus de se faire voler les bitcoins détenus par un compte, par exemple à l’occasion d’une intrusion dans votre ordinateur par un ou une pirate informatique. Pour éviter cela, certains comptes contenant d’importantes sommes en bitcoins sont gardés sur des ordinateurs non connectés au réseau ou éteints. Des clés USB spécialisées (comme le portefeuille sécurisé Ledger Nano S par exemple) permettent aussi de ne pas laisser la clé secrète d’un compte présente dans votre ordinateur quand vous ne l’utilisez pas.

    La cohérence des comptes, et donc la solidité de la monnaie bitcoin, se fondent sur un principe général de la théorie Money is memory de l’économiste américain Narayana Kocherlakota. Ce principe s’exprime ici sous la forme suivante :

    • toutes les transactions faites depuis le début des bitcoins, le 3 janvier 2009, sont publiques et, à chaque instant, la somme totale des bitcoins émis est connue de tous, ainsi que le contenu de chaque compte (mais pas le détenteur ou la détentrice de ce compte) ;
    • seule une personne qui connaît la clé secrète d’un compte peut dépenser son contenu en envoyant tout ou partie de ce dernier à un autre compte, et  ce de manière publique, ce qui permet à l’ensemble de la communauté de connaître instantanément le contenu de chaque compte ;
    • toutes celles et tous ceux qui le souhaitent peuvent participer au calcul général de la répartition des bitcoins entre les comptes, cela à l’aide de logiciels (libres et gratuits) dont la correction est contrôlable par tout le monde.

    La cryptographie à clé publique n’est pas utilisée ici pour cacher de l’information, mais pour signer les transactions.

    Un protocole de signature à double clé est la donnée de deux fonctions f et g permettant de signer les messages et d’interpréter les signatures. Ces fonctions sont connues de tous. Nous ne nous préoccupons pas ici de la teneur du message, mais seulement de son identification. À Alice sont associées deux clés, Apri (clé privée) et Apub (clé publique). Ce sont des suites de chiffres. Apub est accessible à tous, mais la clé Apri n’est connue que d’Alice. Il est impossible en pratique de déduire Apri de la connaissance de Apub. Les deux fonctions f et g servent à signer un message et à lire la signature. Soit M un message à signer. Alice applique f aux données Apri et M : f(Apri, M) = M’. Ce sera le message signé par Alice. Toute personne ayant en main M’ et connaissant la clé publique d’Alice vérifiera que c’est bien Alice qui a signé le message : pour cela, elle appliquera la fonction de lecture g aux données Apub et M’, ce qui donne M, car g(Apub, M’) = M. Le fait qu’il soit nécessaire d’appliquer la clé publique d’Alice à M’ pour prendre connaissance du message empêche toute falsification du message M signé. Il est parfois commode pour Alice de transmettre à la fois M et M’, M’ servant seulement à contrôler pour ceux qui le veulent qu’Alice a bien signé M avec sa clé privée. Il existe de nombreuses façons de construire les fonctions f et g, mais la monnaie bitcoin est fondée sur la cryptographie à courbes elliptiques. La courbe employée est celle notée secp256k1. On aurait pu utiliser l’algorithme RSA, plus connu, mais il nécessite des clés plus longues. La sécurité du système Bitcoin repose sur l’inviolabilité de la signature.

    Toute transaction est irréversible, sauf accord explicite des deux parties contractantes pour réaliser une transaction inverse. Quand vous avez dépensé l’argent d’un compte, personne n’a autorité pour demander à celle ou celui qui a reçu l’argent de le rendre. C’est là une grande différence avec les monnaies numériques à autorité de contrôle centralisée où, assez fréquemment, des transactions sont annulées, parfois plusieurs jours après leur réalisation, ce qui donne lieu à toutes sortes d’escroqueries.

    L’absence d’autorité centrale et l’anonymat des comptes font qu’il sera très difficile d’agir sur l’individu qui détient le compte ayant reçu vos bitcoins… même si cette personne ne vous livre pas l’achat que vous pensiez régler. Ce système simplifié des bitcoins a une faille qui a contraint son inventeur ou inventrice à ajouter une série de dispositifs cryptographiques au mécanisme de base. La faille est que la ou le propriétaire d’un compte pourrait tenter de dépenser deux fois l’argent qu’il contient.

    Ces doubles dépenses seraient impossibles si les échanges étaient instantanés sur le réseau et si chaque propriétaire d’un compte participait au calcul continu du contenu de tous les comptes : sous cette hypothèse de connectivité totale et parfaite, celle ou celui qui recevrait l’argent d’un compte déjà vidé (ou insuffisamment pourvu) refuserait la transaction, qui serait simultanément considérée invalide par la communauté.

    Des améliorations

    Malheureusement, les échanges électroniques ne sont pas instantanés, et certaines parties d’un réseau sont parfois temporairement déconnectées du reste. De plus, participer à la vérification continue de toutes les transactions et au recalcul permanent du solde de la totalité des  comptes n’est pas obligatoire car cela demande une grande puissance informatique et beaucoup de mémoire. Le modèle reste encore à perfectionner.

    Les améliorations se fondent sur une série de protocoles qui rendent la monnaie bitcoin résistante aux pannes du réseau ou de certaines machines et aux tentatives de manipulation de la monnaie ou de tricheries (dont les doubles dépenses). Ces perfectionnements rendent aussi facultative la participation au contrôle global des comptes ; pour éviter que trop peu de nœuds du réseau participent au contrôle, un système de rémunération est prévu. Ce délicat agencement a étonné les spécialistes et prouve que l’inventeur des bitcoins est un ou une cryptologue averti ou un groupe incluant de remarquables cryptologues.

    Cette monnaie ne tient que par la cohérence et l’accord unanime de celles et ceux qui y participent et s’entendent sur le contenu de chaque compte, que rien ne matérialise et qu’aucune autorité ne garantit. La construction logicielle et cryptographique doit donc assurer par elle-même que personne ne puisse augmenter le total des bitcoins détenus, ni modifier des comptes, sans que tout le monde ne s’en aperçoive rapidement. Il n’y a pas de police ; la conception même de la monnaie doit donc empêcher la fraude et les dysfonctionnements. Celle de « Satoshi Nakamoto » y parvient.

    Le scepticisme sur la robustesse de la nouvelle monnaie s’atténue. La meilleure preuve est que la monnaie a tenu depuis sa création, malgré toutes les attaques qu’elle a subies. C’est pourquoi la valeur d’un bitcoin a pu dépasser 10 000 euros en 2017 (mais le bitcoin fluctue beaucoup… il vaudra peut-être moins quand vous lirez ce texte !).

    Une page toutes les dix minutes

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    L’amélioration du modèle simplifié consiste à créer un cahier de comptes (dont le nom technique est Blockchain) qui est complété progressivement par ajout de nouvelles pages de transactions (nommées blocs) toutes les dix minutes environ, chaque ajout d’une page étant validé par la communauté qui participe à la gestion et à la surveillance décentralisée des comptes. Pour récompenser cette vérification, un tirage au sort désigne toutes les dix minutes environ celle ou celui des participants qui ajoute la nouvelle page au cahier de comptes, et qui reçoit pour cela une rémunération sous forme de bitcoins créés ex nihilo (12,5 bitcoins depuis juillet 2016). Lorsque la nouvelle page est ajoutée au cahier de comptes, les transactions qui y apparaissent sont validées. Cette création de bitcoins est la seule possible, et tous les bitcoins existants sont apparus de cette façon.

    Lors d’une transaction en ma faveur, mon ordinateur connecté au réseau consulte le cahier de comptes et vérifie que le porte-monnaie qui m’envoie des bitcoins ne les a pas déjà dépensés. Cependant, à cause de la possibilité d’une double dépense simultanée, une transaction n’est considérée comme valide que si elle apparaît dans le cahier de comptes. Par conséquent, pour être assuré de l’irréversibilité (par exemple avant d’envoyer le livre qu’on vient de vous acheter en vous faisant parvenir un paiement en bitcoins), il faut attendre dix minutes ou un peu plus pour voir sa transaction sur la nouvelle page du cahier. La non-transmission instantanée des messages a pour conséquence que, parfois, deux ajouts de pages au cahier se feront presque simultanément dans deux parties éloignées du réseau, créant temporairement un dédoublement du cahier de comptes. Les deux versions peuvent à ce moment-là contenir une dernière page sensiblement différente, ce qui rend alors possible une double dépense. L’événement est rare, mais comme il est possible et inévitable à cause de l’imperfection des communications, un procédé de remise en ordre du système est prévu. Les deux cahiers continueront chacun de leur côté à se voir ajouter des pages toutes les dix minutes environ. Le cahier le plus riche en calculs (en un sens technique lié aux preuves de travail, expliqué plus loin) est considéré comme le bon. Cette règle, traduite dans les programmes de vérification des comptes, conduit à l’élimination de l’autre cahier et à la reconstitution d’un état cohérent du système, où ne persiste qu’un seul cahier et où les doubles dépenses sont impossibles.

    Ces ennuis temporaires, rares mais inévitables, dans la gestion du cahier de comptes ont pour conséquence que pour s’assurer de la validation définitive d’une transaction (c’est important dans le cas de grosses sommes), il faut attendre non pas dix minutes, mais plusieurs fois ce délai. On considère qu’une heure produit une garantie parfaite.

    Ruée vers l’or numérique

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    La désignation du compte gagnant des 12,5 bitcoins, toutes les dix minutes, se fait par un processus cryptographique qui en assure la parfaite honnêteté et surtout une totale imprévisibilité et « infalsifiabilité » (il est impossible de manipuler le choix du compte crédité). Le tirage au sort vous donne d’autant plus de chances de gagner que vous disposez de plus de puissance de calcul. Plus vous acceptez de consacrer des ressources de calcul à tenter de gagner, plus vous augmentez vos chances de gagner. Le travail fait par vos machines pour tenter de gagner porte le nom de minage, par analogie au travail dans une mine qui conduit les personnes qui ont de la chance à trouver de l’or.

    Au cours actuel, participer à ces tirages au sort (et donc participer au contrôle général des comptes) est très tentant. Du coup, les « mineurs de bitcoins », comme ils se nomment, se sont multipliés, ce qui renforce le système de contrôle général des comptes. Les mineurs de bitcoins ont progressivement perfectionné leurs outils avec l’espoir d’augmenter leurs chances de gagner. Dans un premier temps, les mineurs ont programmé des cartes graphiques pour effectuer, le plus rapidement possible, les calculs demandés par le minage. En effet, les cartes graphiques disposent d’une puissance importante et on peut la détourner à d’autres fins que le simple traitement des images numériques. Aujourd’hui, les cartes graphiques ne suffisent pas pour avoir de bonnes chances de gagner, car, à mesure que plus de mineurs se sont mis à jouer, il est devenu plus difficile de gagner. Précisons que le système de « S. Nakamoto » est conçu pour qu’il y ait un compte choisi toutes les dix minutes environ et qu’il s’ajuste automatiquement pour que ce temps moyen ne diminue pas. Des entreprises se sont donc mises à fabriquer des cartes et des machines spécialisées dont le seul objectif est de miner les bitcoins. La consommation électrique consacrée au minage s’est considérablement accrue. Elle est aujourd’hui (février 2018) au strict minimum de 21,5 TWh, soit ce que produisent deux réacteurs nucléaires de moyenne puissance, mais vraisemblablement au moins le double a été atteint. Le phénomène ressemble un peu à une ruée vers l’or, sauf qu’ici tout se déroule dans le monde des réseaux et des ordinateurs en faisant circuler des bits d’information et fonctionner des microprocesseurs spécialisés.

    L’outil de minage le plus efficace (énergétiquement) aujourd’hui est le Antminer S9 (voir l’article en anglais).

    • Puissance de hash : 13.5 Th/s
    • Rendement énergétique : 0.098 W/Gh

    Il comporte 189 puces ASIC « Bitmain’s BM1387 ».

    Son prix est environ de 5000 dollars. Il produit 13,5 x 1012 hash par seconde.

    Sa dépense électrique est de 13,5 x 98 W = 1323 W (ce qui est beaucoup comparé à un ordinateur qui dépense de 100 à 200 W).

    La puissance du réseau Bitcoin le 19/02/2018 est de 25 x 1018 hash par seconde.

    Si tout le minage était fait avec Antminer S9 (hypothèse la plus optimiste possible), il faudrait (25 x 1018) / (13,5 x 1012) = 1 858 000 appareils Antminer S9.

    Cela coûterait environ 9 milliards de dollars de les acheter.

    La consommation de ces appareils serait de 1 858 000 x 1323 W = 2 458 000 000 W.

    Annuellement (on multiplie par 24 x 365) en Wh = 21,5 x 1012 Wh, soit 21,5 TWh, soit plus 2 centrales nucléaires.

    Bien sûr la réalité est sans doute au moins le double de ce calcul de minorant incontestable.

    Le site Digiconomist le 19/02/2018 indique 50 TWh, soit plus de 5 centrales.

    En raison de la puissance de calcul nécessaire, il devient impossible, même pour un acteur très puissant, et on sait qu’il en existe, de s’emparer de tous les gains. L’analyse générale du protocole des bitcoins, effectuée dès 2008 par « S. Nakamoto », montre que si un acteur pouvait disposer de la moitié de la puissance consacrée au « minage », il serait en mesure de perturber gravement le fonctionnement du système Bitcoin. Avec l’accroissement des efforts investis dans l’extraction de bitcoins, il est de plus en plus difficile de réunir ces 50%, ce qui renforce indirectement la monnaie bitcoin. Le système conçu par « S. Nakamoto » se consolide au fur et à mesure que des gens s’y intéressent : plus le cours du bitcoin monte, plus il devient intéressant de chercher à extraire des bitcoins ; or plus celles et ceux qui le font augmentent en nombre, plus le bitcoin devient robuste et donc plus son cours a des chances de monter.

    Lorsqu’Alice veut faire un paiement en bitcoins à Bernard (par exemple en échange d’un livre), leurs ordinateurs vont opérer une série d’échanges avec le réseau des ordinateurs qui surveillent les transactions. Les échanges sont gérés automatiquement par les logiciels installés sur leurs ordinateurs. On parle de réseaux pair à pair (ou P2P, peer-to-peer). L’existence de tels réseaux est essentielle pour la monnaie bitcoin, qui n’est gérée par aucun nœud principal qui contrôlerait l’ensemble des communications. La transaction qui résulte des échanges entre Alice et Bernard sera publique (tous les ordinateurs présents sur le réseau y auront accès) et permettra la mise à jour par tous du cahier de comptes, qui indique combien de bitcoins sont déposés dans chaque compte existant.

    • Alice souhaite envoyer N bitcoins à Bernard.
    • Bernard communique sa clé publique Bpub à Alice.
    • Alice forge un message M de transaction contenant la clé publique Bpub de Bernard et la somme N à transférer : M = BpubN.
    • Alice signe la transaction M avec sa clé privée Apri, c’est-à-dire calcule une suite de symboles M’ = f(Apri, M) qui, avec sa clé publique Apub, redonne M : g(Apub, M’) = M (tout le monde peut donc contrôler que c’est Alice qui a signé, mais personne ne peut signer à sa place).
    • Alice diffuse la transaction signée sur le réseau afin qu’elle soit vue par tout le monde. Le protocole réel est légèrement plus compliqué (il contrôle qu’Alice dispose bien de la somme N sur son compte).

    En regardant cette transaction depuis l’extérieur, tout le monde voit que l’individu qui contrôle le compte d’Alice (individu que personne ne connaît) a donné son accord pour transférer N bitcoins sur le compte contrôlé par l’individu Bernard (que nul ne connaît).

    Ne disposant pas de la clé privée d’Alice, personne d’autre qu’elle ne peut envoyer une telle transaction sur le réseau. Son envoi est donc la preuve qu’Alice était d’accord pour le transfert. Tout le monde considérera alors le transfert comme valide.

    Le protocole de signature à double clé utilisé est considéré comme robuste. Bien sûr, s’il venait à être cassé (c’est-à-dire si, par exemple, on réussissait à trouver une méthode rapide pour calculer la clé privée à partir de la clé publique), tout le système de la monnaie bitcoin s’effondrerait.

    La puissance globale consacrée aujourd’hui au minage de bitcoins est plus de 1 000 fois la puissance du plus puissant ordinateur du monde (le Tianhe-2 détenu par la Chine), qui ne fait que 33 pétaflops. C’est largement plus que la puissance cumulée des 500 ordinateurs les plus puissants. Cette valeur est considérable ! Ce qu’on peut voir comme un énorme gâchis de temps de calcul empirera si le bitcoin s’impose et que son cours (qui, bien sûr, détermine l’argent que les mineurs sont prêts à investir) progresse.

    Aujourd’hui, en utilisant seulement son ordinateur pour « miner », on n’a aucune chance de gagner des bitcoins. Cette situation a conduit à la création de « guildes de mineurs », ou « pools de minage ». Les mineurs associés décident de partager les gains qu’ils feront, en proportion de la puissance de calcul qu’ils consacrent. Ces regroupements assurent à chacun et chacune de gagner un peu, car la guilde (si elle est puissante) remportera assez fréquemment les bitcoins qu’elle redistribuera à ses membres. Toutefois, ne vous faites pas d’illusion : en rejoignant une guilde, si vous n’offrez que la puissance de votre ordinateur personnel, la part qui vous reviendra sera minuscule et ne compensera pas le prix de l’électricité que vous aurez dépensée.

    Pas plus de 21 millions de bitcoins

    Les protocoles de « S. Nakamoto » (qui sont traduits dans les programmes utilisés pour la gestion décentralisée de la monnaie bitcoin) prévoient que, tous les quatre ans, la somme distribuée toutes les dix minutes est divisée par deux. Au début, elle était de 50 bitcoins ; le 22 novembre 2012, elle est passée à 25 bitcoins, puis 12,5 bitcoins en juillet 2016. Du fait qu’un bitcoin ne peut être divisé en unités plus petites que le cent millionième de bitcoin, le gain attribué toutes les dix minutes finira par s’annuler. Un petit calcul montre que le processus d’émission de ces nouveaux bitcoins de récompense aura cessé en 2140 et qu’il y aura alors un total d’un peu moins de 21 millions de bitcoins. À partir de cette date, aucun nouveau bitcoin ne sera plus jamais créé.

    Afin d’éviter que tous les mineurs, essentiels au bon fonctionnement du protocole, désertent et que la construction et la validation continue du cahier de comptes cessent, « S. Nakamoto » a prévu qu’à chaque transaction, on donne une commission à celui qui ajoutera la page contenant la transaction au cahier.

    L’intérêt de miner sera donc préservé, même au-delà de 2140. Donner une telle commission n’est pas obligatoire, mais aujourd’hui à cause de la saturation du réseau, seules les transactions associant une commission suffisante (de 1 euro à parfois plus de 40 euros) se verront ajouter au cahier des comptes (voir les variations).

    L’impossible devenu réalité… et valeur

    Nouveauté, forces et qualités des bitcoins

    – La monnaie bitcoin est fondée sur un réseau pair à pair et des logiciels libres et gratuits. Indépendante de toute banque, elle n’est pas soumise à une autorité centralisée et est complétement transparente.

    – Les transactions de bitcoins sont rapides et irréversibles (après un délai d’une heure ou moins). Personne ne peut agir sur les bitcoins de vos comptes sans votre consentement.

    – Les frais de transaction ne dépendent pas des montants concernés, ils sont donc très faibles pour les sommes importantes et très élevés pour les petites transactions.

    – Le nombre de bitcoins ne dépassera jamais 21 millions. Avec les bitcoins, vous échappez au risque qu’un acteur dominant (une banque centrale) décide de faire fonctionner la planche à billets et vous prenne de l’argent par l’inflation créée.

    – Anonymat : le réseau fonctionne à partir de comptes. Détenir un compte, c’est connaître la clé privée qui lui est associée. L’identité des utilisateurs et utilisatrices n’est utile à aucun moment.

    – Un bitcoin peut être divisé en fractions de bitcoin jusqu’au 1/100 000 000e.

    – En théorie, le bitcoin (à cause du nombre maximal de bitcoins en circulation) est déflationniste (il prend peu à peu de la valeur) : vos économies ne sont pas rongées par l’inflation, mais s’apprécient ! Bien sûr, la réalité est plus complexe à cause de la spéculation qui s’est déchaînée sur le bitcoin et qui provoque de fortes augmentations de cours imprévisibles, aussi bien que de fortes baisses.

    – Le bitcoin est conçu pour que l’intérêt de celles et ceux qui s’en occupent soit qu’il fonctionne bien, et plus il prend de la valeur, plus les contrôles auxquels il est soumis sont nombreux.

    – Les protocoles et programmes permettant de gérer les transactions peuvent évoluer, mais cela ne peut se faire que par une sorte de vote du réseau de surveillance du bitcoin où votre avis a un poids proportionnel à votre puissance de calcul.

    Doutes, fragilités, risques des bitcoins

    – L’anonymat de S. Nakamoto et les bitcoins gagnés facilement aux débuts de la monnaie par ce mystérieux personnage créent un sentiment désagréable et font craindre une machination.

    – Aujourd’hui, les bitcoins sont assez modestes à côté des autres monnaies : il y a environ 180 milliards de dollars en bitcoins (février 2018), alors que circulent 1500 milliards de dollars uniquement sous forme de billets.

    – La monnaie bitcoin repose sur des protocoles cryptographiques dont la robustesse n’est pas prouvée mathématiquement.

    – Le système de gestion des bitcoins repose sur un ensemble de protocoles rendus opérationnels par des programmes. Des erreurs peuvent s’y trouver.

    – Le bitcoin reste assez compliqué à comprendre et suscite donc la méfiance du plus grand nombre (qui ne saisit pas mieux la façon dont fonctionnent vraiment les monnaies classiques).

    – Peu de sites et de commerces acceptent les bitcoins aujourd’hui.

    – Le bitcoin favorise le blanchiment d’argent sale, facilite les trafics en tout genre, et permet la fraude fiscale.

    – Le bitcoin est déflationniste, ce que certain(e)s considèrent comme négatif, car cela constitue un frein à la circulation de l’argent ; surtout, son cours est volatil du fait des incertitudes qui l’entourent.

    – Le bitcoin pourrait faire l’objet d’interdictions ou de contrôles stricts imposés par des États voulant protéger leur propre monnaie. Le bitcoin pourrait être victime d’attaques menées par des agences, telle la NSA, qui tenteraient de briser toute confiance en lui, pour maintenir les monopoles monétaires actuels.

    – L’anonymat y est imparfait.

    – Le succès du bitcoin a inspiré toutes sortes d’autres Nakamoto et des centaines de nouvelles cryptomonnaies plus ou moins copiées sur lui ont vu le jour. Certaines, un peu différentes et peut-être mieux conçues, pourraient capter l’intérêt et faire se déplacer l’argent misé aujourd’hui sur les bitcoins. D’ailleurs le poids du bitcoin dans la capitalisation totale des cryptomonnaies est passé de 95% en 2013 à 35% aujourd’hui (février 2018).

    – L’évolution possible des protocoles et programmes, prévue mais au fonctionnement délicat, conduit à la mise en place d’une forme d’administration centralisée constituée par l’ensemble des nœuds les plus puissants du réseau de contrôle.

    Le système mis en fonctionnement en 2009 tient bien.

    Au début, le cours du bitcoin était dérisoire. Sujet à des excès spéculatifs, il varie de manière irrégulière, mais semble augmenter sur le long terme. Certains membres de la communauté ont réalisé d’excellentes affaires soit en achetant des bitcoins quand ils ne valaient rien, soit en les « minant » quand c’était facile. L’instabilité du cours fait qu’acheter des bitcoins est un pari. Cependant, à mesure que son usage se répandra et que des commerces accepteront des paiements en bitcoins, on peut espérer que le cours se calmera. Les avis sont partagés sur son devenir, mais l’intérêt qu’il suscite a de quoi rendre optimiste. Quelque chose d’important s’est produit avec la naissance de cette monnaie qu’une valorisation de plusieurs milliards d’euros a installée pour longtemps dans le monde réel.

    Une question se pose : pourquoi le bitcoin n’est-il pas apparu plus tôt ?

    La réponse est simple : avant 2009, il était impossible d’envisager une telle monnaie, car elle doit son existence aux progrès récents dans plusieurs domaines.

    a) Il fallait un réseau mondial fiable ; le bitcoin cesserait d’exister immédiatement en cas d’arrêt du réseau (il reprendrait à sa remise en marche).

    b) Rien de possible non plus sans d’importantes puissances de calcul et de mémorisation informatique. C’est seulement récemment qu’elles sont devenues suffisantes pour que la tenue et la vérification des comptes, même en considérant toutes les transactions depuis la création de la monnaie, soient possibles quasi simultanément par des milliers d’acteurs indépendants. Ce modèle crée sans doute une confiance bien meilleure dans les comptes immatériels de cette monnaie que celle que l’on a dans ceux d’une banque qui s’occupe de gérer sa monnaie seule en faisant marcher la planche à billets de façon imprévisible et sans demander leur avis aux propriétaires de devises qui s’en trouvent pourtant lésés.

    c) Le génie d’un informaticien, d’une informaticienne (ou de plusieurs ?) qui, en s’appuyant sur une cryptographie qui a formidablement progressé depuis 30 ans, a produit un protocole subtil et robuste que personne ne pensait possible, et qui a réussi à le faire fonctionner et décoller.

    d) Essentielle aussi est la communauté des passionnés, un peu anarchistes, qui s’occupent des programmes et des réseaux pair à pair. Elle rend l’utilisation pratique des bitcoins possible gratuitement par tout le monde et évite qu’un groupe, une banque ou un État ne s’empare de ce qui peut être vu comme une monnaie commune, universelle et démocratique.

    Les individus qui, à propos du bitcoin, parlent de pyramide de Ponzi ou de construction sur du vide pouvant s’écrouler du jour au lendemain n’ont rien compris à cette nouveauté remarquable, due aux mathématiques, aux avancées techniques et à l’ingéniosité de « S. Nakamoto ». Ils n’ont rien compris non plus aux monnaies qui reposent toutes sur la confiance (depuis l’abandon général de la convertibilité en or) et qui créent donc, comme le bitcoin, de la valeur à partir de rien. Le temps est peut-être venu aujourd’hui d’accorder sa confiance à des protocoles bien conçus, contrôlés par un grand nombre de personnes volontaires, plutôt qu’à des banques qui se moquent du reste du monde et qui, sans régulation collective, manipulent les monnaies aux dépens de (presque) tous et toutes.

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    Jean-Paul Delahaye

    Professeur émérite d'informatique à l'Université des Sciences et Technologies de Lille (Lille 1) et chercheur au Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille (CRIStAL).

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