À glisser sous le sapin : nos recommandations de Noël 2025 !
Bug : Livre 4
Enki Bilal (Éditions Castermann, octobre 2025)
Le tome 4 est enfin sorti ! Avant de vous jeter dessus, je vous recommande de relire les tomes précédents pour vous remettre en mémoire les nombreux personnages et leurs interactions.
Ce nouvel opus partage les qualités esthétiques des précédents, avec peut-être un virage vers une représentation proche de l’abstraction pour illustrer le mal ou le chaos. Le montage s’accélère avec un entrelacement serré des péripéties des différents personnages, toujours parsemé de Unes de journaux qui permettent de saisir les implications au niveau planétaire de ce qui arrive à Kameron Obb, le personnage principal.
Le propos reste d’actualité : la question dans ce tome est désormais moins notre dépendance et notre perte d’autonomie vis-à-vis du numérique, que notre attitude face à ces entités extérieures qui nous suggèrent et même nous dictent nos actions.
Pages 34-35 : « IL est là, face à moi, et JE suis sa chose.
Il s’en prend aux données données par Gemma, ma fille, qu’il me fait occulter.
Il les extirpe de mon cerveau comme on aspire la moëlle d’un os trop cuit. C’est un monstre, je le sais, mais je lui suis soumis sans restriction ni révolte.
Pire : je suis en admiration.«
Je lis la lutte de Kameron Obb contre le bug qui l’a envahi comme un parallèle et un encouragement, face aux intelligences artificielles, à retrouver notre indépendance, notre esprit critique et notre pouvoir de décider, à exercer notre discernement de ce qui est moral ou non, à agir collectivement en faveur de ce qui est bon pour l’humanité. Enki Bilal a annoncé être déjà à pied d’œuvre pour le cinquième et dernier tome, mon impatience me fait souhaiter qu’il paraisse dans un délai plus court que celui-ci.
Numérique : on arrête tout et on réfléchit !
Yves Marry (Éditions Rue de l’échiquier, février 2024)
Dans ce court essai d’une centaine de pages, Yves Marry, cofondateur et délégué général de l’association Lève les yeux !, qui lutte contre la surexposition aux écrans et promeut la déconnexion, nous met face à notre addiction aux outils numériques.
Les chiffres sont implacables : en France, en 2022, chaque foyer a en moyenne six écrans ; 87 % des français de plus de 12 ans disposent d’un smartphone, renouvelé tous les deux ans ; les enfants de moins de 6 ans passent en moyenne 3 h par jour devant un écran, et les adultes plus de 10 h ; les outils numériques ont investi tous les secteurs de la société : administrations, éducation nationale, services de santé, justice, loisirs et bien entendu l’économie.
Cet état de fait est mis en perspective historique, comme aboutissement d’une quête de puissance des états et des entreprises, sans réel assentiment des citoyens et citoyennes qui deviennent captifs du système mis en place.
L’auteur passe ensuite en revue les conséquences de cette addiction, qui sont majeures et de plus en plus appuyées par les études scientifiques : impacts écologiques en termes de ressources minières, de consommation d’énergie et de pollution ; impacts sur la santé (réduction du temps de sommeil, baisse de concentration, difficultés d’apprentissage) ; impacts sur le fonctionnement de la société (isolement des individus, création de bulles informationnelles, atteintes au débat démocratique).
Pour faire face à ces menaces, l’auteur appelle finalement à organiser collectivement une dé-numérisation, dans la perspective d’une société plus humaine, conviviale et pleinement choisie par les citoyens.
Certains lecteurs et lectrices ne seront certainement pas d’accord avec la vision d’Yves Marry et préféreront mettre en avant les avancées permises par les outils numériques. Quoiqu’il en soit, cet ouvrage, bien référencé et facile à lire, a le mérite de nous faire réfléchir sur l’usage du numérique au quotidien et sur sa place dans notre société.
Les filles sont parfaites pour les sciences !

Anne Haguenauer, Vincent Moncorgé, Clémence Perronnet, Isabelle Vauglin (Éditions MKF, octobre 2025)
Le point de départ de « Les filles sont parfaites pour les sciences » est l’exposition « La science taille XX Elles », portée par l’association Femmes et Sciences. On y retrouve 48 portraits de femmes scientifiques : les photographies de Vincent Moncorgé les montrent belles, diverses, pleines de fantaisie, d’humour et souvent d’auto-dérision, et toujours lumineuses, et pour chaque femme la photo est accompagnée d’un court texte.
Mais le livre va beaucoup plus loin. J’ai aimé sa structure, claire et convaincante, en trois parties. Tout d’abord il donne un état des lieux et en même temps une perspective historique qui montre qu’il y a toujours eu des femmes scientifiques, malgré les obstacles, malgré l’effacement de leur contribution, et que la situation actuelle ne leur est toujours pas favorable. Une deuxième partie insiste sur la diversité des profils, des parcours, des métiers et des façons de l’exercer. La dernière partie fait le lien avec l’engagement de ces femmes scientifiques pour « un monde meilleur » et leurs contributions dans le domaine de la préservation de l’environnement, d’un numérique plus éthique, de la santé…
Rédigés par Clémence Perronnet (également autrice de La bosse des maths et co-autrice de Matheuses – Les filles, avenir des mathématiques), des textes de chapitres courts et clairs expliquent les différentes notions mentionnées et donnent des coups de projecteur sur certains faits significatifs, avec à chaque fois la référence complète de la source.
Bien sûr, on retrouve de nombreux portraits de femmes travaillant dans le numérique dans la partie consacrée à l’intelligence artificielle et au numérique éthique, mais d’autres portraits d’informaticiennes et de mathématiciennes sont égrenés tout au long de l’ouvrage : elles sont 12 parmi les 48 femmes présentes.
J’ai apprécié aussi les portraits et interviews plus longs réalisés par Stéphanie Prouvost. En 2 à 3 pages, ils permettent de faire plus ample connaissance avec la scientifique qui détaille son travail sans jargon, en le replaçant dans son objectif global, ainsi que son parcours et ses réflexions qui illustrent le sujet abordé : par exemple pour illustrer le besoin de diversité dans le domaine de la santé, une scientifique évoque ses travaux sur l’étude des effets des traitements médicaux sur les femmes aussi.
Bref, j’ai aimé rencontrer ces femmes scientifiques d’aujourd’hui, leurs difficultés qui ne sont pas éludées et leur optimisme contagieux. Je conclurai par l’un des titres de sous-chapitres : « Une pour toutes, toutes pour une ! » : que ce livre informe et donne envie, à toutes et à tous, de s’interroger voire même de s’engager dans une démarche ou des études scientifiques.
Alan Turing : Pionnier de l’intelligence artificielle
Yukata Matsuo, Kaoru Osada (traduit par Adrien Becam, Éditions Kurokawa, collection Kuro savoir, septembre 2025)
Si l’on s’intéresse aux origines des sciences du numérique, on ne peut que se réjouir de voir l’histoire de cet ingénieux mathématicien qu’était Turing investir différentes formes de la culture populaire. Après de nombreux ouvrages retraçant sa vie, une adaptation cinématographique et même une pièce de théâtre, voici maintenant le manga sur la vie d’Alan Turing, pionnier de l’intelligence artificielle.
On y découvre la vie du mathématicien à travers le témoignage de son amie et collaboratrice, la mathématicienne Joan Clarke, en train de raconter son histoire à sa petite-fille qui n’est alors qu’une enfant en 1992. Ce parti pris narratif nécessite que les explications données tout au long du livre soient simples et accessibles. La vie de Turing, de ses premières années d’existence durant la première guerre mondiale, en passant par la seconde guerre mondiale, jusqu’à sa mort en 1954, est découpée en cinq chapitres : enfance, scolarité, l’éclosion d’un talent, Alan et Enigma, les dernières années d’Alan.
Bien que j’ai trouvé le premier chapitre un peu caricatural — Turing y est décrit comme un enfant atypique, différent, ayant du mal à s’intégrer à la « vie normale »—, et que je ne connaisse pas suffisamment sa vie pour mettre en doute la véracité de cette représentation, on plonge rapidement dans son univers. Au-delà de la vie personnelle du mathématicien de génie (un qualificatif un peu trop martelé à mon goût), c’est l’histoire scientifique de cette période que l’on traverse également. Les contributions des scientifiques de renom comme Hilbert, von Neumann, Gödel, y sont mentionnées. Sans parler des concepts fondamentaux dans l’histoire des mathématiques et des sciences du numérique qui y sont expliqués de façon concise : nombres premiers, machine de Turing, théorie de la calculabilité, etc. Les connaisseurs sauront apprécier l’effort de vulgarisation admirable sur un tel format, les novices y découvriront une histoire tout simplement passionnante !
Ce manga sur Turing révèle un travail bien documenté dont la qualité et le dessin sont appréciables. En prime, pour finir, vous aurez le plaisir de pouvoir tester vos connaissances acquises au fil de cette lecture avec un quiz. Alors qu’attendez-vous pour devenir incollable sur Turing ?
L’univers de Pi : Le nombre mystérieux qui rend tout le monde dingue
Jean-Baptiste Aubin, Anita Lehmann, et Joonas Sildre (Éditeur Helvetiq, collection Pointue, février 2025)
Une fois n’est pas coutume, nous vous conseillons un livre à offrir à votre petit frère, votre petite sœur, votre cousin, cousine, neveu ou nièce.
Le livre commence par les présentations : qui est \(\pi\) et pourquoi a-t-il été baptisé ainsi ? Qu’est-ce qui, en lui, a suscité autant d’intérêt ? Spoiler : \(\pi\) est le rapport entre la circonférence — ou le périmètre, dont il est l’initiale en grec — d’un cercle et son diamètre, et ce rapport est constant pour tous les cercles, les plus petits comme les plus grands. Le chapitre suivant nous convie à un tour du monde pour retracer l’histoire des travaux autour de \(\pi\), il se termine par la chasse au record du nombre de décimales connues et pourquoi on s’obstine à en calculer toujours plus. Les derniers chapitres nous invitent à jouer avec \(\pi\), que ce soit pour partager des pizzas ou des blagues, ou pour nous creuser la tête avec la « preuve » que \(\pi =4\) et aussi \(\pi =2\) ! Par exemple, saviez-vous (page 72) que « le volume d’une pizza dont la hauteur est A et le rayon est Z est égal à PI.Z.Z.A ? »
Les illustrations sont pleines de détails et d’humour, tout comme le texte, un peu loufoque. Le propos est accessible dès le collège (on trouve le théorème de Pythagore dans l’une des preuves — preuves dont la lecture est facultative) mais, pour un lectorat plus âgé, ce livre fournira un point de départ utile si l’on veut creuser de multiples pistes, comme l’irrationnalité de \(\pi\) — et je salue l’art des auteur, autrice et illustrateur pour rendre cette notion accessible —, l’histoire des travaux autour de \(\pi\) ou le développement de formules de plus en plus efficaces pour en calculer de nombreuses décimales. Est également évoquée avec légèreté la conjecture que \(\pi\) est un nombre univers même si le terme n’est pas employé, c’est-à-dire que la suite des décimales de \(\pi\) contient toutes les séquences finies d’entiers comme votre date de naissance, votre identifiant INSEE ou votre numéro de téléphone et même les œuvres de Shakespeare une fois transformées en une suite de chiffres (par exemple A=01, B=02… Z=26, pour le codage le plus simple que l’on peut imaginer). L’autre conjecture qui apparaît, sans s’y appesantir, est la conjecture que \(\pi\) est un nombre normal, c’est-à-dire que toute séquence apparaît « aussi fréquemment » que n’importe quelle autre séquence de même longueur ; une autre façon de le voir est que la suite des décimales de \(\pi\) semble aléatoire.
Un livre à offrir aux plus jeunes mathématiciens et mathématiciennes en herbe de votre entourage et à feuilleter sans vergogne pour en profiter aussi !
L’après
Padraig Kenny (Éditions Lumen, mai 2025)
Ce roman de Padraig Kenny est une belle amorce pour échanger avec les plus jeunes autour des thématiques de l’intelligence artificielle, de la robotisation, des interfaces humains-machine et sur les (potentiels) impacts sociétaux que cela peut engendrer. On y retrouve également des questionnements écologiques, autant sur l’impact des robots que sur celui des humains sur la planète. Nous sommes plongés dans un univers post-apocalyptique suite à une rébellion de certaines machines (les « mékas ») contre les humains. Jen, une jeune adolescente survit et explore son environnement avec son père, un androïde doté d’une Intelligence Artificielle (IA) : un secret qu’ils gardent précieusement. Dès le début et tout au long du livre on s’interroge : le véritable danger vient-il des machines ou bien de celles et ceux qui les créent ?
Cette lecture fut une belle surprise, facile à lire et bien écrite ! On y découvre les réflexions profondes d’une ado sur des évolutions et progrès technologiques, empreintes d’émotion et d’humour notamment quand Jen essaie d’expliquer le concept d’une blague à son père ! En bref, je conseille cet ouvrage qui s’inscrit pleinement dans l’actualité, notamment aux parents qui souhaitent sensibiliser leurs enfants sur ces sujets et qui ne savent pas trop comment s’y prendre pour engager la discussion.
Recommandation de lectorat à partir de 10 ans par Lumen – 260p.
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