Les Newsletters Interstices
Le smartphone, ou « téléphone intelligent », terminal mobile participant au réseau mondial © Sergey Nivens / Fotolia
    Niveau facile
    Niveau 1 : Facile

    Un réseau élastique ?

    Histoire du numérique
    Réseaux & Communication
    Le téléphone portable est dans toutes les poches, les « box » dans toutes les maisons, les bornes wifi un peu partout : les communications mobiles ont envahi notre vie quotidienne. Ces technologies pourront-elles supporter les nouveaux besoins ? Des évolutions majeures sont-elles prévisibles ?

    Les tâches à effectuer dans un réseau de communication sont analogues à celles réalisées pour l’envoi de courrier entre deux entreprises. La tâche 1 est bien entendu de rédiger le courrier et de mettre l’envoi dans un paquet. La tâche 2 est de décider quelle forme prendra l’envoi : un seul énorme paquet ou beaucoup de petits paquets ? Le coût ne sera pas le même, les contraintes non plus : par exemple, les petits paquets n’arriveront pas tous le même jour. Il faut aussi choisir la modalité d’envoi : urgent, normal ou avec accusé de réception, et définir le coût en cas de perte. Le service courrier de l’entreprise peut regrouper par catégorie (urgent, ordinaire, etc.) les plis qui doivent atteindre la même entreprise (mais pas forcément le même destinataire). Le courrier est alors déposé à la poste qui prend le relais pour la tâche 3. Les paquets des différents utilisateurs sont regroupés en ensembles de tailles adaptées aux moyens de transport (camion, train, etc.) et ne suivront pas forcément le même chemin.

    Comme une lettre à la poste

    La poste s’engage pourtant à ce qu’ils arrivent tous le lendemain en cas de courrier urgent, ou chacun quand il peut en cas de courrier ordinaire. C’est elle qui choisit les chemins suivis par ces différents ensembles. Après cette tâche 3, les courriers ont atteint le bureau de poste d’arrivée. Le courrier est alors délivré à pied ou par véhicule selon le volume ; il est soit déposé dans la boîte à lettres, soit remis en mains propres contre vérification d’identité en cas d’accusé de réception. Les lettres arrivant le même jour vers le même destinataire sont organisées en liasses. Chaque facteur a sa zone de distribution. Cette tâche 4 peut comporter nombre d’erreurs : dépôt à une mauvaise adresse, lettre égarée, nom du destinataire illisible…

    Un réseau en « couches »

    Un réseau de communication suit une organisation semblable, fondée sur un modèle dit « TCP/IP » (« Transmission Control Protocol / Internet Protocol ») comportant quatre couches correspondant aux quatre tâches ci-dessus. La couche « application » (tâche 1) correspond au service à mettre en place, par exemple transmission d’une source multimédia qui est comprimée pour réduire le coût de transmission. La couche « transport » (tâche 2) adapte les données envoyées sur le réseau au service requis, en les fragmentant en paquets. Il y a deux types de protocoles de transport, suivant que le réseau garantit ou non une réception exacte de l’information. Avec le mode garanti (TCP), il n’y a pas de pertes de paquets, mais le délai de réception peut être très grand. Dans le mode dit « sans connexion » (ou « UDP », « User Datagram Protocol ») les paquets sont émis une seule fois, sans réémission possible. Le délai est alors très court, mais la communication risquée. Les couches « réseau » (tâche 3) établissent le lien entre serveur et terminal, et contiennent les protocoles de routage qui vont déterminer le chemin suivi par chaque paquet. La tâche 4 doit assurer le bon transfert des paquets jusqu’au destinataire. Dans ce but, la partie « accès au canal » (MAC, « Medium Access Control ») adapte la taille des paquets aux propriétés du canal (le canal est le support de la transmission du signal : par exemple, en transmission hertzienne, c’est l’air), et ajoute à chaque paquet des bits qui permettront de détecter les erreurs. Dans le récepteur, un test dira si le paquet est correct ou non, pour éventuellement demander une réémission. Les données sont ensuite codées
    en entrée du canal à l’aide de symboles numériques puis transformées en signaux continus compatibles avec la propagation dans le canal de communication : c’est ce que l’on appelle le « codage canal ». Cette séparation en tâches optimise le système, car on suppose que chaque couche remplit son rôle sans erreur. Or, ceci n’est pas toujours possible, et la séparation devient alors source de perte de performances.

    Les « téléphones intelligents », plus connus sous le nom de « smartphones », sont de véritables petits ordinateurs. On peut y télécharger des applications, prendre des photos, écouter de la musique, surfer sur Internet… et cela de partout ! En coulisse, les flux d’information sont exponentiels et les réseaux doivent évoluer pour s’adapter.

    La banalisation de la téléphonie mobile s’est accompagnée d’un changement de nature du trafic. L’impressionnante augmentation du nombre de smartphones a engendré un nombre croissant de consultations de pages web et de téléchargements de vidéos. Cela change complètement la quantité et le type de signaux véhiculés par les réseaux mobiles, où les flux multimédia tendent à devenir majoritaires.

    Si aucune adaptation n’est effectuée, les réseaux pourraient rapidement être engorgés et la seule utilisation de techniques classiques pourrait aboutir à des coûts excessifs. Comment faire évoluer l’architecture des réseaux actuels pour faire face à l’évolution rapide des usages ? On envisage ici deux directions possibles : soit une amélioration de la structure interne des réseaux dédiés aux communications radiomobiles (de type GSM, 3G…) et en particulier de leur flexibilité, soit une convergence avec les réseaux initialement dédiés à la consultation de sites web (de type Wifi), comme on commence à l’observer actuellement.

    De nouveaux besoins exigeants

    Les réseaux de communication ont effectivement suivi une telle découpe, mais en autorisant des exceptions, au fur et à mesure que les besoins évoluaient. Un premier exemple concerne les communications voix dans le système GSM, « Global System for Mobile Communications », la norme de deuxième génération (2G) pour la téléphonie mobile. Dans l’organisation idéale d’un réseau, aucun signal comportant des erreurs de transmission ne devrait atteindre le décodeur de parole du récepteur. Cependant, comme les canaux de transmission mobiles sont très variables, et parfois très mauvais, il est difficile de toujours assurer la correction des erreurs. Or, un codeur de parole est tolérant à un nombre d’erreurs faible mais non nul. Les capacités de correction d’erreur ont donc été réglées pour atteindre ce seuil, en contradiction avec la règle classique. Le deuxième exemple concerne la transmission de flux audio ou vidéo en temps réel, dont la demande a explosé dans les réseaux sans fil. Cette transmission est à la fois très gourmande en débit et peu tolérante en termes de retard. Il est donc impossible d’avoir recours à des demandes de retransmission : le récepteur doit faire au mieux avec les signaux reçus qui sont parfois erronés. Ces deux exceptions ne remettent pas fondamentalement en cause la structure en couches, mais nécessitent des interactions entre elles non prévues initialement. Compte tenu des contraintes apportées par la séparation et des avantages offerts par une répartition différente des tâches, il est vraisemblable que cette architecture changera profondément dans un avenir proche, vers des couches qui ne seront plus indépendantes.

    Initialement, dans un réseau de communications numériques, le traitement du signal était cantonné au codage source, qui vise à coder une source en effectuant une compression de façon à atteindre le débit maximal. Dans les futurs réseaux de communication, il interviendra dans les différentes couches.

    Mobile et consommation énergétique

    Les réseaux consomment une énergie de plus en plus importante. Pour la diminuer, il est tentant de jouer sur l’architecture même du réseau en fonction de sa charge : par exemple, pourquoi ne pas arrêter ou mettre en veille certaines stations de base la nuit, pendant que les demandes de communication sont beaucoup moins fortes ? Ceci nécessite encore de repenser globalement l’architecture du réseau. Le traitement du signal interviendra notamment pour modéliser la consommation en veille, en fonctionnement et en fonction du trafic, ainsi que le coût de la remise en marche.

    Le lien sans fil

    Diversité spatiale et canaux Mimo.
    En utilisant un smartphone dans la rue, les déplacements, les bâtiments, les murs… créent des interférences dans les flux d’information. La technologie « Mimo » est un exemple d’architecture de réseau élaborée pour répondre aux échanges mobiles.
    Photo © Franz Pfluegl / Fotolia – schéma © P. Veyret, CRDP de l’académie de Versailles.

    Dans la technologie « Mimo », pour « multiple-input multiple-output », c’est-à-dire « entrées multiples, sorties multiples », les messages sont émis par plusieurs antennes, et reçus par plusieurs antennes placées dans un même terminal mobile. Le schéma représente des antennes émettrices, Tx, et réceptrices, Rx, les flèches symbolisent les canaux entre les antennes, notés H. Cette technologie permet de traiter le problème de variabilité des canaux de propagation dans l’espace et dans le temps, variabilité due au déplacement du mobile et aux phénomènes de réflexions des signaux sur des surfaces dures comme les murs, les angles des immeubles, qui produisent des interférences. Si l’émetteur et le récepteur disposent respectivement de M et N antennes, le canal Mimo est constitué de M x N canaux indépendants. Cette diversité permet de sélectionner le meilleur canal, de combiner les signaux reçus afin de bénéficier de l’apport de chacun, et de préparer les signaux à l’émission pour maximiser ce bénéfice.

    Les difficultés liées à la variabilité du lien sans fil ont été la source de nombreux travaux. Par exemple, si l’on dote les émetteurs et les récepteurs de plusieurs antennes (on parle alors de canaux Mimo pour multi-input multi-output), les canaux entre les différentes antennes étant statistiquement très différents, on peut obtenir des performances beaucoup plus stables, par un effet de moyenne, et aussi beaucoup plus élevées. Si plusieurs utilisateurs sont accessibles par la même station de base, une autre idée consiste à essayer de « surfer sur les crêtes » de communication : à chaque instant, on sert les utilisateurs qui ont les meilleurs canaux, et comme ceux-ci changent rapidement, tout le monde a une meilleure capacité. Un réseau mobile partage la couverture d’un territoire en « cellules », chacune associée à un émetteur ou à une station de base : un mobile ne communique qu’avec une cellule à la fois. L’augmentation de la densité des utilisateurs a engendré une augmentation du nombre des cellules, et de très nombreux mobiles ont accès à plusieurs stations de base. On peut alors utiliser l’ensemble de ces stations de base comme un canal Mimo, et bénéficier des avantages de ces canaux.

    Une autre situation, de plus en plus fréquente, arrive lorsque plusieurs utilisateurs cherchent à accéder au même signal (un match de coupe du monde !). Dans ce cas, utiliser une communication point à point pour chacun est un gaspillage, puisque une émission sans fil est une « diffusion » (ou broadcast) : tout utilisateur peut recevoir ce signal. Une option de diffusion est prévue dans les protocoles récents, mais on est alors dans une situation « aveugle » où l’émetteur ne sait pas quels utilisateurs sont à l’écoute du signal. Une évolution logique serait d’étudier la solution appelée multicast, c’est-à-dire la diffusion vers un nombre sélectionné d’utilisateurs. On doit pour cela aménager les protocoles et permettre la communication d’informations spécifiques entre les couches qui deviennent donc dépendantes.

    Dans la couche application

    Le traitement du signal est largement utilisé dans les algorithmes de compression de signaux audiovisuels, où toute amélioration apporte une réduction directe des débits à transmettre. Cependant, l’impact pourrait être accru en effectuant une meilleure intégration de la couche application dans le reste du processus. Par exemple, le téléchargement de contenus audiovisuels stockés sur des serveurs est une application très fréquente, mais on ne profite pas de la diversité associée au stockage sur différents serveurs. En effet, on peut maintenant stocker des représentations différentes des signaux sur divers serveurs : rapatrier une description permet de reconstruire un signal de qualité acceptable, en rapatrier plusieurs permet d’améliorer la qualité. Là aussi, l’interaction des différentes couches est nécessaire pour tirer profit de ces propriétés.

    Vers des réseaux hétérogènes…

    Les idées présentées précédemment peuvent être mises en œuvre par une optimisation conjointe des paramètres des couches. D’autres tendances nécessitent des modifications plus profondes. Il est maintenant très fréquent qu’en un lieu donné, un appareil ait accès à plusieurs réseaux : 3G et wifi, par exemple. Aujourd’hui, l’utilisateur choisit a priori de communiquer à l’aide du réseau qui est soit le plus économique, soit le plus efficace. On peut cependant envisager une interaction beaucoup plus importante en répartissant les flux pour que le coût soit le plus faible, ou pour que le chargement soit le plus rapide, bref, en fonction de la qualité de service demandée. Une telle flexibilité ne peut s’obtenir que par une approche globale.

    … Et des appareils coopérants

    De même, on peut imaginer qu’un mobile puisse aider son voisinage en relayant d’autres communications, pourvu qu’il y trouve lui aussi des avantages. Cette idée de coopération peut s’appliquer à toutes les couches d’un protocole de communication : au niveau physique (amplification et réémission des signaux reçus, par exemple), au niveau réseau (décodage puis routage des signaux via d’autres liens mobiles), voire à la couche application (stockage de descriptions pour des signaux très demandés, mode de « pair à pair »). Il faudra cependant trouver le meilleur niveau auquel appliquer cette idée (un seul ? plusieurs niveaux en complémentarité ?) afin d’obtenir les meilleures performances.

    • Djiknavorian P., Mimo pour les nuls, Laboratoire de Radiotélécommunications et de Traitement du signal, université de Laval, janv. 2006 (éd. révisée en janv. 2007), document à télécharger.
    • Lips J.-P., Les réseaux sans fils, cours de master Miage 1, université de Nice – Sophia Antipolis, second semestre 2009-2010, document à télécharger.
    • Développez.com, site internet qui donne un certain nombre de références de livres avec des commentaires.

    Cet article est paru dans la revue DocSciences n°15 Entre les hommes et les machines : automatique et traitement du signal, éditée par le CRDP de l’Académie de Versailles, en partenariat avec Inria et le CNRS, à l’initiative du comité éditorial d’Interstices.

    Newsletter

    Le responsable de ce traitement est Inria. En saisissant votre adresse mail, vous consentez à recevoir chaque mois une sélection d'articles et à ce que vos données soient collectées et stockées comme décrit dans notre politique de confidentialité

    Niveau de lecture

    Aidez-nous à évaluer le niveau de lecture de ce document.

    Si vous souhaitez expliquer votre choix, vous pouvez ajouter un commentaire (Il ne sera pas publié).

    Votre choix a été pris en compte. Merci d'avoir estimé le niveau de ce document !

    Pierre Duhamel

    Directeur de recherche CNRS au Laboratoire des Signaux et Systèmes de Supélec, spécialiste de traitement du signal pour les communications.
    Voir le profil

    Découvrez le(s) dossier(s) associé(s) à cet article :

    DossierRéseaux & Communication
    Architecture & Systèmes

    Internet

    DossierCulture & Société
    Interaction Humain/MachineModélisation & SimulationRéseaux & Communication

    TIPE 2018-2019 : transport