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Turbulence piégée sur image

Environnement & Planète
Modélisation & Simulation
Produire de l’énergie par fusion thermonucléaire, cela paraît encore hors de portée aujourd’hui. Le recours à la simulation des phénomènes qui se produisent dans les réacteurs permet d’avancer vers ce but.

Cette animation simule les niveaux d’énergie des particules dans une tranche de plasma.

Ces quelques secondes d’animation semblent bien anodines. Elles concrétisent pourtant une étape importante dans un domaine de recherche privilégié des spécialistes de l’énergie : la fusion thermonucléaire. Elles visualisent en effet une simulation de phénomènes se produisant dans des réacteurs de fusion thermonucléaire, les tokamaks. De tels tokamaks sont étudiés depuis les années soixante-dix. L’objectif est de parvenir à produire de l’énergie en reproduisant, dans une enceinte immense, la réaction qui permet au soleil de nous éclairer et de nous chauffer. «Sur cette animation, on voit la manière dont se répartissent les particules dans une tranche de plasma », précise Gilles Depret, physicien au Loria, et l’un des initiateurs de ce projet de simulation. De quoi s’agit-il ?

De l’expérimentation…

La fusion a d’abord été utilisée à des fins militaires, dans les bombes nucléaires comme les bombes H. Mais sa mise en œuvre à des fins de production d’énergie reste du domaine de la recherche, et pour longtemps encore. Les chercheurs n’espèrent guère aboutir à un réacteur industriel avant 2050, et encore. Les difficultés sont autant d’ordre technique que scientifique. L’enjeu des recherches est en effet de réussir à créer et à entretenir un état de la matière particulièrement complexe, appelé plasma, similaire à celui dont est constitué le soleil. C’est en effet dans le plasma que peut se produire la réaction de fusion.

À l'intérieur du tokamak JET

À l’intérieur du tokamak JET : à gauche au repos, à droite avec plasma (Cliché EFDA-JET).

Or pour que celui-ci se maintienne dans la durée, il faut des conditions de température et de densité extrêmes : 100 millions de degrés Celsius environ, et 1020 particules par mètre cube (soit 100 milliards de milliards de particules). Ces conditions sont réalisées naturellement dans le soleil. Pour les atteindre sur Terre, il faut chauffer et confiner cette sorte de « soupe gazeuse » au moyen d’un champ magnétique. Cela ne suffit pas. Il faut aussi éviter les pertes d’énergie, en particulier par turbulence. C’est l’un des problèmes majeurs non encore résolu.

…à la visualisation des phénomènes

Compte tenu du coût élevé des expériences, les chercheurs ont recours à des simulations, sur la base de modélisations numériques (comme cela a été entrepris pour les armes nucléaires). L’un des thèmes majeurs de recherche dans ce domaine concerne le confinement de la chaleur et des particules dans les plasmas de fusion. Les modèles numériques associés sont ceux de la turbulence plasma. Ces derniers (modèles cinétiques) sont résolus dans des espaces de dimension supérieure à 3. Ils demandent des moyens de visualisation très puissants. « À l’heure actuelle, une grande quantité d’informations, faute d’être visualisée, nous échappe », commente Virginie Grandgirard, ingénieur de recherche au CEA (Cadarache), et qui apporte ses compétences de mathématicienne au projet.

Visualisation avancée d'une portion de tore

Visualisation avancée des variations du potentiel dans le tore.
Rendu volumique montrant globalement les variations du potentiel dans le tore. Ici, les fortes valeurs du potentiel (en rouge) sont rendues opaques, les autres valeurs sont transparentes. Ceci permet de mieux appréhender la structure du potentiel.

Les physiciens attendent donc beaucoup des méthodes de visualisation telles que celles développées avec l’INRIA, dans le cadre d’une action de recherche coopérative. Explication de Bruno Lévy, chercheur au Loria : « Par notre technique de visualisation, nous pouvons désormais suivre la distribution des particules dans les trois dimensions de l’espace ». Sur la petite vidéo, les couleurs illustrent en effet les niveaux d’énergie des particules.

Inutile de dire que de tels modèles manipulent d’énormes quantités de données. Environ 300 mégaoctets dans les simulations actuelles, des téraoctets avec des modèles numériques plus précis. Il faut quelques secondes pour créer chaque image. Le film est visualisé ultérieurement. Bientôt, il sera réalisé en temps réel (soit 24 images par seconde). L’un des objectifs à terme est de réussir à visualiser l’évolution temporelle des données en quatre voire cinq dimensions.

Cela devrait aider notamment les physiciens à maîtriser des phénomènes complexes comme les turbulences. Ces tourbillons, en dissipant l’énergie du tokamak, nuisent au confinement jusqu’à interruption de la réaction. En visualisant leur évolution temporelle, les chercheurs espèrent trouver le moyen de les contrôler, et ainsi obtenir un plasma auto-entretenu. Alors seulement on pourra parler de l’énergie de fusion comme énergie du futur.

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Isabelle Bellin

Journaliste scientifique.
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