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Photo © Brian Ashmore - Source : Yesterville Toy Room
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    L’homme qui valait trois milliards

    Médecine & Sciences du vivant
    Robotique
    Augmenter l’humain, le rendre plus fort, plus rapide, repousser les limites physiques du corps humain... Très tôt, la science-fiction a imaginé l’homme bionique et les cyborgs. C'est le cas par exemple dans la série télévisée L'homme qui valait trois milliards. Où en est-on réellement aujourd'hui dans ce domaine ? Étudions cela de plus près !

    Le générique de la célèbre série L’Homme qui valait trois milliards diffusé dans les années 1970 rappelle épisode après épisode les circonstances dans lesquelles un pilote d’essai, ex-astronaute, a été sauvé à la suite d’un terrible accident grâce aux avancées scientifiques et technologiques : « Un homme tout juste vivant. Messieurs, nous pouvons le reconstruire. Nous sommes capables de donner naissance au premier homme bio-ionique. Steve Austin deviendra cet homme. Il sera supérieur à ce qu’il était avant l’accident. Le plus fort, le plus rapide, en un mot, le meilleur. »

     


    Générique français de la série L’Homme qui valait trois milliards (The six million dollar man) créée par Kenneth Johnson.

    Passons sur le “Messieurs” exclusif qui donne le ton quant aux rôles féminins dans cette série jusqu’à ce que Super Jaimie, femme bionique, fasse enfin son entrée. On peut relever ici la traduction phonétique de l’anglais BIONIC par BIO-IONIQUE qui constitue un contresens. Bionics est issu des mots biology et electronics. Il a fait son entrée dans le dictionnaire français en 1968 et sa définition s’est affinée au cours du temps. Le mot-valise bionique selon le Larousse peut être défini comme la « confrontation, scientifiquement conduite, entre les inventions humaines et les processus biologiques (détection, locomotion, orientation), en vue d’offrir aux ingénieurs des modèles dont l’imitation peut être utile, et, à l’inverse, de mieux interpréter certains organes et fonctions par comparaison avec des inventions humaines. »

    Dans la série, le héros a subi des interventions chirurgicales pour remplacer certaines parties de son corps par des systèmes artificiels associant mécanique, électronique et informatique. Steve Austin voit ainsi son bras droit, ses deux jambes et son œil gauche « réparés ». Les prothèses ne se contentent pas ici de remplacer les membres amputés et de restaurer les fonctions perdues (préhension, marche, vision…), elles le dotent de performances artificielles extrêmement supérieures aux naturelles. Il peut alors courir à 100 km/h, nager à 65 km/h, sauter à 10 m, soulever des charges de 150 kg et voir de nuit à des kilomètres de distance. En contrepartie de ses onéreux implants, Steve Austin devient agent secret pour le gouvernement américain pour lequel il accomplit des missions dans un contexte de guerre froide et d’espionnage. La force de la série est d’être très réaliste en jouant sur le manque de détails et ce flou, qui rendait crédible le mythe dans les années 1970, confère du réalisme dans le contexte actuel. Les médias jouent un rôle important dans la promotion des neuroprothèses auprès du grand public. Les articles souvent enthousiastes présentent des raccourcis rapides qui ne rendent pas toujours compte de la réalité des progrès scientifiques dans le domaine. Des limitations théoriques, techniques et biologiques demeurent en effet. Par exemple, un des défis est de parvenir à réduire la taille et le poids des prothèses de membres (jambes, bras), en particulier concernant leur besoin en énergie.

    La série suggère des performances extraordinaires, bien exploitées pour les besoins spectaculaires d’une œuvre de science-fiction. Profitons-en pour mettre en perspective ces performances selon les limites des moyens existants aujourd’hui. Au vu de ses capacités hors normes, Steve Austin aurait aujourd’hui besoin d’actionneurs (moteurs) surdimensionnés et de batteries impossibles à dissimuler sous une peau artificielle. De plus, des recharges fréquentes seraient indispensables. Actuellement, certains implants, comme les stimulateurs cardiaques, sont équipés de piles dont la longévité est de 5 à 10 ans. Une autre stratégie est d’utiliser des batteries rechargeables par radio-fréquence, les antennes de recharge étant positionnées au regard des stimulateurs sur la peau pour transmettre de l’énergie. C’est le cas par exemple pour les neurostimulateurs médullaires dans le traitement de la douleur, pour les pompes intrathécales, pour la neuromodulation sacrée dans la prise en charge des troubles vésico-sphinctériens…

    Les exploits du héros sont rehaussés par un accompagnement sonore aux accents métalliques indicatifs de l’artificialité de la prouesse. Artificialité que l’on aurait tendance à oublier tant l’intégration est réussie. La série imagine une peau artificielle qui dissimule parfaitement les prothèses et les capots permettant d’accéder à l’électronique sont invisibles. De plus, la peau reste intacte après que la main ait fracassé un mur. Si une telle solidité peut s’avérer utile pour un agent secret, l’objectif des prothésistes est d’abord de créer des peaux réalistes d’un point de vue esthétique. Des recherches sont en cours pour développer des matériaux intégrant des capteurs capables de détecter la chaleur, le froid, la pression et l’humidité, reproduisant les capacités sensorielles de la peau humaine.

    Une autre difficulté épargnée à Steve Austin mais qui reste un problème important dans le domaine des neuroprothèses, concerne sa capacité à communiquer avec ses prothèses. La question de l’interfaçage entre système naturel et artificiel est cruciale car l’humain doit pouvoir contrôler ses membres et disposer d’informations sensorielles concernant les parties artificielles de son corps (estimation des efforts, sens du toucher, etc). Après une période d’apprentissage et d’entraînement, Steve Austin a été capable d’utiliser ses ressources cyborg avec une apparente facilité. Cela suppose que le déploiement d’actionneurs et de capteurs artificiels ait été accompagné de la mise en place d’une interface lui permettant de communiquer avec ses implants. Cette question du contrôle des prothèses (que l’on souhaite le plus naturel possible) est primordiale ainsi que celle de leur intégration au système nerveux. Les interfaces homme-machine (IHM) doivent permettre l’interaction entre les deux parties du système qui ne peuvent être considérées comme indépendantes. L’état des différents éléments (positions articulaires, efforts appliqués, contacts avec l’environnement…) est renseigné par des capteurs. Si des capteurs artificiels peuvent être déployés, le corps humain comporte par ailleurs bon nombre de capteurs naturels qui peuvent également fournir des informations exploitables ; des électrodes peuvent être placées au niveau des nerfs et recueillir l’activité électrique des fibres afférentes (qui remontent vers le système nerveux central).

    Même si de nombreux progrès dans le domaine des neuroprothèses ont été réalisés dans l’utilisation de signaux biologiques (électro-myographie et -neurographie) pour contrôler un système artificiel, on reste largement en deçà des performances imaginées dans la série. Les prothèses de bras dites fonctionnelles (par opposition aux prothèses esthétiques) les plus complexes proposées aujourd’hui aux personnes amputées sont des prothèses myoélectriques (pilotées via les contractions musculaires volontaires) qui permettent de contrôler l’extension ou la flexion du coude, la rotation du poignet et l’ouverture ou la fermeture des doigts et de soulever des charges de 6 kg maximum.

    Il est aujourd’hui possible d’interfacer le système nerveux avec un système artificiel, mais dans une mesure bien plus modeste. Les Brain Computer Interfaces (BCI) consistent à mesurer l’activité électrique corticale à l’aide d’un casque d’EEG (électroencéphalographie) positionné sur la tête. L’activité électrique mesurée est interprétée et transformée en instructions de commandes pour le système artificiel. On peut aussi créer des interfaces via les nerfs de façon à piloter la prothèse à partir de signaux envoyés par le cerveau et à renvoyer des informations sensorielles de la prothèse vers le cerveau. Ainsi, des travaux récents ont exploré la possibilité d’induire des sensations au niveau d’un membre amputé de manière à lutter contre les douleurs fantômes. Il s’agit de stimuler électriquement les nerfs périphériques pour envoyer des signaux qui soient interprétés comme étant des informations non douloureuses par le cerveau.

    Mais revenons aux capacités incroyables de Steve Austin. Nous avons précédemment évoqué son œil gauche high-tech qui lui permet d’espionner ses cibles à distance y compris de nuit. Ce bijou technologique est doté d’une vision infrarouge, d’un zoom et de traitement informatisé des données. Si les implants oculaires et les rétines artificielles sont aujourd’hui une réalité pour rétablir la vue chez des personnes atteintes de lésions de la cornée, la vision conférée reste néanmoins partielle.

    De manière générale, les performances technologiques sont largement mises à l’honneur dans la série. Ceci étant, il faut rappeler que la mise au point de neuroprothèses complexes repose aussi sur la mise au point de modèles mathématiques qui permettent de simuler numériquement le comportement des parties artificielles, des parties biologiques et leurs interactions. Ces modèles peuvent être très complexes et détaillés pour la simulation mais les capacités de calcul des processeurs implantés conduisent en général à utiliser des modèles simplifiés pour les traitements en temps réel. Un modèle doit par ailleurs être ajusté à chaque individu, l’identification des paramètres du modèle repose sur la mise au point de protocoles expérimentaux pour estimer leurs valeurs de façon directe ou indirecte. Certains paramètres sont parfois impossibles à mesurer car ils nécessiteraient de léser l’organe étudié. On doit alors les extrapoler à partir des données animales publiées dans des articles scientifiques lorsque celles-ci sont disponibles ou au pire les fixer arbitrairement. Au-delà des modèles, l’intégration logicielle des fonctionnalités du système est un des aspects critiques des neuroprothèses et implants. Le code informatique embarqué doit garantir la sécurité de l’individu et de son appareillage.

    Le domaine des neuroprothèses est aujourd’hui en plein essor et les avancées récentes laissent espérer que la fiction de « L’homme qui valait trois milliards » devienne un jour réalité dans une mesure plus modeste et surtout accessible au plus grand nombre, bien que certains verrous scientifiques et techniques demeurent. Ce qui est certain, c’est que l’homme qui valait trois milliards (d’anciens francs), soit six millions de dollars, resterait onéreux aujourd’hui. À titre d’illustration, la prothèse de genou commercialisée la plus avancée sur le plan technologique (C-LEG) coûte 16 000 euros, la pose d’un implant cochléaire 45 000 euros.

    La série soulève des questions éthiques et philosophiques concernant l’homme augmenté qui sont primordiales pour l’acceptation et la diffusion des neuroprothèses. Tout le monde a en tête le cas d’Oscar Pistorius et la controverse autour de l’idée de « dopage technologique ». Est-ce qu’un athlète amputé des deux jambes est avantagé par ses prothèses et peut concourir aux côtés de sportifs valides ? Cette réflexion éthique devra accompagner et anticiper l’innovation pour répondre aux questions de la société et éviter les dérives.

    La compétition Cybathlon qui se tiendra en octobre 2016 à Zurich sera une bonne vitrine des technologies disponibles aujourd’hui.

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    Christine Azevedo Coste

    Chercheuse Inria au Laboratoire d'Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier (LIRMM) et membre de l'équipe DEMAR (Inria, UM, CNRS).

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