
Transport automatique en centre-ville : d’une expérimentation à la généralisation ?
Les véhicules automatiques fonctionnent depuis plusieurs décennies dans les usines. Ils apportent régularité, silence, sécurité, efficacité énergétique et environnementale, tout en se déplaçant lentement à 1 m/s. Avec une vitesse quatre fois plus grande, 4 m/s soit presque 15 km/h, donc toujours lente pour une circulation urbaine, peuvent-ils dès à présent offrir des services utiles aux citoyens ?
Cadre expérimental
Les « cybercars » fonctionnent comme l’ascenseur qui date lui, de 1853 : 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et à la demande.
À Antibes, près de trois mille personnes ont pu expérimenter pendant dix jours cette nouvelle sorte d’« ascenseur public horizontal » sur le premier tronçon de 320 m d’un projet global de navette automatique.
Pour ce faire, il a fallu reconfigurer la voirie : supprimer le stationnement latéral, reporter sur une voie la dangereuse circulation automobile. L’intégration urbaine était un des points les plus importants, car il n’était pas question d’installer des grillages de part et d’autre du trajet. Les piétons n’étaient canalisés que par des agencements d’espaces verts et une signalisation spécifique. Dans le cadre de l’expérience, les modes doux (vélos, roller, véhicules électriques…) partageaient la même voie.
La navette s’arrêtait à cinq abribus dans un sens, et parcourait l’autre sens sans arrêt à une vitesse de 4 m/s (14,4 km/h). Malgré ces courtes distances, l’expérience, riche d’enseignements, va permettre de compléter le programme d’évaluation globale du projet CyberMove.
Résultats techniques de l’expérimentation
Le premier volet de l’évaluation technique a pu confirmer d’excellentes performances.
Un critère important – la flexibilité d’installation – a pu être vérifié, avec un temps d’installation record. Une fois les plans détaillés établis, l’installation des deux cents aimants et le relevé précis de leurs positions par un géomètre se sont faits en une nuit. Un mois après, la navette, déchargée du camion à 9 heures, fonctionnait dès le début d’après midi pour dix jours, suivant imperturbablement le programme de travail enregistré en mémoire.
Le guidage, très précis, n’a jamais été pris en défaut durant les 320 km parcourus, à raison de 9 heures par jour. Les manœuvres de demi-tour, la précision centimétrique obtenue aux arrêts, un test « grande vitesse » (25 km/h) : tous les tests permettent d’affirmer que la technologie de contrôle est au point. Le confort des passagers est supérieur à celui d’un système guidé mécaniquement, plus lissé.
La détection d’obstacle s’est aussi avérée très performante, dans des conditions difficiles puisque le circuit était ouvert, et qu’il est très difficile d’éviter les comportements relevant de l’inconscience. Plusieurs personnes ont ainsi voulu vérifier le bon fonctionnement du système de sécurité, « pour voir », quitte à se jeter devant la navette au dernier moment. Avec pour résultat de vérifier l’efficacité de l’arrêt d’urgence, aux dépens des passagers debout ! La stratégie de sécurité adoptée – ralentir puis réfléchir – a bien fonctionné : une fois les piétons marchant au bord du trottoir détectés, le véhicule ne pourra les croiser à plus de 2 m/s. Mais cette stratégie a un impact certain sur la vitesse commerciale du système de transport, nous y reviendrons plus loin.
Le système de supervision, installé à titre de démonstration principalement, a lui aussi bien fonctionné, après quelques soucis de réglages d’antennes, la couverture radio étant perturbée par les arbres faisant obstacle aux ondes radios.
L’avis du public

Une classe d’école primaire essaie la navette (école Guynemer, Antibes).
Puisque la technique semble au point, voyons ce qu’en pense le public !
Nous avons recueilli près de trois cents questionnaires auprès du public, interrogé sur le fonctionnement du système, mais aussi sur son rôle de transport de proximité. Tous portent un fort intérêt à ces solutions innovantes : « Quand pourra-t-on l’utiliser ? » ou « Il faut prolonger le trajet jusqu’au centre ville » ou encore « Cela donne une image de modernité au transport public. »
Le service est jugé utile, facile à utiliser, économique, avec de bonnes performances (même si certains ont trouvé les 15 km/h un peu lent !), confortable, silencieux, respectueux de l’environnement. Parmi les nombreuses réactions positives, celles des personnes dont les difficultés liées à la mobilité urbaine sont extrêmes : personnes à mobilité réduite, personnes âgées et enfants.
Le plus étonnant est sans doute cette réaction des enfants d’une classe de CM1 : « Enfin des voitures qui s’arrêtent lorsque nous traversons à un passage piéton ». Il semblerait que le code de la route soit mieux respecté par les cybercars que par les automobilistes !
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Dessins d’élèves de CM1 (école Guynemer, Antibes). |
Plus prometteur encore, le système de mobilité – ayant pour but de désengorger le centre ville en garant sa voiture à l’entrée de la ville – rencontre une adhésion remarquable : 67% des personnes ayant répondu aux questions des enquêteurs et enquêtrices bénévoles.
Ces bons résultats sont-ils suffisamment significatifs? De fait, l’analyse des questionnaires montre que peu d’actifs se sont rendus sur le site d’essai, avec près de 60% de plus de cinquante ans parmi les personnes ayant répondu. Par ailleurs, des réactions d’indifférence ou d’hostilité ont été entendues sans pouvoir être quantifiées. Il faut donc prendre avec humilité ces résultats.
Des questions ouvertes
Les cybercars sont-ils encore en phase de recherche ou bien réellement en développement ?
Sur le plan technique, l’innovation pose deux difficultés principales :
- l’autonomie réduite, liée à l’utilisation d’une batterie qui limite les premières applications à des distances de 1 à 3 km ;
- la faible vitesse atteinte, limitant la capacité de transport des cybercars.
La propulsion hybride (électrique/thermique) permettra d’augmenter la portée des cybercars. L’amélioration de la détection d’obstacles est attendue de la fusion de données issues des capteurs actifs (lasers) et passifs (vision). Associée à une infrastructure intelligente, signalisation pour les piétons notamment, cela devrait permettre d’atteindre une vitesse de service suffisante en vue d’une exploitation concrète.
Sur le plan socio-économique, les deux principales questions qui reviennent et pour lesquelles les réponses ne sont pas satisfaisantes aujourd’hui sont liés à l’automatisme : emploi et convivialité.
La réponse classique est valable ici : « la qualité de service est augmentée à niveau d’emploi constant ». Un système de trois navettes nécessite la présence d’une personne en continu pour la supervision, deux personnes sont en charge de la maintenance. Il est certain que la convivialité apportée par le chauffeur pour des transports de proximité ne pourra pas être comblée par un système d’information, même performant. On peut cependant s’inspirer de l’histoire des ascenseurs qui étaient conduits à leurs débuts par une personne.
D’une expérience à sa généralisation ?
Étendues à l’échelle d’une ville, d’un pays, de l’Europe, ces technologies pourraient offrir une réponse au drame du changement climatique annoncé. Mais une introduction brutale de technologies peut effrayer : la déshumanisation, notre sécurité dans les mains de caméras et les difficultés de mise en œuvre rendent impalpable cette généralisation. Alors, comme il a fallu cinquante ans de tout automobile pour nous rendre dépendants, nous faudra-t-il encore cinquante ans pour matérialiser cette vision innovante de la mobilité du futur ?
Ce qui nous semble clair est que l’Histoire devra commencer dans les centres-villes, avec les déplacements de proximité. Les transports de personnes, et plus encore de biens, y sont responsables d’une part importante des émissions de CO2. Avec un gaspillage d’énergie démentiel, puisque ces déplacements se font en majorité dans des véhicules de plusieurs centaines de kilos, transportant un peu plus d’une personne (1,2 en moyenne urbaine) avec une puissance minimum de quelque 30 kW, sachant qu’en admettant la mécanisation du déplacement inévitable, seuls 2 kW sont nécessaires.
Mais une expérimentation sur 320 mètres n’est pas suffisante pour démontrer les économies d’énergie immenses qu’apporterait l’optimisation d’une flotte de véhicules.
De même, la capacité à désengorger les centres-villes n’est pas démontrable. Dans l’état actuel des recherches en modélisation du trafic, on est incapable de projeter les résultats des premiers sites étudiés, d’une longueur de quelques centaines de mètres, à l’échelle d’une ville.
La liberté de se déplacer est perçue comme importante. Aujourd’hui, seuls 30% des déplacements seraient systématiques (donc organisables), en particulier les trajets domicile-travail. Les 70% restants sont très difficiles à caractériser – et c’est très bien ainsi. Cette évolution de la société du temps libre rend cependant difficile la tâche des planificateurs de trafic, voire impossible à infrastructure constante.
La relation à la vitesse doit être au cœur de la réflexion, et passer du paradigme de vitesse (toujours plus vite) à la maîtrise du temps. Il est curieux de constater que depuis 2000 ans, la vitesse de déplacement urbaine dite de porte à porte n’a pas beaucoup évolué dans les centres-villes. On est toujours autour des 10 km/h, elle serait même en régression pour les « transports en commun ». Il y a donc bien un problème d’appréciation du temps. Fonctionnant à 15 km/h, nous pensons avoir démontré que l’on peut utiliser de petits véhicules urbains lents, légers et à propulsion électrique pour les déplacements courts.
L’impact des technologies
Les sciences et technologies de l’information et de la communication ont un grand rôle à jouer si elles s’intègrent dans une démarche de recherche et expérimentations, d’autant plus difficile à mener dans le domaine du transport que les motivations de 70% de déplacements individuels ne sont pas modélisables.
Les technologies de l’information permettent de choisir à tout moment le meilleur mode de déplacement, utiliser le système ayant la plus grande efficacité énergétique et environnementale (de ce fait, le plus économique), voire décider de ne pas se déplacer grâce aux moyens de communication.
L’automatisation nécessite, elle, plus de précautions, elle est accusée de déshumanisation ! Il faut donc évaluer ses impacts point par point, en impliquant tous les acteurs : usagers, opérateurs, économistes, autorités politiques.
Plusieurs problèmes pluridisciplinaires restent ouverts, qui pourraient associer les STIC aux domaines de l’économie, puisqu’il y a un réel potentiel de croissance durable ; des sciences sociales, comme la psychosociologie qui étudie les usages ; des techniques de marketing et de communication ; voire des sciences politiques et du droit, car aujourd’hui, alors que 50% des Français n’ont pas le permis de conduire, l’automobile fait la loi. En tout état de cause, le débat ne peut avancer qu’en s’appuyant sur l’expérimentation en grandeur réelle.
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