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    Olivier Bernard et les écosystèmes de la dépollution

    Environnement & Planète
    Pour nettoyer et recycler l'eau, l'homme a domestiqué des écosystèmes, des populations de bactéries ou de plantes qui consomment et digèrent les matières biologiques. Du lagunage à l'utilisation de « boues activées », ces systèmes sont très sollicités par des activités humaines qui consomment de plus en plus d'eau. Pour les rendre plus efficaces, Olivier Bernard leur applique la démarche de l'automatique : comprendre les réactions et les modéliser pour automatiser le processus et le contrôler à distance.

    Des mathématiques appliquées à la biologie

    Olivier Bernard voulait étudier la biologie, mais la curiosité et les hasards de l’orientation l’ont d’abord conduit vers les mathématiques. Après des études d’ingénieur et un DEA d’automatique, il choisit de travailler sur les écosystèmes et notamment sur la modélisation du réseau trophique d’un étang de pisciculture.

    Un réseau trophique est le siège des flux de matière et d’énergie qui s’échangent entre les divers organismes d’un écosystème : producteurs, consommateurs, décomposeurs. Par exemple le phytoplancton (composante végétale du plancton composée de microalgues) est brouté par le zooplancton (composante animale du plancton) qui lui même est mangé par certains poissons. Après leur mort, ces organismes sont décomposés par des bactéries qui recyclent les sels minéraux nécessaires au développement du phytoplancton.

    Sous sa forme la plus simple, un réseau trophique peut être limité à la coexistence d’organismes producteurs et décomposeurs. Pour se développer, il a besoin d’énergie lumineuse et d’éléments nutritifs. Par exemple, par leur activité de photosynthèse, les algues prélèvent dans l’eau le gaz carbonique (CO2) et les sels minéraux nécessaires à l’élaboration de la matière végétale, et libèrent de l’oxygène dans le milieu aquatique. Cet oxygène, indispensable pour la respiration des animaux, est également utilisé comme source d’énergie par certaines bactéries, afin de décomposer la matière organique morte et enrichir l’eau en CO2 et en sels minéraux.

    Le réseau trophique est en général plus complexe. Dans un écosystème, tous les organismes interagissent entre eux. La matière élaborée par les végétaux est transmise le long d’une chaîne de consommateurs successifs (herbivores, carnivores, détritivores, décomposeurs). En permettant ainsi le flux de matière et d’énergie, ces interactions conditionnent l’existence de l’écosystème. Compte tenu de la complexité du milieu et des voies de recyclages, il convient de parler de réseau trophique plutôt que de « chaîne alimentaire ».

    À la recherche d’un projet de thèse dans ce domaine, il se retrouve, « par une chance extraordinaire », à Villefranche-sur-Mer, au laboratoire d’océanographie où un groupe pluridisciplinaire s’est constitué avec Jean-Luc Gouzé de l’INRIA, Claude Lobry de la faculté de Nice et Antoine Sciandra du CNRS, biologiste et océanographe. Depuis, il peut approfondir son goût pour la biologie : d’abord une thèse sur les mathématiques appliquées à l’océanographie en 1995, un « post-doc » en Belgique sur l’application de l’automatique aux bioréacteurs et des recherches sur le traitement de l’eau. Il travaille depuis 1998 au sein de l’équipe COMORE de l’INRIA.

    Depuis ses travaux de thèse, Olivier Bernard travaille sur les écosystèmes utilisés pour nettoyer et recycler l’eau. Quand il rejoint l’équipe COMORE en 1998, il monte un projet pour développer un système de contrôle qui permette de stabiliser le procédé de digestion anaérobie. Convaincue qu’il s’agit peut-être du système d’épuration du futur, la Communauté Européenne accepte de le financer. Le projet, Telemac, démarre en 2001 avec un budget de 4,6 millions d’euros et 15 partenaires dans 7 pays de l’Union. Olivier Bernard prend en charge la coordination scientifique.

    Ce procédé d’épuration est basé sur le métabolisme de bactéries « anaérobies », c’est-à-dire qui se développent sans oxygène. Dans un réservoir clos, le digesteur, plus de cent espèces de bactéries « anaérobies » consomment et digèrent les matières qui polluent l’eau. Certaines bactéries, dites acidogènes, les transforment en acides volatils. D’autres, dites méthanogènes, transforment à leur tour les acides en méthane. Le procédé présente un double avantage : il produit beaucoup moins de déchets que les systèmes classiques, et on obtient un gaz précieux qui peut servir de combustible ou de carburant. Toutefois, la digestion anaérobie est instable. La première étape, qui produit des acides gras volatils, est plus rapide que la seconde et, si on ne la contrôle pas, les acides gras produits s’accumulent dans le digesteur, jusqu’à mettre en danger la population de bactéries méthanogènes qui n’a pas le temps de les traiter. Si on laisse le système déraper jusqu’à une acidité extrême, toutes les bactéries meurent. Une véritable catastrophe quand on sait qu’il faudra ensuite près de deux mois pour reconstituer l’écosystème.

    L’automatique : une piste pour contrôler les écosystèmes

    L’idée de départ est simple : il s’agit d’appliquer la démarche de l’automatique pour contrôler le processus de digestion anaérobie.

    Bactéries anaérobies.

    À partir de là, c’est l’inconnu. En effet, les méthodes classiques de l’automatique restent inopérantes face aux systèmes vivants : dynamiques, complexes et difficiles à mesurer. L’équipe devra donc inventer de nouvelles méthodes pour organiser le recueil d’indicateurs significatifs qui permettront d’identifier des situations de dysfonctionnement et de déclencher automatiquement les opérations correctrices nécessaires : ralentir l’arrivée des eaux usées, par exemple.

    Dans l’équipe COMORE, Olivier Bernard travaille dans plusieurs directions. Pour obtenir les informations nécessaires, on installe des capteurs dans le digesteur qui permettent de mesurer certaines variables, le pH, la quantité de gaz émise, etc., mais pas toutes. On saurait mesurer les acides gras volatils produits dans la première phase, par exemple, mais ce serait très coûteux et la digestion anaérobie perdrait alors son avantage économique. La notion de viabilité économique est un aspect important des recherches. Rien ne sert de développer un procédé si personne n’est en mesure de l’adopter. L’équipe a alors l’idée d’appliquer le concept de capteurs logiciels.

    Installation pilote du projet Telemac.

    À partir d’un modèle qui simule la réalité, on reconstitue une information difficile à mesurer à l’aide des données mesurées. En combinant l’information théorique (issue du modèle) et l’information mesurée (par des capteurs physiques), on obtient une estimation fiable de variables importantes. Le développement de capteurs logiciels est l’une des spécialités de l’équipe COMORE. Ceux qui ont été développés pour le projet Telemac permettent de mesurer les acides gras volatils, la biomasse de certaines bactéries et l’activité bactérienne.

    Le deuxième défi est celui du contrôle et de la stabilisation. Il s’agit d’« obliger » l’écosystème à faire ce qu’on lui demande, c’est à dire d’une part atteindre un niveau de pollution compatible avec les normes en vigueur, et d’autre part produire un biogaz dont la qualité permet sa valorisation, et tout cela en assurant la pérennité de l’écosystème. Cela requiert d’analyser et de décrire l’évolution dynamique du système, puis de définir des stratégies de contrôle. On peut modifier le débit d’alimentation du bioréacteur, en amenant moins de matières organiques. On peut aussi injecter de la soude (substance alcaline qui fait baisser une trop grande acidité). Quand tout se passe bien, c’est facile, mais, en cas de problèmes, les contrôleurs aussi fonctionnent mal. Il faut développer des approches qui tiennent compte des incertitudes caractéristiques des systèmes biologiques. La robustesse des systèmes de contrôle a été l’un des axes importants des travaux de Telemac, pour assurer une parfaite fiabilité du système, dans les situations normales et anormales. C’est également l’un des domaines d’expertise de l’équipe.

    Le transfert industriel

    À la fin de l’année 2004, alors que se termine le projet Telemac, son objectif est en grande partie atteint. Les équipes ont développé un ensemble d’outils et de solutions, pour déployer à plus grande échelle ces digesteurs anaérobies de façon contrôlée. Un logiciel, ODIN, réalisé par l’INRIA et le laboratoire de biotechnologie de Narbonne (INRA), est aujourd’hui en phase de test sur des digesteurs ; il inclut un module intelligent qui pilote les capteurs logiciels et tous les contrôleurs ; il calcule automatiquement les débits, et les ajouts nécessaires. Au-delà des travaux d’Olivier Bernard et de COMORE, d’autres équipes ont travaillé sur les aspects de télésurveillance. Un réseau d’experts existe désormais, auquel les digesteurs anaérobies pourront être reliés et qui interviendra en cas de problème. Deux start-up (une en France, une en Espagne) ont été créées pour commercialiser ces nouveaux outils. Ainsi, la solution peut aujourd’hui être adoptée en toute sécurité par des PME qui pourront bénéficier d’un très haut niveau d’expertise.

    Au sein de l’équipe COMORE, Olivier Bernard continue ses recherches, sur l’océanographie, notamment, mais aussi, et encore, sur la digestion anaérobie. En effet, il veut approfondir un autre potentiel de cet écosystème. En montant la température dans le digesteur, certaines bactéries pourraient produire de l’hydrogène, un carburant potentiel, tout en épurant l’eau… une perspective qu’il faut désormais fiabiliser et concrétiser.

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    Anne Plettener

    Journaliste scientifique.
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