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Simulation de tsunami sur une île © Inria / Photo H. Raguet
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    Idée reçue : Grâce à la simulation, on peut tout prédire

    Environnement & Planète
    Modélisation & Simulation

    Des causes anodines peuvent, parfois, avoir des effets importants. De nombreux adages illustrent cette idée : « Petites causes, grands effets », « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé » (Blaise Pascal), « À cause du clou, le fer fut perdu. À cause du fer, le cheval fut perdu. À cause du cheval, le cavalier fut perdu. À cause du cavalier, la bataille fut perdue. À cause de la bataille, le royaume fut perdu. Et tout cela pour un simple clou » (comptine citée notamment par Benjamin Franklin).

    Illustration : Vivian Fayard.

    De l’effet papillon

    La science, à travers la « théorie du chaos » vient conforter la sagesse populaire. On connaît en effet maints exemples de systèmes « dynamiques » où une petite erreur sur la condition initiale conduit, à court terme, à une évolution impossible à prédire. Cet effet a été popularisé par un article célébrissime de Lorenz, en 1972, et caricaturé par le terme « effet papillon » : le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? Bien que l’article de Lorenz pose la question sans rien affirmer, c’est devenu une image d’Épinal que de répondre par l’affirmative. L’effet papillon est évoqué partout, dans la littérature, dans la musique, au cinéma avec notamment le film « Jurassic Park » tiré du roman de M. Crichton, où l’on comprend que c’est bien à cause de cet effet que les dinosaures finiront par dévorer des personnages du récit : on en voit d’ailleurs bien là les conséquences terribles, car on ne se serait jamais douté que ça finirait comme ça. De fait, une sourde inquiétude naît à l’évocation de l’effet papillon. Existerait-il quelque part une horde de papillons machiavéliques battant des ailes pour provoquer de terribles tempêtes et détrôner un jour l’humanité ?

    De l’effet de moyenne…

    Néanmoins, la sagesse populaire, toujours elle, ne peut manquer de poser une question sibylline. Justement, avec tous les papillons qu’il y a dans le monde, pourquoi n’y a-t-il pas tout le temps des tempêtes ? La science conduit paradoxalement à la même question. Un exemple paradigmatique de système sensible aux conditions initiales est un « gaz » de billes qui s’entrechoquent avec une énergie d’autant plus grande que la température du gaz est élevée (gaz dit « parfait »). Changer un tout petit peu la vitesse d’une particule va changer l’évolution ultérieure du système, par un mécanisme de réaction en chaîne (cette particule heurte celle-ci, qui heurte celle-là, etc.).

    Il n’en reste pas moins qu’à notre échelle, le gaz obéit à une loi très simple liant température, pression et volume. À cette échelle, donc, tout le « chaos moléculaire » semble effacé pour conduire à une régularité qui permet la reproductibilité des expériences et la formulation de lois. Il n’y a pas là de paradoxe, au contraire. C’est le désordre à l’échelle des molécules qui génère des comportements dont la statistique, à grande échelle, est prédictible. De tels exemples sont légion en physique et ailleurs. À la lueur de ce commentaire, on comprend simplement que les perturbations induites par d’innombrables papillons battant des ailes se compensent, se « moyennent », et donnent lieu à une météo raisonnablement prévisible sur des périodes de quelques jours.

    … qui n’explique pas tout

    Cependant, cette explication n’est pas entièrement satisfaisante. D’abord, parce qu’on sait bien qu’on ne peut pas prédire la météo au-delà de quelques jours. On peut penser que c’est parce que le climat est un système très complexe dont on ne gère pas toutes les variables et c’est certainement vrai. Mais on peut trouver des exemples simples de systèmes dont le comportement peut devenir sensible à des perturbations en dépit de l’effet de la moyenne évoquée plus haut. Ainsi, considérons de nouveau un gaz dont on abaisse doucement la température. Le corps considéré va rester à l’état gazeux jusqu’à ce qu’il atteigne un point, dit de « transition de phase » où il va changer brutalement d’état, du gaz au liquide puis du liquide au solide. En particulier, sous certaines conditions d’expérience, il peut présenter le phénomène de « surfusion » où le corps reste liquide bien qu’il soit en dessous de sa température de solidification. Alors, une toute petite perturbation va le transformer « instantanément » en solide. Dans ce cas, donc, une toute petite cause va produire un immense effet.

    Introduire la notion de risque

    Mais il y a aussi des exemples où un système peut se placer « spontanément » (en fait, en réaction au milieu extérieur) dans un tel état « critique ». Il s’agit de systèmes dans lesquels des contraintes s’accumulent localement jusqu’à un point de rupture générateur de réactions en chaîne sur des échelles qui peuvent être très grandes. Accumulation de neige sur les pentes d’une montagne jusqu’à ce qu’un tout petit choc déclenche une grande avalanche ; accumulation de forces induites dans les plaques tectoniques jusqu’à ce qu’un glissement provoque un tremblement de terre ; accumulation de risques dans l’économie mondiale jusqu’à ce qu’une annonce déclenche une panique générale et un krach boursier ; accumulation de stress, soucis, désillusions dans une population jusqu’à ce qu’un fait divers déclenche une émeute.

    À noter que la prédiction de tels événements de très grande amplitude (« catastrophes ») est un problème ouvert. On est en fait dans un paradigme où même la simulation ne permet pas d’évaluer de façon fiable le risque que de tels événements, ceux qui nous intéressent au premier chef, se produisent. Car les résultats dépendent du modèle choisi, et le modèle est bâti sur des observations pour lesquelles la statistique des catastrophes, qui sont par essence rares, n’est pas suffisante.

    Tandis que le savoir ne remplace pas la sagesse

    Une leçon à en tirer ? L’« effet papillon » n’est pas toujours catastrophique, mais il est de fait certaines circonstances dans lesquelles un effet insignifiant a des conséquences redoutables. L’ennui, c’est qu’on ne sait pas nécessairement quelles sont ces circonstances, par exemple quand le facteur humain entre en jeu. L’histoire nous montre divers exemples où à une période historique stable succède une période tourmentée dans laquelle un événement, qui aurait auparavant été anodin, engendre soudainement des effets incontrôlables. Ainsi, en ces temps troublés de crise planétaire, les solutions ne se dessineront sûrement pas en simulant ce que les tables de la loi du marché prédisent, puisque ce sont ces mêmes lois qui ont conduit, inévitablement, à une situation qui échappe à tout contrôle.

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    Bruno Cessac

    Maître de conférences à l'université de Nice Sophia Antipolis, chercheur à l'INLN (Institut non linéaire de Nice) et membre de l'équipe Inria NeuroMathComp.
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