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    Marc Thiriet : il simule les fluides de notre corps

    Médecine & Sciences du vivant
    Modélisation & Simulation
    Étudiant, Marc Thiriet voulait devenir médecin au Laos. Il devint docteur en médecine mais rencontra la physique et avec elle la pluridisciplinarité. Il chercha alors à comprendre le poumon à la fois comme un organe à soigner et comme une superbe construction régie par la mécanique des fluides. Depuis, il met en équations notre corps pour prévoir où ça va lâcher.

    Marc Thiriet

    Il était parti pour être médecin au Laos. Une grande curiosité pour le vaste monde, doublée d’un impérieux besoin de lutter contre l’injustice le poussait vers ce type d’engagement. Né à Paris d’une mère « ch’ti » et d’un père lorrain, il fait toutes ses études primaires et secondaires à Pontoise. Des attaches lilloises côté maternel lui permettent d’entamer ses études de médecine dans un CHU réputé de la métropole du Nord, mais il reviendra à Paris, au CHU Saint-Antoine, après le PCEM.

    Son externat le mène dans un service de pneumologie, où se produit un petit déclic qui pèsera lourd sur la suite de sa carrière. Dans le cadre d’une collaboration établie avec un labo Inserm, « on cherche un étudiant pour un stage de physiopathologie respiratoire ». Ce sera lui. Arrive le moment de choisir un sujet de thèse et à nouveau ce laboratoire formule une proposition qui le séduit, sur « le transport des gaz dans les voies respiratoires ».

    La mécanique des fluides… physiologiques

    Marc Thiriet est intrigué, après ce début de parcours « bidisciplinaire » : « Je découvrais qu’il y avait vraiment deux mondes, deux modes de pensée. Les physiciens traitaient le poumon comme n’importe quel objet scientifique, cherchant à rendre plus simple une réalité complexe. De leur côté, les médecins établissaient des catalogues de faits. » Cette première expérience scientifique lui permet de constater que certains textes existants sur le poumon « racontent de grosses bêtises » car ils « sont entachés d’un esprit anti-physique ».

    Voilà qui va le conforter dans son intérêt pour une approche physique de l’objet de la médecine, à savoir le corps humain. Son diplôme de médecin en poche, il commence à travailler au service de pneumologie de l’hôpital de Pontoise, tout en entamant un troisième cycle en mécanique des fluides à l’université de Compiègne. Le voilà jusqu’au cou dans la simulation expérimentale et numérique.

    Considérer le poumon comme un problème de mécanique des fluides, une telle idée n’était pas une évidence il y a 20 ans. Le premier problème auquel s’attaque Marc Thiriet est celui des « tuyaux collabables », du verbe collaber, dont l’origine se retrouve dans le substantif « collapsus ». Cela signifie que ces tuyaux sont susceptibles de s’affaisser. Les veines sont des tuyaux collabables, de même que la trachée artère. Au contraire des artères, par exemple.

    Les premières publications de Marc Thiriet remettent en question un certain nombre de concepts en physiopathologie respiratoire. Elles parlent de « tuyaux » qui sont biologiques, en fait des organes, mais font appel à un arsenal de physicien, des maquettes et des simulations numériques.

    Sa thèse de biomécanique obtenue, c’est au CNRS que le double docteur voit sa candidature acceptée. C’est désormais pleinement en tant que chercheur qu’il poursuit ses recherches au carrefour de la médecine et de la physique.

    Puis, en 1988, Marc Thiriet part avec femme et enfants pour Londres, au département d’aéronautique de l’Imperial College. Il y approfondit certains aspects « 3D » de la mécanique des fluides et travaille avec de nouveaux logiciels, des « codes de volumes finis ». Il revient à Paris en 1990.

    Un projet de recherche « bilocalisé »

    De retour en France, il intègre un premier laboratoire de physique à l’université Paris VII. Mais c’est à l’INRIA Rocquencourt qu’il trouve, en tant que collaborateur extérieur à partir de 1993, un premier environnement réceptif à ses centres d’intérêt.

    En 2000, Marc Thiriet intègre le LJLL (Laboratoire Jacques-Louis Lions), un laboratoire parisien d’analyse numérique dépendant de l’université Pierre et Marie Curie (Paris VI) et UMR du CNRS, tout à fait en phase avec la nature et l’esprit de ses travaux. Peu après, il lance le projet de recherche REO (qui porte sur la « Simulation numérique d’écoulements biologiques »). Un projet « bilocalisé » à l’INRIA Rocquencourt et au LJLL, qui occupe cinq chercheurs permanents.

    « Notre application numéro un est l’anévrisme cérébral, » annonce Marc Thiriet. Joignant le geste à la parole, il exhibe un modèle transparent : « Ceci est une copie conforme d’un anévrisme réel relevé par imagerie cérébrale dans le cerveau d’un patient. Un modèle agrandi, bien sûr. Ces vaisseaux, là, font en réalité un ou deux millimètres de diamètre… » De fait, le modèle montre essentiellement un aiguillage de vaisseaux sanguins de un ou deux centimètres de diamètre. Mais sur ce confluent s’est installé un anévrisme : la paroi artérielle s’est fragilisée, ce qui a donné naissance à une sorte de hernie, un petit ballon rempli de sang… et qui menace d’éclater.

    Simulation de la propagation d’une onde de pression dans un segment artériel de la circulation cérébrale, présentant un anévrisme sacculaire congénital.
    Voir la séquence animée.

    Avec ses modèles numériques, l’équipe REO est capable de simuler une telle réalité anatomique. De simuler l’élasticité des vaisseaux, la circulation du sang, surtout l’interaction entre ces deux réalité physiques. La suite de l’explication se situe sur l’écran de son ordinateur. Trois clics plus tard, voici le même anévrisme, mais en couleurs et « vivant », cette fois, c’est à dire soumis aux à-coups de la pression sanguine provenant d’un cœur tout aussi virtuel que le reste. À chaque battement, l’anévrisme se gonfle sous l’effet de la surpression causée par l’afflux sanguin.

    Simuler pour prévoir l’évolution d’un anévrisme

    L’utilité de tout cela ? « D’après nos calculs, c’est ici que cet anévrisme devrait céder », montre du doigt Marc Thiriet. L’un des objectifs de cette recherche est aussi simple que cela : évaluer la répartition des pressions, la résistance des parois, détecter, situer le point faible, et du coup pronostiquer l’évolution de cette pathologie.

    Ce n’est pas tout. « Ensuite, après l’aide au diagnostic, on peut espérer que ces modèles nous servent encore à préparer, planifier le geste thérapeutique. » Une intervention endovasculaire, par exemple, c’est à dire via un cathéter introduit dans l’artère fémorale. Le traitement d’un anévrisme peut se réaliser en apportant sur place, après avoir remonté des vaisseaux sanguins depuis la jambe, des instruments bizarres tels que des ballonnets gonflables, des manchons ou encore des « coils ». Durant l’intervention le chirurgien visualise cet outillage et les vaisseaux grâce aux rayons X et aux produits contrastants.

    Le modèle informatique de l’anévrisme, développé en partenariat avec d’autres équipes de l’INRIA, permettra de simuler le traitement envisagé, de placer virtuellement tel ou tel dispositif afin de visualiser son interaction avec l’anatomie des vaisseaux. Le choix même de l’outil, de ses caractéristiques, de la manœuvre d’installation pourra être effectué par simulation. Le chirurgien pourra même « répéter » son geste virtuellement avant de passer à l’acte. De même, un tel « anévrisme virtuel » pourra être utilisé pour enseigner ce type d’intervention.

    L’axe de recherche principal de l’équipe REO est sans aucun doute la simulation numérique des écoulements physiologiques, et donc la modélisation de la circulation sanguine et de la respiration. À côté des anévrismes, une autre application en cours d’étude porte sur les veines variqueuses. Côté respiration, une recherche porte actuellement sur le comportement des aérosols dans les voies respiratoires. À force de modéliser le comportement de liquides dans une tuyauterie souple, l’équipe est en train d’élargir sa compétence à la simulation de la pompe cardiaque, dans le cadre d’une future action INRIA.

    Trajectoire de particules, pendant le cycle respiratoire, dans le modèle d’un arbre trachéo-bronchique reconstruit à partir de l’imagerie médicale.

    Chercheur mais aussi citoyen du monde

    Le projet REO maintient des relations avec un certain nombre d’équipes étrangères, d’une part au Canada (équipe associée à l’étranger (ACE) de l’INRIA) et d’autre part, au sein du réseau ERCIM IM2IM (« Informatics and Mathematics applied to Interventional Medecine ») avec une trentaine d’équipes, surtout européennes. Pour contribuer à la vie scientifique internationale et à la diffusion des connaissances, Marc Thiriet participe à l’organisation de cours ou conférences ; en novembre 2004, il revient tout juste d’une semaine en Géorgie, quelques semaines plus tôt c’était le Vietnam, ce sera bientôt le Canada, puis l’Espagne.

    Conquérant de la mise en équations (de Navier-Stokes, par exemple) du corps humain pour mieux le guérir, Marc Thiriet vit bien d’autres vies. Un goût prononcé pour le contact avec les autres cultures le pousse régulièrement sur les chemins de notre vaste monde. Militant tiers-mondiste, il agite et agit contre la faim, pour le développement, pour que s’établissent un jour entre les humains du Nord et les humains du Sud des rapports… humains.

    Mélomane et grand connaisseur de l’époque baroque, il s’implique dans le Festival baroque de Pontoise. Grand randonneur, il parcourt inlassablement le Vexin, le massif alpin ou la montagne slovène… Marc Thiriet, à 52 ans, est sans aucun doute encore un homme qui aime les chemins de traverse, ceux qui ouvrent l’esprit, qui font vraiment voir du pays.

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    Pierre Vandeginste

    Journaliste scientifique.
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