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    Comment améliorer le rendement des éoliennes ?

    Modélisation & Simulation
    Environnement & Planète
    Nul ne peut désormais ignorer l'impact néfaste du numérique sur l'environnement ! Néanmoins, les sciences du numérique peuvent aussi contribuer à l'optimisation de la production de certaines énergies renouvelables. Explications avec le scientifique Valentin Resseguier, qui utilise la modélisation des fluides pour améliorer le rendement des éoliennes.

    Écoutez l’interview de Valentin Resseguier

    Retranscription

    Lorenzo Jacques pour Interstices : Chers auditeurs et auditrices, bienvenue dans ce 97e podcast d’Interstices. Un des enjeux fondamentaux des sciences du numérique présent en arrière-plan dans de nombreuses recherches est celui de l’énergie. Le machine learning, le cloud, l’Internet des objets et Internet en général, consomment une quantité fantastique d’énergie. Avec tous les problèmes d’approvisionnement, de pollution et de répartition que cela implique. Mais les sciences du numérique sont partout et peuvent également nous aider à augmenter et à améliorer la production de notre énergie. Pour en parler, je reçois aujourd’hui Valentin Resseguier. Valentin, bonjour.

    Valentin Resseguier : Bonjour

    Interstices : Valentin Resseguier, vous êtes responsable scientifique au sein de l’entreprise Callian et vous utilisez la modélisation de fluides pour améliorer le rendement de nos éoliennes. C’est bien ça ?

    V. Resseguier : Oui c’est bien ça. Donc je travaille sur des algorithmes qui permettent aux éoliennes de connaître le vent qui arrive sur les éoliennes et ainsi permettre aux éoliennes de s’adapter en temps réel : adapter leur fonctionnement pour moins s’abîmer et durer plus longtemps, et aussi augmenter leur rendement.

    Interstices : Donc au final, c’est un travail de météorologue mais dédié uniquement aux éoliennes ?

    V. Resseguier : Alors en fait c’est à plus petite échelle que la météo. Quand on parle de météo en général c’est à plus grande échelle, donc peut-être à partir de 100 km ou plus. Ici je m’intéresse soit à l’échelle d’un parc voire à l’échelle d’une éolienne ou d’une pale d’éolienne. Donc c’est soit de la micro-météo, soit vraiment ce qu’on appelle de l’aérodynamique d’une éolienne et d’une pale d’éolienne.

    Interstices : Et donc vous utilisez les mêmes techniques que la météorologie pour prévoir la force et le sens du vent ?

    V. Resseguier : Il y a des similarités avec la météorologie. Tout d’abord j’utilise les mêmes équations physiques que les météorologues donc les équations qui décrivent le mouvement des fluides comme l’air ou l’eau. Ensuite, j’utilise un outil mathématique qu’on appelle l’assimilation de données qui permet le couplage entre simulation physique et mesures. C’est quelque chose qui est très utilisé en météo depuis des décennies et moi je fais du couplage de simulation de mécanique des fluides (simulation physique des fluides) avec des mesures faites sur les éoliennes pour connaître, non pas la météo au dessus de la France, mais l’écoulement d’air autour d’une éolienne ou d’une pale d’éolienne.

    Interstices : Et qu’est-ce que ça change pour une éolienne de savoir à l’avance comment le vent va souffler et dans quelle direction ?

    V. Resseguier : À l’échelle de la pale d’une éolienne, la plupart des éoliennes peuvent orienter leur pale pour changer l’angle que fait la pale sur son axe, ce qu’on appelle le pitch de la pale, et cet angle, quand l’éolienne change cet angle, elle permet de changer l’alignement entre la pale et le vent ; et cet alignement a des influences sur les forces qui s’exercent sur la pale et en particulier, si le vent varie, des fluctuations du vent et des forces sur la pale abîment les pales et à terme, ça se traduit par une augmentation des coûts de maintenance donc une augmentation du coût de l’énergie et aussi une durée de vie des éoliennes plus courte. Donc ça c’est à l’échelle de la pale et à l’échelle d’un champ d’éoliennes, une éolienne peut gêner une autre éolienne du parc si elles sont alignées sur la même direction dans le vent. C’est-à-dire que le vent arrive sur une première éolienne dans le parc. Derrière cette éolienne il y a moins de vent parce que la première éolienne a récupéré beaucoup d’énergie du vent, et en aval, derrière, s’il y a une seconde éolienne, elle peut être gênée par la première éolienne, récupérer moins de vent et donc produire moins d’énergie. Donc pour diminuer ce phénomène-là, qui est lié à l’orientation du vent, on peut orienter chaque éolienne, donc ici ce n’est pas au niveau de la pale, c’est vraiment au niveau de l’éolienne, on peut orienter chaque éolienne de façon intelligente pour maximiser ici la production d’énergie du parc éolien.

    Interstices : Et le but c’est donc aussi de développer des algorithmes qui vont pouvoir décider eux-mêmes de la direction des éoliennes et du pitch de leurs pales pour maximiser la production d’électricité ?

    V. Resseguier : Oui c’est exactement ça. Donc à partir de certaines mesures et des simulations en temps réel, on a certaines informations sur le vent à l’instant t et éventuellement des prédictions dans un futur proche et à partir de ces informations-là, on utilise un autre algorithme qui s’appelle un contrôleur qui va commander à différents éléments des pales d’éoliennes et de la ferme d’éoliennes pour orienter les pales ou les éoliennes de certaines façons pour maximiser le rendement ou diminuer les problèmes mécaniques induits sur les éoliennes. Je travaille principalement sur le premier type d’algorithme, pas le contrôleur, l’algorithme qui permet à partir de mesures de pouvoir estimer et prédire l’écoulement d’air autour des éoliennes.

    Interstices : Pourtant, le vent, son écoulement, la modélisation des fluides, c’est ce qu’on appelle un système chaotique. C’est un système instable qui change énormément selon de minuscules variations de son état initial. Ces systèmes sont réputés très difficiles à modéliser, comment est-ce que vous faites dans le cas de la modélisation du vent dans les éoliennes ?

    V. Resseguier : Pour cela, j’utilise différents outils mathématiques et les informations qui viennent des mesures. Donc comme vous le dites, la mécanique des fluides est chaotique. Donc non seulement, une mauvaise connaissance des conditions initiales — donc l’état de vent à un instant — peut créer des erreurs sur nos simulations de l’écoulement du vent à un instant plus tard — donc l’information des conditions initiales est importante — mais aussi la qualité de la simulation est importante. Parce que si on fait des erreurs dans nos simulations parce qu’on a un ordinateur qui n’est pas assez puissant et donc on ne prend pas en compte tous les détails du système par exemple, ces erreurs-là, comme les erreurs de conditions initiales, ces erreurs vont grossir dans le temps avec notre simulation et, assez vite, notre simulation n’aura plus rien à voir avec la réalité du vent autour de l’éolienne, le vrai vent. Donc pour contourner ce problème, je travaille sur un nouveau formalisme de mécanique des fluides, la mécanique des fluides qui est la physique des mouvements d’air et d’eau. Je travaille sur un nouveau formalisme de mécanique des fluides qui est partiellement aléatoire. Donc il n’est pas déterministe, il n’y a pas une condition initiale qui va donner un certain état final. Pour une condition initiale, il y a plusieurs futurs possibles. Certains éléments du système sont inconnus, par exemple les conditions initiales sont mal connues, les petits tourbillons qui sont dans les creux de l’éolienne par exemple ou les petites turbulences du vent arrivant sur l’éolienne sont mal connues. Eh bien, plutôt que de juste les négliger, en fait dans nos simulations physiques, on considère ces petits tourbillons, ces petites choses mal connues comme aléatoires. Et au lieu de faire une seule simulation qui sûrement ne serait pas en phase avec la réalité à cause de ces phénomènes chaotiques, on génère plusieurs simulations qui prédisent les différents futurs probables, possibles, de notre système. Donc on génère plusieurs formes de vent possibles autour de la pale d’éolienne et ensuite, on fait le choix de tel ou tel vent ou parmi ces différents scénarios possibles, on fait le choix grâce aux mesures locales qu’on fait sur l’éolienne.

    Interstices : Et à partir de ces mesures, vous êtes capable de déterminer le type de vent qui est en train de souffler sur l’éolienne ?

    V. Resseguier : Oui donc quand on génère nos différents scénarios possibles, on fait une simulation complète de l’état du vent autour de la pale d’éolienne ou autour de l’éolienne, c’est-à-dire la vitesse du vent partout dans un domaine spatial et dans le temps autour de l’éolienne. Et à partir de cet état de vent, à l’instant t dans le futur, on peut déterminer des observations artificielles qui correspondraient à tel ou tel scénario. Donc si on prend le premier scénario généré, peut-être qu’il va y avoir une observation qui va dire que le vent est de 3 mètres par seconde, un autre de notre scénario de simulation va nous dire que le vent est de 5 mètres par seconde, on compare avec la vraie mesure qui est faite à l’instant t sur l’éolienne qui nous dit le vent est de 4,5 mètres par seconde par exemple. Bon ben 4,5 mètres par seconde, c’est beaucoup plus proche de 5 mètres par seconde que de 3 mètres par seconde, donc on va plus croire nos scénarios qui donnent des observations de 5 mètres par seconde que 3 mètres par seconde. Et on va recentrer la simulation vers ces scénarios qui nous donnent des observations cohérentes avec la réalité. Et ça, ça va nous permettre de recaler nos simulations avec la réalité et donc d’avoir des simulations qui, malgré le côté chaotique, sont vraiment en phase avec ce qui se passe autour de l’éolienne. 

    Interstices : Alors, justement, est-ce que ça marche ? Est-ce qu’on arrive à augmenter le rendement des parcs éoliens en y installant des capteurs et en utilisant vos algorithmes ?

    V. Resseguier : Alors, pour l’instant, mes algorithmes ne sont pas utilisés sur les champs d’éoliennes, je travaille sur des projets assez amont de recherche, donc pour l’instant on ne travaille pas encore sur les éoliennes, on a plutôt des essais en simulation pour des représentations très simplifiées d’éoliennes, et dans ce cadre-là ça marche dans un environnement numérique contrôlé et on a des idées pour faire évoluer le système vers plus de réalisme, pour aller jusqu’aux vraies éoliennes.

    Interstices : Nous l’avons dit, Valentin Resseguier, vous travaillez pour une entreprise privée. On oppose souvent les secteurs de la recherche publique d’un côté et privée de l’autre. Est-ce que vous, vous y avez trouvé une différence ? 

    V. Resseguier : Oui, oui, bien sûr, il y a énormément de différences. Une entreprise privée, son but est de faire de l’argent donc bien sûr, tout va être orienté, à terme en tout cas, vers le business pour faire de l’argent. Alors qu’un labo académique, son but, il me semble, c’est plutôt la création de connaissances, ce qui passe par exemple par l’écriture d’articles scientifiques. Donc déjà, les buts premiers sont complètement différents. Ensuite, il peut y avoir bien sûr des liens parce que dans une entreprise privée qui veut faire de l’argent, potentiellement, elle a besoin de nouveaux outils pour développer des nouveaux business et donc pour ces nouveaux outils, elle a besoin soit de se servir de la connaissance créée par la recherche académique, donc en lisant des articles scientifiques, soit complètement d’essayer de créer elle-même un peu de connaissance, de développer des idées pour créer des nouveaux outils vraiment en avance sur ses concurrents pour pouvoir faire du business autour de ça. De l’autre côté, du côté académique, il y a certes la création de connaissances mais certains chercheurs sont aussi intéressés par rendre plus « utiles » leurs travaux en essayant de transférer ces travaux vers un public plus large, notamment le monde industriel pour que le monde industriel puisse plus facilement s’accaparer les connaissances créées et développer des activités économiques grâce à ça. Et donc voilà, il y a un pont entre les deux mondes à cet endroit-là, mais forcément dû aux buts qui sont différents, déjà les temps caractéristiques sont complètement différents. En recherche, on va plutôt se poser la question d’étudier tel ou tel sujet, regarder un petit peu pendant six mois, un an, telle idée, faire une thèse de trois ans sur tel ou tel nouveau projet, nouvelle idée, alors que dans le privé, le réflexe va plutôt être de regarder quelque chose de nouveau sur une demi-journée ou une semaine. Bien sûr il est possible de faire des projets longs dans le privé mais c’est un gros investissement pour l’entreprise, donc c’est quelque chose qui n’est pas du tout naturel, et qui doit être défendu en interne dans des grosses structures. Dans les petites structures, ils n’ont pas forcément la trésorerie pour faire des projets long terme comme ça et souvent, que ce soit dans les grosses structures ou dans les petites structures, il faut trouver des financements même pour le chercheur permanent pour pouvoir travailler ou commencer à réfléchir à tel ou tel sujet nouveau.

    Interstices : Bien, merci beaucoup Valentin Resseguier. C’est sur cette dernière question que notre interview va s’achever, merci beaucoup d’avoir répondu à nos questions.

    V. Resseguier : Merci à vous.

    Interstices : Et merci beaucoup chers auditeurs et à la prochaine fois sur Interstices. Au revoir Valentin Resseguier.

    V. Resseguier : Au revoir.

    Chers auditeurs et auditrices, à la prochaine, et n’oubliez pas les sciences du numérique sur Interstices.

     

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    Valentin Resseguier

    Responsable scientifique des mathématiques appliquées à Scalian.

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    Lorenzo Jacques

    Chargé de projet éditorial au sein d'Inria, responsable de l'animation d'Interstices (d'avril à novembre 2022).

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