Écouter pour voir
Visualiser les déformations, invisibles à l’œil nu, d’un objet en vibration : cette problématique est récurrente dans l’industrie. Elle sert notamment à concevoir des véhicules peu bruyants, afin de diminuer les nuisances sonores urbaines. Or les techniques d’imagerie acoustique classiques sont très coûteuses ou complexes à mettre en place.
Ce dessin animé présente une nouvelle technique plus rapide et moins coûteuse : l’holographie acoustique compressée. Derrière ce nom un peu barbare se cache un moyen de visualiser rapidement les déformations d’un objet à partir du son capté lors de sa mise en vibration. Un luthier pourrait par exemple y avoir recours lorsqu’il façonne ou répare une guitare.
Résultats mathématiques récents, modélisation physique des vibrations et augmentation vertigineuse de la puissance de calcul des ordinateurs : découvrez en images les coulisses de ce nouvel outil.
Quel est ce bruit bizarre dans ma voiture ? D’où vient ce ronronnement désagréable dans ma cuisine ? Pourquoi ce violon a-t-il un son fantastique alors que cet autre, d’apparence identique, sonne très différemment ? Autant de questions traitées par l’imagerie acoustique, qui permet de visualiser des sons, ou plus précisément les vibrations de l’air engendrées par un objet en vibration.
Beaucoup de progrès ont été obtenus depuis les travaux pionniers d’Ernst Chladni et August Kundt, qui visualisaient certains phénomènes de vibration sur des plaques ou dans des tubes. Aujourd’hui, la technique industrielle de référence pour la mesure de vibrations est la vibrométrie laser. Cette technique construit une image de la vibration d’un objet en illuminant successivement chacun de ses points avec un laser.
Mais ce dispositif de mesure est très coûteux. L’obtention de l’image peut nécessiter plusieurs heures de mesure et requiert un mécanisme complexe pour contrôler précisément la vibration tout au long de l’acquisition. Les acousticiens ont donc mis au point une autre technique, nommée holographie acoustique, qui consiste en quelque sorte à écouter l’objet vibrer avec un ensemble de microphones, appelé antenne acoustique. En s’appuyant sur un modèle de la propagation du son entre l’objet vibrant et l’antenne, on peut alors remonter à la vibration à partir du son mesuré, sur le principe de la résolution d’un problème inverse (voir aussi : L’art de couper les têtes sans faire mal). On obtient ainsi en un temps de mesure très réduit une image de résolution équivalente à celle de la vibrométrie laser… à condition de disposer d’une antenne composée de quelques milliers de microphones ! On peut aussi simuler une telle antenne à partir d’une antenne de seulement une centaine de microphones, en effectuant plusieurs mesures et en déplaçant la « petite » antenne, mais il faut alors reproduire la vibration à l’identique à chaque déplacement de l’antenne.
L’idéal serait de faire l’acquisition pour une seule position de l’antenne, mais comment reconstruire alors une image acoustique de bonne résolution ? Pour y parvenir, il faut aller plus loin dans la modélisation de la vibration de l’objet. D’abord, bien que la vibration d’ensemble apparaisse comme complexe, elle s’exprime plus simplement comme superposition de ce qu’on appelle des modes propres, précisément le type de vibrations simples que Chadli et Kundt nous avaient déjà appris à visualiser il y a déjà plus de deux siècles. Reconstruire la vibration revient alors à reconstruire ces modes. C’est ici qu’interviennent des propriétés particulières des modes, qui s’expriment eux-mêmes comme superposition d’un très petit nombre de formes très simples appelées ondes planes. On appelle cela la propriété de parcimonie des modes : il suffit de peu d’ondes planes pour caractériser précisément un mode.
L’holographie acoustique compressée s’appuie sur la propriété de parcimonie des modes pour visualiser la vibration de l’objet à partir de mesures effectuées avec une antenne faite d’un nombre réduit de microphones. La reconstruction utilise des algorithmes qui combinent les mesures effectuées avec la propriété de parcimonie. Même si cela peut sembler contre-intuitif, l’ensemble du processus nécessite de l’irrégularité lors de la mesure. Il peut s’agir de l’irrégularité de la forme de l’objet vibrant, par exemple, la table d’harmonie d’un instrument, dont la forme est souvent complexe. Il peut s’agir aussi de celle de l’antenne elle-même, qui peut être construite de façon irrégulière. Lorsque ces deux conditions — l’irrégularité et la propriété de parcimonie — sont réunies, l’holographie acoustique compressée permet de visualiser la vibration en une seule mesure avec l’antenne acoustique, ce qui prend à peine quelques secondes.
Lire aussi l’article L’holographie acoustique dans Pour la Science n°451, mai 2015.
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Rémi Gribonval
Directeur de recherche Inria, responsable de l'équipe PANAMA (IRISA, Inria Rennes / CNRS).
Nancy Bertin
Chargée de recherche CNRS au sein de l’équipe PANAMA (CNRS, IRISA / Inria Rennes).