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    Louis Bolliet, passionné d’informatique

    Histoire du numérique
    Langages, programmation & logiciel
    À l'occasion de son 80e anniversaire, nous vous proposons une rencontre avec Louis Bolliet. Il retrace les débuts de la recherche en informatique à Grenoble tels qu'il les a vécus et livre son sentiment sur l'évolution de ce domaine toujours en mouvement.

    Que ce soit dans le domaine de la recherche ou dans celui de l’enseignement, l’activité de Louis Bolliet a toujours été fondatrice. Il est l’un des rares pionniers français de l’informatique. Ses collaborateurs connaissent aussi son extrême modestie alliée à une très grande simplicité. Ils savent surtout combien sa vie professionnelle a été pour lui une véritable passion au service de la découverte et de l’innovation.

    L’informatique, un domaine nouveau

    Étudiant à Grenoble au début des années 50, Louis Bolliet a eu la chance de rencontrer le professeur Jean Kuntzmann, et l’intuition de comprendre avec lui les perspectives qu’offrait le nouveau domaine de recherche qui allait devenir l’informatique.

    Responsable du premier ordinateur

    Entré au Laboratoire de Calcul, il y devient responsable du premier ordinateur, un Gamma III de la société Bull, programmé alors directement en code binaire. Pour accompagner l’évolution de la programmation vers des langages évolués, il crée ensuite une équipe de recherche sur la compilation de ces langages de programmation.

    Recherches en commun avec l’industrie

    Louis Bolliet a favorisé de nombreux contacts entre l’Université, l’Institut Polytechnique de Grenoble et les industriels. Il a contribué à la création d’un centre de recherche commun avec IBM, puis du centre scientifique CII qu’il a dirigé pendant plusieurs années.

    Préserver la mémoire

    À la retraite depuis 1988, Louis Bolliet se préoccupe de préserver le patrimoine des débuts de l’informatique. Il s’agit bien sûr de conserver les machines, mais pas seulement… Il a ainsi participé à la création de l’ACONIT, et est à l’origine du premier colloque sur l’histoire de l’informatique en France.

    En complément, lire la biographie de Louis Bolliet par Camille Bellissant.

    par Camille Bellissant

    Louis Bolliet est né à Chambéry le 11 mai 1928. Après des études secondaires au Lycée Lalande de Bourg en Bresse et une classe préparatoire au Lycée du Parc à Lyon, il intègre l’IEG (Institut Electrotechnique de Grenoble) l’une des écoles de l’IPG où il obtient le diplôme d’ingénieur IEG et une licence ès sciences à la Faculté des Sciences de Grenoble. Louis Bolliet a terminé son année de service militaire avec le grade de sous-lieutenant. Après son service militaire il intégre la section spéciale Radioélectricité et avec son diplôme d’ingénieur IRG, il est embauché au Laboratoire d’électronique du Professeur Jean Benoit en 1955.

    Rappelé au Maroc en avril 1956, il est contacté par le Professeur Jean Kuntzmann, qui a été son professeur de Mathématiques Appliquées à l’IEG, pour un emploi d’ingénieur au Laboratoire de Calcul dans la perspective de l’installation d’un calculateur électronique digital. Dès sa libération en novembre 1956 il est embauché comme ingénieur CNRS au Laboratoire de calcul. Ce laboratoire créé en 1951 et dont l’intitulé précisait Laboratoire d’essais ouvert aux applications industrielles occupera tout d’abord les combles de l’aile Casimir Brenier de l’IPG près de la gare de Grenoble, avant d’être le premier Laboratoire déménagé en 1963 sur le Campus de St Martin d’Hères-Gières (Installation impossible d’un très gros ordinateur à l’INP rue Félix Viallet). Les premières années de ce laboratoire de 1951 à 1955 ont vu le développement de méthodes de calcul sur calculateur électronique analogique, essentiellement pour la résolution d’équations différentielles et d’équations aux dérivées partielles. Cette période d’activité scientifique aboutit aux Journées alpines de calcul numérique organisées en 1955 par le Laboratoire de calcul, IBM et la SOGREAH.

    On peut dater de 1956 le premier cours de programmation à Grenoble par M. Sollaud de la Société Normacem de Lyon. Ce cours avait quatre auditeurs : Jean Kuntzmann professeur, Jean Laborde chef de travaux comme on disait à l’époque, Louis Bolliet ingénieur, et un élève-ingénieur Henri Rohrbach, premier et unique élève de la première Section Spéciale IMAG (Ingénieur Mathématicien Appliqué de Grenoble). Les travaux pratiques se déroulaient à Lyon le samedi sur une machine à programme par cartes.

    En 1957 et 1958 arrivèrent au Laboratoire de calcul Noël Gastinel (1925-1984) et Bernard Vauquois (1929-1985) qui prirent respectivement la responsabilité de l’analyse numérique et de la traduction automatique. En 1961 Jean Kuntzmann confia à Louis Bolliet le soin de créer une équipe de recherche sur la compilation des langages de programmation de haut niveau (ALGOL, COBOL, FORTRAN). A l’époque, l’écriture de compilateurs était encore l’affaire des laboratoires de recherche, et les constructeurs des premiers ordinateurs à programme enregistré passaient des contrats avec des centres de recherche en vue de produire des compilateurs pour faciliter l’accès de leurs machines aux programmeurs.

    Sous l’impulsion de Louis Bolliet, cette équipe de recherche s’est rapidement forgé une compétence reconnue mondialement. C’est ainsi que le groupe de travail ALGOL WG 2.1 de l’IFIP s’est réuni en 1965 à St Pierre de Chartreuse. De même en 1966 une Ecole d’été de l’OTAN sur les langages de programmation était dirigée par François Genuys à Villard de Lans où les conférenciers se nommaient L. Bolliet, O-J. Dahl, E.W. Dijkstra, C.C. Elgot, C.A.R. Hoare. Dès 1963 de nombreuses thèses étaient soutenues à Grenoble sur le sujet de la compilation (Jean-Loup Baer, Jean-Claude Boussard, Jacques Cohen, Alain Colmerauer, Jean Le Palmec, Jean-Pierre Verjus, entre autres) mais aussi sur d’autres sujets de l’informatique (Claude Boksenbaum, Serge Guiboud-Ribaud, Olivier Lecarme, Michel Lucas). Louis Bolliet soutint lui-même sa thèse de doctorat d’Etat en 1967 (on disait à l’époque doctorat ès sciences appliquées pour ne pas choquer les puristes pour lesquels l’Informatique en train de naître n’était tout de même pas à ranger dans la même catégorie que les Mathématiques ou la Physique !). Dans cette activité de production de compilateurs, Louis Bolliet a favorisé de nombreux contacts entre l’Université de Grenoble, l’INP et l’Industrie. Il fut à l’origine avec René Moreau de la création du Centre Scientifique IBM en 1967, le premier hors des Etats-Unis, sur les thèmes de recherche de la compilation et les systèmes d’exploitation. Michael Griffiths soutiendra en 1969 à Grenoble la première thèse d’Etat en Informatique (devenue entre temps une discipline scientifique comme les autres) sur l’automatisation de la production de compilateurs. Le système CP/CMS installé à Grenoble sur l’ordinateur 360/67 a permis l’éclosion de travaux importants sur les machines virtuelles.

    En 1970, Louis Bolliet est à l’origine de la création du Centre Scientifique CII et du début d’une coopération avec l’IRIA dans le cadre du Plan Calcul.

    Parallèlement à cette activité de chercheur, Louis Bolliet s’est investi dans des tâches d’enseignement, notamment dans le cadre de la PST (Promotion Supérieure du Travail) qui proposait des cours de perfectionnement à des employés d’entreprises. Cette structure évoluera vers un Centre Universitaire d’Education et de Formation des Adultes (CUEFA) et un Centre d’Enseignement du CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers). Louis Bolliet y enseignera de 1965 à 1988, notamment les techniques de la programmation et celles de l’informatique en général. Le nombre de diplômes d’Ingénieur Informaticien du CNAM délivrés à Grenoble pendant cette période représente plus du tiers de l’ensemble des diplômes toutes disciplines confondues.

    En 1966 furent créés en France les IUT (Instituts Universitaires de Technologie) dont l’IUT 2 de Grenoble où est créé un Département Informatique. Là encore, c’est Louis Bolliet qui met en place une équipe d’enseignants issus du Laboratoire IMAG (Informatique et Mathématiques Appliquées de Grenoble) devenu entre temps le LA 7 dans la terminologie du CNRS (Laboratoire Associé n° 7). Le Département d’Informatique de l’IUT 2 de Grenoble comptera parmi ses enseignants dès 1967 Louis Bolliet comme maître de conférences puis comme professeur en 1970. Sous son impulsion, ce département qu’il a lui-même dirigé pendant cinq années a connu un succès considérable auprès des étudiants, avec un nombre de candidatures dépassant certaines années de quinze fois le nombre de places offertes. Corrélativement, des taux de réussite très élevés ont fait de ce département une filière de choix pour les étudiants souhaitant poursuivre leurs études en école d’ingénieurs ou en école doctorale.

    Louis Bolliet est aussi à l’origine des Journées Francophones sur l’Informatique qui ont rassemblé pendant une quinzaine d’années des chercheurs et enseignants de la discipline, en étroite collaboration avec les universités de Genève, Nancy et Paris-Sud. Il est docteur honoris causa de l’Université de Genève.

    La dernière activité de Louis Bolliet liée à l’informatique concerne l’organisation du premier Colloque sur l’histoire de l’informatique en France (mai 1988) et la sauvegarde du patrimoine scientifique et industriel, en l’occurrence la conservation des matériels et logiciels des générations successives d’ ordinateurs. En 1985 il est l’un des fondateurs de l’ACONIT (Association pour un Conservatoire de l’Informatique et de la Télématique) dont il sera président. Cette association, soutenue par la Ville de Grenoble, la METRO et le Conseil Général de l’Isère, s’est donné pour tâche d’entretenir une collection du patrimoine informatique. En 1998, il suggéra l’idée d’une série de manifestations Cinquante ans d’informatique à Grenoble (novembre-décembre 2002).

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    Camille Bellissant

    Professeur d'informatique à l'Université Pierre Mendès-France de Grenoble.
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    Cyril Sanchez

    Gérant de Digit Image, prestataire pour l'ACONIT.
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