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    Wendy Mackay : une informaticienne qui a le souci de l’utilisateur avant tout

    Interaction Humain/Machine
    Histoire du numérique
    Cette américaine désormais installée en France a participé à la conception de nombreux prototypes d'abord de logiciels et systèmes multimédia dédiés à l'enseignement, aujourd'hui d'outils de réalité mixte. Son approche, originale, tire parti des compétences et des besoins de chacun.
    Wendy Mackay

    Beaucoup de scientifiques français rêvent des salaires mirobolants qu’ils pourraient percevoir en s’exilant outre-Atlantique… à l’inverse, quelques scientifiques américains, comme Wendy Mackay, spécialiste reconnue de « réalité mixte » et de « conception participative », ont délibérément choisi de venir travailler en France. « Malgré l’énorme différence de salaire entre les deux pays, je préfère travailler en Europe plutôt qu’aux Etats-Unis, affirme t-elle. Bien que les conditions de travail y soient plus difficiles, la qualité de vie y est bien meilleure. »

    1. Le mariage heureux de la psychologie et de l’informatique

    Wendy Mackay s’exprime en connaissance de cause : sa carrière scientifique, déjà particulièrement riche, l’a menée dans bien des pays : évidemment aux Etats-Unis où elle a travaillé pendant plus de dix ans, mais aussi en Grande-Bretagne où elle a dirigé une équipe de chercheurs de Rank Xerox pendant quatre ans et demi, puis en France où elle s’est installée en 1994 avec son mari français (Michel Beaudouin-Lafon, également chercheur, actuellement directeur du Laboratoire de recherche en informatique (LRI) de l’Université Paris-Sud Orsay) …rencontré au Canada …sans oublier un séjour de deux ans au Danemark pour travailler sur des projets de recherche communs avec son mari.

    De retour en France, en 2000, elle choisit de travailler à l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) où elle est directrice de recherche depuis 2002. Depuis deux ans, elle et son mari ont gagné leur pari de travailler ensemble en France : elle est responsable du projet IN SITU dans le tout nouveau Pôle commun de recherche en informatique (Pcri) dont le LRI (le laboratoire dirigé par son mari) est partenaire.

    Ce pôle de recherche en informatique fondamentale et appliquée, créé en 2003, réunit quatre partenaires qui collaboraient depuis déjà plusieurs années : le CNRS, l’INRIA, l’Ecole Polytechnique et l’Université Paris-Sud. À terme, environ 250 chercheurs seront accueillis dans un nouveau bâtiment qui sera construit dès l’an prochain sur le plateau de Saclay.

    Du singe à l’homme

    Wendy Mackay est l’une des rares informaticiennes à avoir mené des études en psychologie expérimentale (à l’université de Californie, San Diego). Sa première thèse concernait l’apprentissage des singes (à l’Université de Northeastern, Boston). C’est un industriel, Digital Equipment Corporation (DEC), qui va la faire basculer de la psychologie à l’informatique, en 1979. Intéressé par ses compétences en psychologie de l’apprentissage et ses connaissances de l’époque en programmation, il lui propose de participer à la création d’un système multimédia dont l’objectif est d’utiliser l’ordinateur pour enseigner.

    Elle se passionne aussitôt pour le sujet et crée des logiciels d’apprentissage par ordinateur selon une approche pluridisciplinaire qui associe les expertises tant de psychologues, sociologues que d’artistes graphiques, de designers et d’informaticiens. À seulement 25 ans, elle est nommée directrice d’une équipe pluridisciplinaire de 20 chercheurs. « Je cherchais à faire communiquer des gens de formations différentes pour tirer parti de l’expérience de chacun, qu’il soit ingénieur, scientifique, designer ou utilisateur. Aujourd’hui encore, c’est resté la base de ma méthode de travail », affirme t-elle.

    En moins de deux ans, avec son équipe, ils créent plus de 30 logiciels interactifs d’éducation, toujours dans cet esprit pluridisciplinaire. En 1982, ils conçoivent le premier système commercial mondial de vidéo interactive (IVIS, Interactive videodisc information system), juste avant l’avènement des ordinateurs personnels Macintosh et IBM PC. Mais le marketing ne sera pas à la hauteur pour rivaliser avec ces futurs monstres mondiaux de l’informatique. En outre, les préoccupations commerciales occultent de plus en plus la recherche scientifique…

    2. De Cambrige à Cambridge, de la recherche à l’industrie

    Radicale, elle choisit alors de repartir à zéro, de se tourner à nouveau vers la recherche académique : elle commence une nouvelle thèse en « management de l’innovation technologique » au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Cambridge, près de Boston. Financée par DEC, elle fait la liaison entre l’entreprise et le projet Athena, un projet d’envergure financé par DEC, le MIT et IBM, pour développer l’usage de l’informatique dans l’enseignement. Ce projet sera à la base de la création du système graphique X Window qui équipe désormais bon nombre d’ordinateurs personnels.

    Dans le cadre de sa thèse, elle travaille sur la notion de « co-adaptation » dans l’innovation technologique, à savoir l’idée que l’utilisateur aussi est innovant dans sa façon d’utiliser une technologie. « Prenons l’exemple du tableur Excel, explique Wendy Mackay : il a été conçu pour faire de la gestion de budget or on s’est vite rendu compte que les utilisateurs l’exploitent aussi comme un outil d’exploration de données. Même les concepteurs les plus brillants doivent tenir compte de ces innovations provenant des utilisateurs et de leurs problèmes concrets. »

    La réalité augmentée, une suite logique…

    Pour sa thèse, elle étudie ce concept d’innovation dans le cadre de deux projets : l’un appliqué au MIT, l’autre à l’innovation chez Rank Xerox. L’intérêt d’une telle démarche n’échappe pas à l’industriel qui l’embauche dès la fin de sa thèse, en 1991, dans son équipe de recherche multimédia, basée à Cambridge, mais cette fois en Grande-Bretagne (EuroPARC)… là commence son périple en Europe et ses débuts dans une toute nouvelle discipline de recherche en informatique : la « réalité augmentée ».

    Dans la droite ligne de ses recherches au MIT, elle dirige chez Xerox une équipe qui propose des innovations technologiques fondées sur les comportements et les besoins des utilisateurs. Encore une fois, la pluridisciplinarité est de mise et le point de vue ethnographique toujours à l’honneur. Dans toutes les études, l’équipe analyse et exploite les comportements des utilisateurs, sur le terrain, pour concevoir des logiciels spécifiques qui facilitent la communication entre de multiples utilisateurs, par exemple entre un centre de design en Grande-Bretagne et son usine en Hollande, entre différents chefs de chantiers construisant un pont suspendu au Danemark…

    …pour tirer le meilleur parti des mondes physiques et numériques

    La réalité augmentée (aujourd’hui qualifiée de « réalité mixte ») découle naturellement de cette approche : c’est un mariage d’intérêt entre le monde des objets physiques que nous manipulons (papiers, crayons…), donc de l’utilisateur, et le monde numérique de l’ordinateur et ses inévitables fichiers informatiques. « Par exemple, explique t-elle, pour rendre les mondes physiques et numériques interactifs, un thésard de mon groupe a développé et breveté un « digital desk » (ou bureau numérique), un système avec une caméra et un projecteur au dessus du bureau qui permet de projeter les informations de l’ordinateur et de capturer les modifications de l’utilisateur. »

    En 1993, elle organise la première conférence sur la réalité augmentée au MIT et co-édite un numéro spécial sur le sujet dans la plus prestigieuse revue d’informatique, CACM (Communications of the association of computing machinery). Il sera considéré comme exemplaire, élu meilleur numéro spécial de publications de recherche, toutes disciplines confondues, par l’AAP (American association of publishers). Cette publication a assurément largement influencé les recherches sur la réalité augmentée à cette époque.

    3. En France, bien sûr dans des projets internationaux

    Wendy Mackay et Michel Beaudoin-Lafon

    Pour Wendy Mackay et Michel Beaudouin-Lafon, la vidéo légère est un outil de choix.

    Elle choisit ensuite de s’installer en France pour y rejoindre son mari. Pendant un an, elle apprend le français à la Sorbonne. Ensuite, elle enseigne à l’université de Paris-Sud et dirige un projet de recherche au Centre d’études de la navigation aérienne (Cena) pour améliorer l’automatisation du contrôle du trafic aérien. Son équipe met en œuvre des outils de conception participative comme les brainstormings mais aussi la vidéo pour proposer un système de réalité mixte intégrant les outils et les comportements des contrôleurs aériens.

    « J’ai travaillé quatre mois avec les équipes de contrôleurs aériens à Athis-Mons, raconte Wendy Mackay, pour les observer, comprendre leur comportement, leur façon de travailler et optimiser leurs outils. »

    Contrôleurs aériens

    Les contrôleurs aériens utilisent des « strips » pour représenter les avions en vol.

    L’équipe a ainsi décelé l’importance que les contrôleurs donnent, sans même en avoir conscience, à des petits morceaux de papier sur lesquels ils prennent leurs notes : les « strips » qui représentent les avions en vol. L’objectif du projet s’est donc focalisé sur l’optimisation des interactions entre ces strips, les ordinateurs et les radars. « Finalement nous avons créé des « strips augmentés », en papier, sur lesquels les contrôleurs peuvent toujours écrire mais qui peuvent aussi être exploités électroniquement, explique t-elle. On peut reconnaître certains symboles manuscrits, visualiser certaines colonnes, souligner un numéro de vol pour visualiser l’avion sur le radar. » Ces résultats intéressent aujourd’hui Raytheon et Eurocontrol, deux acteurs majeurs du contrôle de trafic aérien.

    Pour illustrer cet usage de la vidéo, l’INRIA a récemment produit un DVD (en anglais) qui décrit cette nouvelle méthode de conception de logiciels interactifs.

    Wendy Mackay

    La vidéo au service de la conception de systèmes
    Image extraite du DVD « Using Video to Support Interaction Design ».

    « La vidéo apporte une vision très détaillée de la communication entre les différents interlocuteurs : scientifiques, ergonomes, sociologues, designer, utilisateurs, informaticiens… précise Wendy Mackay. En étudiant les enregistrements vidéo, on peut extraire des comportements, comprendre les interactions. Par ailleurs, la vidéo permet aussi de travailler, avec les utilisateurs, à la conception de nouveaux systèmes en imaginant des scénarios d’utilisation et en les jouant devant la caméra. »

    Pour approfondir encore ces notions de conception participative ancrées depuis toujours dans la culture scandinave, et pouvoir mener des recherches avec son mari, elle passe deux années au Danemark. Professeur invitée à l’université d’Aarhus, elle s’investit dans plusieurs projets de réalité mixte, en s’attachant toujours à étudier les technologies dans leurs situations réelles d’utilisation, en faisant réfléchir ensemble les chercheurs, les sociologues et les designers. Elle rejoint la France et intègre l’INRIA après cette expérience, en 2000.

    Le papier toujours irremplaçable

    A-Book

    Le A-Book, cahier de laboratoire « augmenté » : création d’un lien à partir d’un texte manuscrit.

    Depuis une dizaine d’années, elle a participé à la conception de nombreux prototypes. L’un d’entre eux, actuellement développé par un thésard, utilise un stylo muni d’une petite caméra qui écrit sur un papier spécial. Cette technologie est aussi utilisée dans le cadre du projet IN SITU qu’elle dirige actuellement, dont l’un des objectifs est de comprendre et optimiser l’utilisation des cahiers de laboratoire des biologistes de l’Institut Pasteur à Paris.

    Malgré l’importance évidente des ordinateurs en biologie, les cahiers de laboratoire restent des outils de travail sans pareil. Comment tirer parti des informations stockées ou transcrites sur les uns et les autres ? L’équipe de Wendy Mackay travaille par exemple sur un prototype de « cahier de laboratoire augmenté », baptisé A-Book. « Il s’agit de conserver le cahier papier qui a de nombreux avantages, précise-t-elle, et d’y ajouter des fonctions comme la recherche, l’indexation ou l’ajout de liens qui nécessitent l’ordinateur. Le A-Book, breveté par l’INRIA, permet d’utiliser un assistant personnel comme une « lentille magique » : on le place sur une page du cahier et il interagit avec le contenu manuscrit. Le texte est automatiquement reproduit sur son écran comme s’il s’agissait d’une loupe et on peut par exemple désigner une partie du texte comme lien vers une page Web. »

    De ses séjours à travers le monde, elle garde une tendance naturelle à organiser des projets internationaux. « L’un de ceux qui me tient à cœur, confie t-elle, baptisé Interliving, rassemble des chercheurs de l’INRIA, du LRI à Orsay, du Royal institute of technology de Stockholm (Suède) et de l’université de Maryland (Etats-Unis). » Des chercheurs anglais, suédois, français, allemand, américains… ont planché depuis 3 ans sur un prototype qui permettrait à plusieurs foyers de communiquer à distance à tout moment et de façon très simple. Des brevets sont en cours de dépôt.

    MirrorSpace

    Certains ont pu voir cet objet étonnant exposé pendant plusieurs mois à la Villette puis au centre Georges Pompidou : une sorte de miroir magique couplé à un autre miroir, installé par exemple chez un proche. On y distingue une image floue qui devient nette lorsqu’on se rapproche du miroir (les images locales et distantes sont superposées) : les personnes peuvent ainsi se voir dans leurs foyers respectifs, à des milliers de kilomètres et communiquer en direct.

    Aujourd’hui encore, Wendy Mackay sillonne le monde une bonne partie de l’année. En plus de ses cours en France à l’Institut Pasteur et dans les universités (Paris VI, Paris XI), elle est souvent invitée à décrire la « conception participative pluridisciplinaire de logiciels interactifs » dans les entreprises et dans des conférences internationales, aux Etats-Unis, au Canada, au Danemark, en Grande-Bretagne, en Grèce…

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    Isabelle Bellin

    Journaliste scientifique.
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