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    Le climat en équations

    Environnement & Planète
    Modélisation & Simulation
    Les modèles climatiques, mis au point notamment grâce à l'étude des paléoclimats, permettent de fournir des projections pour les prochaines décennies.

    Il est fréquent de confondre météorologie et climat. Alors que la météorologie s’intéresse au temps qu’il fait à l’échelle de quelques jours, le climat concerne son comportement statistique à des échelles d’au moins quelques dizaines d’années. Le changement climatique actuel est un fait avéré scientifiquement. La température moyenne à la surface de la Terre a augmenté de près de 1 °C depuis le début de l’ère industrielle, à la fin du XIXe siècle. Si le climat a toujours connu des variations dans l’histoire de la Terre, c’est la première fois que sa modification est essentiellement d’origine anthropique. Le réchauffement actuel, qui semble s’accélérer ces dernières décennies, est en effet dû très majoritairement à l’augmentation des concentrations dans l’atmosphère de gaz à effet de serre (en particulier le dioxyde de carbone) causée par les activités humaines.

    Composantes du système climatique et interactions.
    © Vincent Landrin (source : 4e rapport du GIEC).

    Montée du niveau des océans, modification des régimes de pluie, intensification de phénomènes météorologiques extrêmes, fonte de la banquise, conséquences sur la faune et la flore…, évaluer l’ampleur et les conséquences du changement en cours et déterminer l’impact de futurs choix politiques et économiques sont des enjeux actuels majeurs. Cela nécessite la description et la compréhension du « fonctionnement » du climat, notamment grâce à l’étude des climats passés et par la mise au point de modèles permettant d’effectuer des prévisions. La complexité du système climatique et la diversité des questions le concernant requièrent de faire appel à de nombreuses branches des mathématiques.

    Un système dynamique complexe

    Décrire le climat, c’est tout d’abord expliciter le fonctionnement de ses principales composantes : l’atmosphère et l’océan bien sûr, qui sont au cœur du système, mais aussi la cryosphère (calottes polaires, banquises, glaciers, surfaces enneigées), les cours d’eau, les sols, la biosphère, etc. Cela est réalisé au travers de modèles, c’est-à-dire d’équations mathématiques traduisant les principes qui régissent l’évolution du système : lois de conservation, transformations chimiques, relations entre espèces vivantes, etc. Aujourd’hui, les lois de comportements de l’atmosphère et de l’océan sont assez bien connues. En revanche, c’est beaucoup moins vrai pour celles qui régissent la glace, la biogéochimie marine ou encore la végétation terrestre. De plus, au-delà de la description de chacun de ces« compartiments », il faut aussi expliciter leur interactions, au travers d’échanges d’énergie, d’eau ou encore de carbone. Ces interactions sont souvent très complexes, et il reste pour beaucoup d’entre elles une grande marge d’incertitude sur leur mise en équations.

    De nombreux modèles ont été développés pour décrire le climat. D’un point de vue mathématique, il s’agit de systèmes dynamiques non linéaires, domaine très complexe dont la théorie a notamment été entreprise par Henri Poincaré (1854-1912). À vrai dire, on ne sait analyser les propriétés mathématiques des modèles climatiques que pour des cas extrêmement simplifiés qui n’ont que peu de choses à voir avec la réalité. Il est cependant généralement admis que le climat est un système dynamique présentant plusieurs « bassins d’attraction », c’est-à-dire plusieurs régimes d’équilibre ou de quasi-équilibre, potentiellement très différents les uns des autres et entre lesquels des transitions abruptes seraient possibles. Le risque d’un tel basculement du régime actuel vers un régime inconnu est souvent évoqué lorsque l’on envisage des scénarios catastrophes, par exemple l’arrêt du Gulf Stream sous l’effet d’importants apports d’eau douce en mer du Labrador dus notamment à la fonte des glaces du Groenland.

    La reconstitution des climats passés

    Une approche privilégiée pour décrire et comprendre le fonctionnement du système climatique est bien sûr l’étude des climats passés. Mais les reconstituer est une tâche ardue, car les indices sont rares, souvent peu accessibles et complexes à exploiter. Par exemple, il n’existe pas d’archive directe de la température dans le passé et, pourtant, la déterminer est évidemment un enjeu essentiel. Les méthodes statistiques, et notamment la notion de proxy, jouent ici un rôle crucial. À titre d’illustration, considérons les carottages effectués à grande profondeur dans les glaces polaires. Ils constituent une exceptionnelle machine à remonter le temps, l’analyse des bulles d’air emprisonnées dans la glace donnant accès à la composition de l’atmosphère du passé sur plusieurs centaines de milliers d’années. Les glaciologues ont déterminé empiriquement une corrélation entre la température et la composition isotopique de l’air, plus précisément le rapport entre les concentrations en deutérium et en hydrogène ou encore celui entre les concentrations en oxygène 18 et en oxygène 16. Ces rapports sont ce que l’on appelle des proxies de la température. Mis au point et validés rigoureusement par des techniques statistiques, de nombreux proxies sont utilisés en climatologie pour relier diverses quantités mesurées sur des témoins du passé (cernes des arbres, pollens, concrétions calcaires, coraux, fossiles, etc.) aux données climatologiques proprement dites.

    Modèles numériques et puissance de calcul

    Maillage tridimensionnel d’un modèle climatique. Les couleurs représentent la température et les flèches le vent.
    © Vincent Landrin, d’après Laurent Fairhead/LMD/CNRS.

    Nous avons évoqué plus haut les modèles mathématiques du climat constitués de systèmes d’équations traduisant le comportement de chaque « compartiment » ainsi que leurs interactions. La complexité de ces modèles est telle qu’il est hors de question de les résoudre de façon exacte. En revanche, on peut en chercher des solutions approchées grâce aux techniques de simulation numérique sur ordinateur. L’idée de base consiste à définir un maillage de chaque composante (c’est-à-dire par exemple à découper l’atmosphère en un grand nombre de « briques » de quelques kilomètres de côté) et à approcher les équations de départ à l’intérieur de chaque maille en ne faisant plus intervenir que les quantités physiques dans les mailles voisines (on parle de discrétisation). Ainsi la dérivée selon la direction x de la température au centre d’une maille numéro i sera remplacée par un taux d’accroissement calculé à partir des températures dans les mailles de gauche (i – 1) et de droite (i + 1), par exemple : (dT/dx)i ~ (Ti+1 – Ti-1) / (xi+1 – xi-1).

    On remplace donc les équations continues initiales très complexes et contenant de nombreuses dérivées par un grand système d’équations dont les inconnues sont « seulement » les variables physiques (température, vitesse, concentrations chimiques, etc.) et qui peut être résolu par ordinateur. Les mathématiques appliquées interviennent ici à plusieurs niveaux : pour faire en sorte que les solutions des équations discrétisées au sein de chaque composante soient une bonne approximation des solutions des équations de départ, pour coupler de façon cohérente ces composantes ou encore pour résoudre efficacement le très grand système discrétisé.

    La mise en œuvre informatique de tels modèles est un véritable défi de calcul scientifique. Le comportement du système climatique, même à grande échelle, est en effet largement influencé par les phénomènes de plus petite échelle (voir Turbulences et interactions d’échelles).

    Turbulences dans un fluide. Interactions entre de multiples tourbillons et filaments à différentes échelles.
    © Pierre-Antoine Bouttier/LEGI-LJK

    L’atmosphère et l’océan sont des fluides turbulents, c’est-à-dire animés de nombreux tourbillons, évoluant de façon apparemment désordonnée et à de multiples échelles spatiales. L’existence de ce phénomène de « cascade d’échelles » peut être illustrée simplement. En effet, les équations qui décrivent cette dynamique comportent un terme non linéaire, en l’occurrence le produit entre la vitesse et son gradient (le vecteur contenant ses dérivées dans toutes les directions). En dimension 1, ce terme vaut u(x) u’(x). Si l’on suppose que la vitesse u contient des termes à une certaine échelle L, c’est-à-dire du type sin(2 π x/L), alors u u’ = 2 π/L sin(2 π x/L) cos(2 π x/L) = π/L sin(2 π x/(L/2)), ce qui fait apparaître des termes à échelle deux fois plus petite L/2, qui par le même effet feront naître des termes d’échelle encore deux fois plus petite, etc. Ces structures de petites échelles ont une influence très significative sur le comportement à grande échelle du fluide, d’où l’importance pour les modèles numériques d’avoir une résolution suffisamment fine.

    Il est donc théoriquement nécessaire d’utiliser les modèles avec une résolution spatiale suffisamment fine. Idéalement, elle devrait être de l’ordre de quelques kilomètres, mais la taille des systèmes à résoudre et donc le nombre d’opérations à effectuer pour cela dépasseraient alors très largement les capacités des plus puissants supercalculateurs actuels. La résolution des modèles climatiques est donc fixée pour l’instant — et le sera encore pendant de nombreuses années — en fonction de la puissance de calcul disponible. La résolution demeure à l’heure actuelle relativement faible : 100 à 150 km sur l’horizontale et quelques dizaines à centaines de mètres sur la verticale pour l’atmosphère et l’océan. Les plus fines échelles spatiales ne sont donc pas présentes dans les modèles et leur effet sur le climat à plus grande échelle ne peut qu’être simulé très imparfaitement au moyen de termes ad hoc artificiellement ajoutés aux équations. Mais, même avec cette résolution insuffisante, les modèles doivent calculer l’évolution de plusieurs dizaines de millions de variables sur des durées de plusieurs dizaines d’années avec une périodicité de l’ordre de 15 à 30 minutes, ce qui représente un volume de calcul gigantesque.

    Prévoir les évolutions futures

    Au-delà de la simulation des climats passés, un intérêt majeur de ces véritables monstres numériques que sont les modèles climatiques est bien évidemment la prévision du climat futur. Il est important d’insister sur un point fondamental : même s’il est intrinsèquement impossible de prévoir la météo au-delà d’une échéance de l’ordre de quinze jours — c’est le fameux « effet papillon » rendu célèbre par Edward Lorenz (1917-2008), qui illustre le caractère fondamentalement chaotique de la dynamique de l’atmosphère —, son comportement statistique (c’est-à-dire le climat) est par contre tout à fait prévisible plusieurs dizaines d’années à l’avance. C’est du même ordre que prévoir précisément l’évolution de la température moyenne dans une casserole d’eau selon le réglage de la flamme, alors que l’on est incapable d’anticiper le comportement exact de chaque molécule.

    Prévoir le climat futur suppose au préalable d’être capable de reproduire le climat passé. Les modèles numériques sont donc réglés et validés en comparant leurs résultats aux observations disponibles, notamment celles, nombreuses, des décennies récentes. Une fois mis au point, ils peuvent alors fournir des projections sur les évolutions possibles du climat dans les décennies, voire les siècles à venir.

    Ces études sont coordonnées au niveau international par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Ce groupe créé en 1988 par l’ONU fournit tous les cinq ou six ans un rapport de synthèse sur les connaissances scientifiques concernant le changement climatique, le 5e rapport étant paru fin 2013. Plusieurs « futurs possibles » des sociétés humaines (développements économique et démographique, choix énergétiques, évolution des comportements individuels) sont traduits en termes de scénarios d’émissions de gaz à effet de serre. Les centres de recherche de par le monde simulent alors avec leurs différents modèles (une cinquantaine pour le 5e rapport) les évolutions climatiques qui en résulteraient. Une synthèse globale est ensuite réalisée afin de dégager des tendances fiables et de quantifier les incertitudes autour de ces tendances. À l’heure actuelle, il y a globalement une convergence entre ces modèles concernant l’évolution à l’échelle planétaire. Cependant, préciser les futurs changements climatiques à l’échelle d’un pays ou d’une région demeure extrêmement difficile, du fait de l’influence locale du caractère chaotique de la météorologie. Du point de vue de l’informatique scientifique, les données issues de ces simulations numériques représentent un volume de plusieurs dizaines de petaoctets (1 Po = 1015 octets), soit l’équivalent du contenu de plusieurs dizaines de milliers d’ordinateurs personnels. L’exploitation de ces données représente donc également un véritable défi technologique.

    La recherche en sciences du climat, très active à l’échelle internationale, a conduit à des avancées remarquables ces dernières années. Les travaux, souvent pluridisciplinaires, font appel à une large palette de domaines mathématiques : théorie des systèmes dynamiques, méthodes statistiques, analyse numérique, etc. Pour les années à venir, de grands progrès doivent être réalisés dans la prévision précise du changement climatique à l’échelle régionale et, à échéance de dix ou vingt ans, la modélisation de ses impacts sur les espèces vivantes, l’économie, etc. La contribution de scientifiques d’horizons très divers sera absolument nécessaire pour relever ces défis, et les mathématiciens y auront un rôle à jouer.

    Cet article est paru dans la revue Textes et documents pour la classe (TDC) n° 1062 « Les mathématiques de la Terre », éditée par le CNDP, en partenariat avec Inria et à l’initiative du comité éditorial d’Interstices.

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    Éric Blayo

    Professeur à l'Université Joseph Fourier (Grenoble 1) et responsable de l'équipe MOISE.
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