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    Idée reçue : Inutile d’enseigner l’informatique au lycée !

    Culture & Société
    N’avez-vous jamais entendu dire : « Pas besoin d’apprendre l’informatique, cela s’apprend tout seul ! » ou alors : « Apprendre l’informatique, ça n’apporte rien » ?

    Novembre 2011 : alors qu’une nouvelle option informatique est prévue pour la rentrée prochaine en Terminale S, et que selon le baromètre Inria/TNS Sofres, 80 % des personnes interrogées sont favorables à l’enseignement de l’informatique, cette idée reçue est-elle encore d’actualité ? À vous de juger…

    La révolution du numérique, comme nous l’explique Gérard Berry, est une mutation de notre civilisation au moins aussi importante que l’invention de l’imprimerie de ce Johannes Gensfleisch que l’on nomme Gutenberg et qui précipita la société occidentale du moyen-âge vers les temps modernes. Ce nouveau monde du numérique qui s’ouvre à nous est « autre » : un monde qui ne sera ni pire, ni forcément meilleur, juste à réinventer… et à… enseigner à nos enfants pour qu’ils puissent comprendre et maîtriser ces nouveaux outils sans les subir.

    Dessin © François Cointe.

    Et pourtant, en France aujourd’hui, les lycéennes et lycéens n’apprennent pas les fondements de l’informatique, ils ne font l’apprentissage que de l’utilisation des logiciels (à travers les B2I et C2I). Tous ceux qui n’entreprennent pas des études supérieures en informatique ne seront donc que des « utilisateurs » et non des « créateurs » du monde numérique de demain, assujettis aux logiciels « venus d’ailleurs » et non bâtisseurs de leur propre environnement logiciel.

    En déclinant cette idée reçue, voilà pourquoi nous en sommes là aujourd’hui.

    Informatique et boxe

    Nous pensons : « Pas besoin d’apprendre l’informatique, cela s’apprend tout seul. La preuve : ce sont les enfants qui apprennent l’informatique aux enseignants ! » De même que nous pourrions penser : « Pas besoin d’apprendre le karaté ou la boxe, les jeunes savent se bagarrer tout seuls ! Pas besoin de faire des gammes ou du solfège pour être virtuose, il suffit d’avoir de l’oreille ! »

    Cette idée reçue est la conséquence d’une confusion entre l’apprentissage des usages (la bagarre) et l’apprentissage des fondements (les arts martiaux). Elle néglige aussi le fait que, depuis 40 ans, l’informatique s’est stratifiée et complexifiée : on ne peut plus y « bricoler ». Le mythe de l’auto-apprentissage de quelques « Mozart du clavier » se brise devant la nécessité d’apprendre au plus grand nombre des savoirs et des pratiques qui doivent être intégrés à l’échelle d’une société entière.

    L’analogie avec la boxe est profonde : le risque de mal apprendre (et de devoir passer des heures à se corriger), les risques liés aux mauvaises méthodes (perte de données, logiciels non fiables…) deviennent majeurs. Les « bugs » constituent un exemple édifiant ! Fusée Ariane ? régulateur de vitesse ? équipement médical ? choisissez. Comment ces bugs qui coûtent cher en termes d’argent, de temps, de santé ou de sécurité peuvent-ils être évités ? C’est de l’étude scientifique des logiciels qu’émergent aujourd’hui les logiciels sûrs, ceux pour lesquels il est possible de savoir s’ils sont fiables ou risqués.

    L’enseignement de l’informatique en tant que science est une nécessité. Parmi les nombreuses facettes qui la composent, insistons sur deux aspects fondamentaux : l’algorithmique, qui permet de décrire formellement le fonctionnement des solutions adoptées pour résoudre les problèmes, et la programmation, qui permet de coder ces algorithmes pour les rendre opérationnels pour l’ordinateur.

    Informatique et formation de l’esprit

    Nous pensons aussi : « L’informatique, un pensum indispensable pour comprendre l’univers numérique ? Peut-être… mais quel piètre intérêt pour la formation de l’esprit humain ! » Et pourtant, apprendre les fondements de l’informatique ouvre des perspectives à plusieurs niveaux.

    Au niveau pédagogique, apprendre l’informatique c’est tout autant apprendre des méthodes que des savoirs, des usages que des pratiques éclairées par des fondements théoriques.

    L’informatique se prête à une pédagogie participative, avec un enseignement par mini-projets qui peut être moins magistral, plus orienté vers le travail en groupe. Apprendre à programmer un petit logiciel, c’est donner à l’élève des clés, mais aussi la liberté de s’approprier ces clés et de les mettre en pratique de diverses façons (il y a plusieurs choix possibles dans la manière de mettre en œuvre la solution).

    L’informatique conduit aussi à un apprentissage de la rigueur par un mécanisme très spécifique : celui des essais-erreurs avec une machine « neutre » qui ne donnera un résultat que si tout est correct, mais qui donnera indéfiniment une chance de corriger, de reprendre, de tester (la machine est un outil qui permet d’apprendre de manière incrémentale, sans jamais porter de jugement de valeur).

    L’informatique favorise l’apprentissage par l’utilisation, ce qui correspond bien à l’esprit humain (par exemple, découvrir un algorithme avant d’en déduire la notion abstraite sous-jacente).

    Au niveau intellectuel, l’informatique est un levier pour les autres sciences, car elle permet de mieux comprendre des notions universelles (par exemple, la notion d’information) ou fondamentales (par exemple, le calcul « mécaniste » par opposition à d’autres formes de raisonnement). Elle fait entrevoir l’immense intérêt des sciences théoriques qui permettent de « toucher » (opérer avec, énumérer, visualiser…) des objets abstraits (si l’informatique est une forme de mathématiques, alors il s’agit de mathématiques « incarnées »).

    C’est en apprenant l’informatique le plus tôt possible qu’on tirera le meilleur profit de son rôle transversal à la quasi-totalité des autres disciplines universitaires et socio-économiques.

    C’est en donnant aux citoyens les clés de ce qui émerge ici qu’on pourra, avec eux, découvrir comment les nouvelles technologies aideront à relever les grands défis de notre planète et de l’humanité. C’est en comprenant les fondements de l’informatique que chacun deviendra actif dans les débats et les enjeux de société liés à l’avènement du numérique (par exemple, le droit du logiciel, ou les technologies de l’information dites « vertes »).

    Apprendre l’informatique au lycée : une histoire de poule et d’œuf

    Nous pensons finalement que la formation de nos enseignants constitue un blocage : « Comment leur apprendre à apprendre ce qu’ils n’ont pas appris ? » En fait, il suffit de créer des diplômes d’enseignement en informatique (CAPES, Agrégation). Les postes seront pourvus progressivement, lycée par lycée, comme ce fut le cas pour l’apprentissage de la technologie au collège il y a quelques années, ou comme pour l’apprentissage du calcul formel en classes préparatoires. La situation actuelle est particulièrement favorable, car nous avons désormais au niveau universitaire le plein d’étudiants en informatique, et beaucoup seraient candidats. Ce sont des étudiants dits de « maths-info », heureux mariage de compétences pour enseigner l’informatique fondamentale dont on parle ici. Par ailleurs, la situation démographique va entraîner le recrutement de nouveaux enseignants, il faut en profiter dans les mois et les années qui viennent.

    Sinon… que vont devenir nos enfants, dans ce monde qui émerge, si nous continuons de ne pas leur apprendre ces nouveaux fondements du savoir ? Vers quel échec courons-nous si nous ne commençons pas, dès le lycée, à apprendre cette discipline qui a fait la révolution du numérique : l’informatique ?

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    Pascal Guitton

    Professeur émérite de l'université de Bordeaux.

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    Thierry Viéville

    Directeur de recherche Inria dans l'équipe MNEMOSYNE.

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