Frédérique Clément, vétérinaire et biomathématicienne
Suivant sa vocation initiale, Frédérique Clément a d’abord choisi d’être vétérinaire. Lors d’un stage à l’INRA, elle découvre le monde de la recherche. Son diplôme de Docteur vétérinaire obtenu, elle s’oriente vers les biomathématiques et effectue ses travaux de thèse dans le département « mathématiques informatique appliquée » (MIA) de l’INRA. Elle poursuit ses travaux au cours d’un séjour postdoctoral à l’University College London.
À son retour, elle intègre l’équipe SOSSO de l’INRIA Rocquencourt, dont l’activité est centrée sur les outils et applications de l’automatique. Depuis, Frédérique Clément travaille sur deux thèmes : la modélisation du système cardio-vasculaire – dans ce cadre, elle a animé pendant quatre ans l’action de recherche coopérative ICEMA – et celle de la fonction de reproduction, dans l’espèce humaine et chez les mammifères domestiques, avec ses partenaires de l’ACI REGLO.
Comment caractériser le contrôle qui s’exerce sur les cellules folliculaires ?
La cellule germinale femelle, l’ovocyte, grandit au sein d’une structure spécifique, le follicule ovarien, qui la protège et l’accompagne dans sa maturation. Les cellules folliculaires secrètent une hormone, l’œstradiol, qui témoigne de la maturité folliculaire et ovocytaire et conduit au déclenchement du signal d’ovulation par l’hypothalamus – la décharge ovulatoire de l’hormone GnRH (Gonadotropin Releasing Hormone).
Une femme dispose à sa naissance d’une réserve d’environ 500 000 ovocytes, dont environ 400 seulement ovuleront sur l’ensemble d’une vie reproductive. 99,9% disparaîtront donc en cours de route. L’enjeu scientifique est de comprendre ce qui détermine cette sélection, afin de pouvoir en moduler l’intensité.
Dans le cadre de ses travaux de thèse, Frédérique Clément a d’abord cherché à modéliser la cinétique cellulaire au sein du tissu principal du follicule ovarien, la granulosa. La granulosa présente un grand intérêt, non seulement pour la physiologie de la reproduction, mais aussi de manière plus générale, pour la biologie cellulaire : c’est un exemple, rare dans un organisme adulte, de tissu où coexistent les processus de prolifération, de différenciation ainsi que d’apoptose (mort cellulaire programmée, à l’inverse de la mort accidentelle dans la nécrose). En l’espace d’un peu plus d’une semaine, par exemple, l’effectif cellulaire de la granulosa, chez la brebis, passe de 200 000 à six millions de cellules : un taux de croissance beaucoup plus rapide que celui d’une tumeur, et néanmoins étroitement régulé.
Les apports de la modélisation
Au fur et à mesure du développement folliculaire, les cellules de granulosa commencent à se différencier, perdant leur capacité de prolifération mais devenant de plus en plus performantes pour la sécrétion hormonale. Les résultats de modélisation ont fait émerger la notion de « capital prolifératif » dont la gestion entraînera, ou non, l’ovulation. Si la granulosa passe trop tôt d’une situation de prolifération à une situation de différenciation, la « masse cellulaire » produite in fine sera insuffisante pour déclencher l’ovulation. Cette notion a renouvelé la vision des biologistes, en y incorporant une dimension dynamique, et a suscité de nouvelles approches expérimentales (comme la mesure de la fraction de croissance – proportion de cellules proliférantes).
Alors qu’il est parfois tentant de penser que les chercheurs à l’interface entre plusieurs disciplines peuvent travailler indifféremment pour telle ou telle application, Frédérique Clément, qui profite d’une double formation (vétérinaire et biomathématicienne), estime qu’il est essentiel de connaître en profondeur les processus que l’on cherche à modéliser. C’est un atout pour analyser puis synthétiser une masse d’informations complexes et les réduire aux éléments et interactions essentiels.
En 2002, la problématique de recherche sur le contrôle de l’ovulation a reçu le soutien d’une ACI « Technologies pour la santé » du ministère de la Recherche, baptisée REGLO (REGulation de L’Ovulation). Le projet bénéficie de trois visions complémentaires : la vision clinique (de l’hôpital Necker), la vision zootechnique et l’expertise physiologique (de l’INRA) et la vision de la modélisation et de l’automatique (de l’INRIA).
Cette action concertée incitative associe trois unités : l’UMR 6175 « Physiologie de la Reproduction et des Comportements » de Tours (unité mixte INRA-CNRS-Université François Rabelais de Tours-Haras Nationaux), l’INRIA Rocquencourt (projet SOSSO), et l’Unité de Recherche Clinique de l’Hôpital Necker-Enfants Malades.
Vers un modèle multiéchelle
L’équipe SOSSO, que Frédérique Clément a rejointe à l’INRIA fin 1999, cherche à faire émerger une modélisation multiéchelle de processus biologiques, à travers une hiérarchie de systèmes contrôlés. Cette démarche correspond parfaitement à la physiologie de la reproduction qui met en jeu, par exemple, de multiples échelles de temps. Les variations saisonnières sont très importantes chez certains animaux. À ces variations vient s’ajouter le cycle ovarien (28 jours en moyenne chez la femme), l’échelle de la vie reproductive, de la puberté à la ménopause (une trentaine d’années), le cycle complet de développement d’un follicule ovarien (6 mois), les communications hormonales (quelques minutes), les interactions hormone/récepteur (moins d’une seconde). Toutes ces échelles de temps s’interpénètrent. Ce qui se passe à l’échelle de la seconde aura des répercussions sur les phénomènes plus longs et réciproquement. Cette synchronisation relève de réglages très fins et sa description ne peut se faire que dans une cascade de modèles hiérarchisés et interdépendants.
La communication entre différents organes, ou différents tissus d’un même organe, constitue un autre facteur de complexité : la fonction de reproduction femelle implique à la fois les ovaires, l’hypophyse et l’hypothalamus qui interagissent au sein de plusieurs boucles de rétroaction (feedback). Enfin, les moyens d’observation sont limités et en général invasifs. Il est en particulier difficile d’acquérir des données de suivi folliculaire individuel et l’ensemble de données exploitables pour la modélisation a souvent un caractère hétérogène (lié aux différences de conditions d’expérimentation – in vivo/in vitro -, d’espèces, de situations physiologiques…).
En 2004, REGLO a fêté ses trois ans, au cours desquels différentes approches de modélisation ou d’expérimentation ont été mises en œuvre. Les équipes poursuivent leurs recherches et tentent actuellement d’intégrer différentes techniques d’imagerie à leurs travaux, pour améliorer l’observation non invasive des phénomènes : l’échographie (vision à l’échelle macroscopique, soit 0,1 à 1 mm) apportant une image in vivo et surtout dynamique, et l’IRM (vision à l’échelle mésoscopique, soit 10 à 100 µm). Cette nouvelle approche bénéficie d’un soutien dans le cadre des Actions de Recherche Coopératives de l’INRIA, en partenariat avec le projet EPIDAURE de l’INRIA Sophia Antipolis.
La modélisation de la fonction de reproduction a encore beaucoup de chemin à faire, mais l’enjeu est de taille. Le succès ovulatoire est une composante essentielle du succès reproductif dans son ensemble, et une meilleure compréhension des événements menant à l’ovulation est un préalable indispensable à l’amélioration des protocoles de maîtrise du cycle ovarien, à visée thérapeutique dans l’espèce humaine ou zootechnique chez les mammifères domestiques.
Newsletter
Le responsable de ce traitement est Inria. En saisissant votre adresse mail, vous consentez à recevoir chaque mois une sélection d'articles et à ce que vos données soient collectées et stockées comme décrit dans notre politique de confidentialité
Niveau de lecture
Aidez-nous à évaluer le niveau de lecture de ce document.
Votre choix a été pris en compte. Merci d'avoir estimé le niveau de ce document !