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    Reconnaissance d’arythmies cardiaques

    Médecine & Sciences du vivant
    Traitement d’images & Son
    Le cœur assure la vie : c'est lui qui alimente les différents organes du corps humain en pompant le sang et en le refoulant dans le réseau des artères. Le battement est dû à une onde électrique parcourant le cœur, qui à son passage provoque la contraction des cellules musculaires cardiaques. Une arythmie correspond à une irrégularité du parcours de cette onde résultant d'un dysfonctionnement cardiaque.

    Une manière de détecter les arythmies cardiaques consiste à recueillir le signal électrique par des capteurs, tels que ceux constituant l’électrocardiogramme (ECG), puis analyser les signaux. Cette analyse peut être réalisée par des techniques de diagnostic à base de modèle. La mise au point de telles méthodes de diagnostic présente des enjeux à la fois pratiques et théoriques pour les recherches actuelles en informatique, en traitement du signal et en médecine.

    La contraction des cellules musculaires cardiaques est provoquée par le passage d’une onde électrique parcourant le cœur à travers les oreillettes et les ventricules. L’électrocardiogramme (ECG) recueille les caractéristiques de cette onde électrique. Les ondes principales de l’ECG sont l’onde P, qui correspond à l’activation des oreillettes, et l’onde complexe QRS, qui correspond à l’activation des ventricules.

    phases de la contraction cardiaque et ECG

    Parcours de l’onde électrique et phases de la contraction cardiaque – effets sur l’électrocardiogramme.
    Image : Marquette Electronics – The Alan E. Lindsay ECG Learning Center in Cyberspace

    Une arythmie est constatée lorsqu’un problème survient sur le parcours de cette onde, et plus particulièrement lorsque la contraction des oreillettes et celle des ventricules sont désynchronisées. Une bonne détection des arythmies est importante pour améliorer la surveillance de patients en unité de soins intensifs. Elle peut également améliorer l’efficacité des prothèses cardiaques implantables, par exemple en les adaptant au contexte de la stimulation.

    Diagnostic à base de modèle

    L’identification d’arythmies cardiaques est un exemple de diagnostic d’un système dynamique. La réalisation de ce type de diagnostic est un enjeu important des recherches actuelles. Le projet DREAM étudie particulièrement les approches à base de modèle pour le diagnostic de systèmes complexes qui comportent de très nombreux composants et dont le comportement ou la configuration évolue au cours du temps.

    D’une manière générale, effectuer un diagnostic consiste à rechercher les états de composants responsables des symptômes observés, comme les pannes chez le mécanicien ou les maladies chez le médecin. Dans le diagnostic à base de modèle, le raisonnement s’appuie sur un modèle explicite, qualitatif ou quantitatif. Ce modèle, plus ou moins abstrait, décrit le fonctionnement correct ou fautif du système. Des techniques à base de cohérence ou d’abduction logique sont utilisées.

    La technique à base de cohérence consiste à simuler le modèle, de manière à prédire le comportement théorique du système observé et les observations résultant de ce comportement théorique. L’analyse des différences entre les observations réelles et les observations théoriques permet de remonter aux composants fautifs et d’établir le diagnostic.

    Les techniques d’abduction logique reposent sur l’utilisation d’un modèle de panne, représenté par un ensemble de règles décrivant les conséquences d’un ou plusieurs états de panne. Un tel modèle est souvent présenté graphiquement sous la forme d’un graphe causal dont les nœuds représentent des états du système : des états de panne, des états intermédiaires non observables ou des symptômes observables. Chaque arc du graphe représente une relation de causalité : s’il est vérifié, l’état origine d’un arc a pour conséquence l’état destination de l’arc dans un certain délai. Un tel délai peut être représenté par une contrainte temporelle associée à l’arc. Par exemple, le graphe ci-dessous contient une règle spécifiant le fait que « un foyer ectopique ventriculaire cause une contraction ventriculaire anormale » qui elle-même est à l’origine de l’observation d’un QRS anormal.

    Un exemple de graphe causal utilisable pour le diagnostic par abduction

    Un exemple de graphe causal utilisable pour le diagnostic par abduction (les contraintes temporelles ont été enlevées pour ne pas alourdir le schéma). Les arcs de couleur rouge illustrent le cheminement de l’inférence abductive, à partir des observations (nœuds de couleur bleue) vers les pathologies (nœuds de couleur rose).

    La règle d’inférence abductible fonctionne « à l’envers » de la règle de déduction. Par exemple, à partir de la règle « s’il a plu, alors le sol est mouillé » et de l’observation « le sol est mouillé », on infère par abduction « il a plu ». Remarquons que cette manière de raisonner n’est pas toujours valide, car une autre raison, par exemple « un arrosage », peut être à l’origine de l’état « sol mouillé ». Toutefois, lorsque l’ensemble des hypothèses explicatives est limité et connu, il est possible de tenir un raisonnement abductif valide sous l’hypothèse du monde clos (car dans ce cas, l’explication de l’observation appartient forcément à l’ensemble des explications connues).

    Les modèles utilisés pour le diagnostic peuvent être acquis auprès d’experts ou de médecins. Toutefois, cette manière d’acquérir les modèles pose des problèmes, en particulier leur mise à jour en cas d’évolution des systèmes ou des connaissances. C’est pourquoi dans le projet DREAM, nous avons choisi d’apprendre automatiquement les modèles à partir de données enregistrées pendant le fonctionnement des systèmes.

    L’apprentissage des modèles peut être réalisé automatiquement à partir de traces de systèmes en fonctionnement. Lorsque les descriptions provenant des traces peuvent être classées en situation normale ou en situation de panne, l’apprentissage est dit supervisé. Sinon, l’apprentissage est non supervisé. L’objectif est, en général, d’induire une procédure de classification qui, à partir d’un certain nombre d’observations décrivant une situation, permettra de décider si cette situation est pathologique ou non, ou encore de déterminer la nature du dysfonctionnement parmi un certain nombre de pannes possibles. La procédure de classification peut prendre différentes formes : un ensemble de règles, un arbre de décision ou encore une « boîte noire » telle qu’un réseau neuronal.

    Avec la mise en place, dans les années récentes, de systèmes d’informations dans les entreprises, des volumes de données considérables deviennent disponibles. L’exploitation de ces grands ensembles de données constitue de nouvelles voies de recherche pour la découverte de connaissances, particulièrement en utilisant des méthodes d’apprentissage non supervisé. L’objectif est véritablement de découvrir des connaissances cachées dans les données pour améliorer la prise de décision, le ciblage de la clientèle, la précision de modèles, etc. Après la préparation et le codage des données afin de les rendre exploitables de manière efficace, la phase d’extraction de connaissances, aussi appelée fouille de données, est exécutée. Des méthodes issues de l’apprentissage peuvent être utilisées, mais des méthodes spécifiques ont également vu le jour. Ces dernières se caractérisent par une complexité calculatoire faible afin de pouvoir traiter de gros volumes de données en un temps acceptable. Les défis des recherches actuelles concernent l’extension des langages de représentation des concepts ou encore la fouille de masses de données au volume si important qu’il est impossible de les enregistrer totalement : les données les plus anciennes sont régulièrement écrasées par l’arrivée de nouvelles.

    Du signal ECG à la séquence d’événements

    Le signal correspondant à l’électrocardiogramme (ECG) d’un patient est d’abord transformé en une séquence d’événements datés. C’est dans une telle séquence que l’on recherche des motifs temporels caractéristiques d’arythmies cardiaques.

    Du signal ECG à la séquence

    Transformation du signal ECG en séquence d’événements.

    Cette étape de traitement du signal est particulièrement délicate, en raison notamment du bruit, lié aux caractéristiques du capteur et au contexte dans lequel il est utilisé. Le système repère tout d’abord les événements QRS, qui correspondent aux pics principaux du signal, puis les classe en normal (QRS) ou anormal (QRS’) selon la forme de l’onde. Les ondes complexes QRS détectées sont ensuite éliminées du signal, pour faire ressortir les ondes P beaucoup moins amples et plus difficiles à déceler.

    Apprentissage de chroniques d’arythmies

    Une arythmie peut être représentée par une succession de battements cardiaques, constitués d’ondes P et de QRS de forme particulière et liés par des contraintes temporelles spécifiques, par exemple, « le délai séparant une onde P et un QRS du même battement doit être compris entre 120 ms et 200 ms ».

    C’est exactement la structure d’une chronique : une chronique ou motif temporel est constituée d’un ensemble d’événements et contraintes sur les délais séparant leur occurrence dans le temps. Il est possible d’apprendre automatiquement de telles chroniques à partir d’extraits d’ECG dans lesquels une arythmie est observée. Nous utilisons une technique appelée programmation logique inductive pour induire une représentation sous la forme d’une formule logique du premier ordre.

    La logique, discipline philosophique visant à réfléchir sur l’accord du discours avec lui-même, est aussi devenue au XXe siècle un outil permettant de formaliser le raisonnement et de vérifier la correction des argumentations et des démonstrations en mathématiques. Dans sa forme moderne, la logique fournit un langage d’expression des connaissances (propositions, formules) et des lois exprimant les conditions pour que ces connaissances et les déductions effectuées à partir de ces connaissances soient cohérentes.

    La richesse d’expression du langage de représentation définit le type de la logique : logique des propositions, logique du premier ordre ou logique d’ordre supérieur. En logique des propositions, les connaissances sont exprimées par des énoncés clos, ne dépendant d’aucun paramètre. La logique du premier ordre introduit la notion de fonction et de quantification, afin d’exprimer des connaissances générales sur une catégorie d’individus ou d’objets, sans nommer précisément ces objets. En logique d’ordre supérieur, il est possible d’exprimer des propriétés générales sur les formules elles-mêmes.

    Le fait de représenter les connaissances sur un certain domaine dans un langage logique apporte rigueur et validité à la représentation. Il est, en effet, possible d’utiliser des outils informatiques, appelés démonstrateurs de théorèmes, pour vérifier qu’un ensemble de formules est cohérent ou possède d’autres propriétés souhaitables.

    représentation sous forme de chronique
    représentation sous forme de chronique

    Un exemple de formule apprise et sa représentation sous forme de chronique.
    Cette figure présente un exemple de formule apprise pour le bigéminisme (bigeminy). Cette arythmie se caractérise par la présence d’un foyer de stimulation (foyer ectopique) supplémentaire dans le ventricule qui déclenche, à intervalles plus ou moins réguliers, une onde électrique dont la propagation provoque la contraction prématurée des ventricules.
    La formule logique ci-dessus décrit une séquence typique d’événements observés et des contraintes temporelles liant ces événements en cas de bigéminisme : on observe une onde P normale à laquelle on attribue le nom P0 suivie d’un QRS normal nommé R0 suivi d’un QRS long nommé R1 suivi d’une onde P normale nommée P2, etc. La contrainte pr1(P0,R0,normal) exprime le fait que l’intervalle temporel entre P0 et R0 doit être normal. La contrainte rr1(R0,R1,court) exprime le fait que l’intervalle temporel entre R0 et R1 doit être long.
    Le graphe temporel représente une chronique et exprime sous une autre forme les connaissances temporelles de la formule logique. Le type des contraintes temporelles diffère : les contraintes symboliques ont été transformées en contraintes numériques, ici un encadrement du délai entre les occurrences de deux événements (en ms).

     

    La programmation logique inductive est une technique d’apprentissage automatique qui consiste à parcourir l’ensemble des représentations possibles d’un concept, afin de découvrir celle qui décrit au mieux l’ensemble des exemples, instances positives ou négatives de ce concept. Diverses heuristiques permettent d’optimiser le parcours de l’espace de recherche : par exemple, la méthode descendante consiste à procéder du général au spécifique, en spécialisant les hypothèses tant qu’elles ne séparent pas convenablement exemples positifs et négatifs et en se focalisant sur les hypothèses qui couvrent la plus forte proportion d’exemples positifs par rapport aux exemples négatifs. Dans le cas de la programmation logique inductive, les hypothèses sont représentées par des formules de logique du premier ordre, ce qui permet d’induire des relations non prévues à l’avance entre les objets représentés. Ici, les relations concernent la manière dont sont séquencés les événements, ondes P et QRS, ainsi que les contraintes temporelles numériques entre ces événements. La programmation logique inductive nous a permis de constituer automatiquement une base de chroniques pouvant repérer une dizaine d’arythmies parmi les plus connues.

    Reconnaissance de chroniques

    Le reconnaisseur de chroniques que nous avons utilisé, CRS (Chronicle Recognition System) développé à France Telecom R & D Lannion, permet de traiter efficacement des flux d’événements importants et des bases de chroniques de taille conséquente. On dispose d’un ensemble de chroniques représentant les arythmies à reconnaître. À l’arrivée d’un nouvel événement, le reconnaisseur de chroniques parcourt les contraintes temporelles de toutes les instances, pour vérifier qu’elles sont cohérentes avec ce nouvel événement. Suivant le cas, de nouvelles hypothèses de chroniques sont initiées, des chroniques sont complètement reconnues ou des chroniques incohérentes sont éliminées. Le reconnaisseur de chroniques s’appuie sur un mécanisme efficace de propagation des contraintes temporelles, d’une part, et sur une méthode performante de gestion des chroniques candidates, d’autre part. À la différence d’autres approches, cette méthode décrit explicitement les informations temporelles incertaines (encadrements de délais). Par ailleurs, elle caractérise les phénomènes à surveiller par des ensembles d’événements discriminants, qui s’avèrent être une représentation compacte et particulièrement efficace lors du traitement.

    Reconnaissance d'une chronique

    Principe de reconnaissance d’une chronique.

    Si une chronique est complètement reconnue, l’arythmie correspondante est détectée. Suivant sa gravité, une procédure d’alerte peut être lancée ou une attitude thérapeutique peut être mise à jour : alarme vers le personnel soignant ou adaptation du programme de stimulation de la prothèse cardiaque.

    Les recherches en cours, réalisées en collaboration avec le LTSI (Laboratoire de Traitement de SIgnal – Université de Rennes 1) et le département de cardiologie du CHU de Rennes, explorent plusieurs directions. Nous cherchons à combiner les informations provenant de plusieurs capteurs, c’est-à-dire de plusieurs voies d’un même électrocardiogramme et aussi de la mesure de pression artérielle, afin de sélectionner les plus pertinentes. Nous cherchons à profiter de la redondance ou de la complémentarité des sources pour spécifier des chroniques qui exploitent au mieux les sources d’information conjointement, en particulier, en présence de bruit. Par ailleurs, nous appliquons des méthodes similaires à des signaux moins réguliers, par exemple dans le domaine des réseaux de télécommunications, pour repérer des schémas d’attaques à partir des traces provenant de journaux d’alarmes.

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    René Quiniou

    Chercheur Inria dans l'équipe DREAM.
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    Marie-Odile Cordier

    Professeur à l'université de Rennes 1, responsable de l'équipe DREAM.
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    Élisa Fromont

    Chercheuse dans l'équipe DREAM.
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    François Portet

    Ancien doctorant dans l'équipe Inria DREAM.
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