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    Croissance, décroissance et sobriété

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    Lorsque les médias parlent de démographie, d’économie, ou d’écologie, ils évoquent régulièrement une croissance exponentielle, une décroissance exponentielle, une croissance raisonnée, une modération, une sobriété. Ces termes sont très souvent utilisés dans le débat sur les problématiques liées à l’économie, pourtant, peu de personnes sont capables de leur donner un sens précis. Que recouvrent au juste ces mots ? Comment les traduire par des modèles mathématiques ?

    Introduction

    La vidéo présentée dans cet article illustre les notions de croissance, décroissance, sobriété, en racontant une histoire imaginaire de gorilles qui vivent dans une forêt et se nourrissent de feuilles. La population des gorilles, la quantité de feuilles disponibles ainsi que leur consommation par les gorilles varient au cours du temps en étant intrinsèquement liées. La vidéo montre la croissance et décroissance et la consommation, en s’appuyant sur des équations mathématiques.

    Elle se découpe en cinq chapitres :

    • Introduction
    • Partie 1 : Croissance
    • Partie 2 : Décroissance
    • Partie 3 : Sobriété 
    • Conclusion

    Croissance, décroissance et sobriété : modélisations mathématiques

    Réalisation : Minimento
    Production : Minimento, Interstices/Inria
    Année de production : 2024
    Durée : 10min08

    Taux de croissance

    Pour appréhender les notions de croissance et décroissance, la vidéo introduit le concept de taux de croissance, qui est défini par les variations de la consommation. Il y a croissance si le taux est positif et décroissance s’il est négatif. Connaissant le taux de croissance à chaque instant, il est possible de calculer la consommation de feuilles au cours du temps. C’est ce que propose la vidéo en imaginant plusieurs scénarios.
    Un taux de croissance constant et positif signifie que la croissance est exponentielle. La consommation augmente très rapidement et indéfiniment.

    Regardons la consommation de la ressource naturelle des feuilles, qui augmente continument au cours du temps.

    Pour mesurer les variations, on utilise la dérivée par rapport au temps de cette consommation (on suppose qu’elle est dérivable). Par définition, le taux de croissance est égal à la dérivée en temps divisé par la consommation. Si on peut mesurer le taux de croissance par des observations, on peut alors calculer la consommation en résolvant une équation différentielle :
    \( \frac{d \mathit{conso}}{dt} = \mathit{taux} * \mathit{conso}\), avec la condition initiale \( \mathit{conso}(0)\) connue (par exemple \(\mathit{conso}(0)=1\)).
    On sait que cette équation différentielle a une solution unique.

    Lorsque taux est constant et positif (non nul), la solution est connue, c’est la fonction exponentielle, par définition de celle-ci.
    Plus précisément, \( \mathit{conso} (\mathit{temps}) = \mathit{conso}(0) * \exp (\mathit{taux}*\mathit{temps})\).
    On constate que \(\mathit{conso}\) tend vers l’infini lorsque le temps tend vers l’infini, par définition de l’exponentielle.

    Capacité de charge

    Dans cette histoire, la quantité des feuilles disponibles à chaque instant est limitée, car il faut leur laisser le temps de se renouveler. La consommation ne peut pas augmenter indéfiniment comme elle le ferait avec une croissance exponentielle. Lorsqu’une valeur limite, qu’on appelle la capacité de charge, est atteinte, la consommation évolue différemment, le taux de croissance change. La vidéo explore alors deux scénarios.

    Décroissance et effondrement

    Dans le premier scénario, à cause des rétroactions dans le système, le taux de croissance peut devenir brutalement négatif, tout en restant constant. Après avoir légèrement dépassé la capacité de charge, la consommation se met à décroître exponentiellement. Elle s’effondre rapidement jusqu’à devenir quasiment nulle.

    Dans la vidéo, le taux constant est positif jusqu’au temps \( \mathit{temps}_{\mathit{max}}\) puis devient négatif, égal à \(-\mathit{taux}_{\mathit{dec}}\). Au temps \( \mathit{temps}_{\mathit{max}}\), la consommation vaut \(\mathit{conso}_{\mathit{max}}\), plus grande que la capacité de charge. Il faut alors résoudre l’équation différentielle

    \[ \frac{d \mathit{conso}}{d t} = – \mathit{taux}_{\mathit{dec}} * \mathit{conso}\] pour \( \mathit{temps} >= \mathit{temps}_{\mathit{max}}\) et \(\mathit{conso}(\mathit{temps}_{\mathit{max}}) = \mathit{conso}_{\mathit{max}}\).

    La solution est encore la fonction exponentielle, cette fois décroissante :

    \(\mathit{conso} = K * \exp (-\mathit{taux}_{\mathit{dec}} * \mathit{temps})\), où la constante \(K\) est définie par la condition initiale :

    \[ K = \frac{\mathit{conso}_{\mathit{max}}}{\exp(-\mathit{taux}_{\mathit{dec}} * \mathit{temps}_{\mathit{max}})}.\]

    Rappelons une propriété de l’exponentielle : \(\frac{\exp(a)}{\exp(b)} = \exp(a-b)\).

    On obtient finalement

    \[ \mathit{conso} = \mathit{conso}_{\mathit{max}} * \exp (-\mathit{taux}_{\mathit{dec}} * (\mathit{temps} – \mathit{temps}_{\mathit{max}}) \mbox{) pour } \mathit{temps} > \mathit{temps}_{\mathit{max}}.\] \(\mathit{conso}\) tend vers zéro lorsque le temps devient infini, la consommation s’effondre.

    Croissance modérée et sobriété

    Dans le deuxième scénario, grâce à des actions volontaires sur le système, la consommation peut être freinée et rester sous le seuil de la capacité de charge. L’idée est de modérer le taux de croissance. Il n’est plus constant mais varie en fonction de la consommation tout en restant positif. La consommation augmente toujours mais de façon ralentie et se stabilise quasiment, en restant légèrement au-dessous de la capacité de charge. De plus, la courbe de consommation s’infléchit lorsque celle-ci est égale à la moitié de la capacité de charge. On observe que la croissance est ensuite moins rapide.

    En démographie, on savait que si le taux de croissance d’une population était constant, alors la population augmentait de façon exponentielle. Ce modèle n’était pas satisfaisant, car il ne correspondait pas toujours aux valeurs mesurées. Le mathématicien belge Verhulst voulait établir un modèle d’évolution d’une population qui ne soit pas exponentiel. Il proposa un nouveau modèle, qu’il appela logistique en 1845. Il montra qu’en ajustant les paramètres taux et limite, il trouvait une évolution proche des données fournies sur la population en Belgique.

    On suppose que la capacité de charge limite est plus grande que la consommation initiale, égale à 1. Le taux de croissance est défini par la fonction \[ \mathit{taux}_{\mathit{var}} = \mathit{taux} * (1- \frac{\mathit{conso}}{\mathit{limite}}), \mbox{ avec } \mathit{limite} > 1.\]

    L’équation différentielle est alors plus difficile à résoudre. Pour calculer la solution, l’astuce consiste à introduire la fonction \(f = \frac{1}{\mathit{conso}}\).

    Après quelques calculs, on établit que \(f\) est solution de l’équation différentielle \[ \frac{df}{dt} = – \mathit{taux} * ( f – \frac{1}{\mathit{limite}}), \mbox{ avec la condition initiale } f(0)=1.\]

    Eureka, on sait résoudre cette équation ! On obtient \[ f = K * \exp (- \mathit{taux} * \mathit{temps}) + \frac{1}{\mathit{limite}}.\]

    On calcule \( K \) à l’aide de la condition initiale : \[ K = \frac{\mathit{limite}-1}{\mathit{limite}}.\]

    Il reste à inverser \(f\) pour revenir à \(\mathit{conso}\) : \[ \mathit{conso} = \frac{\mathit{limite}}{1+ (\mathit{limite}-1)*\exp(-\mathit{taux}*\mathit{temps})}.\]

    Lorsque le temps devient infini, \(\mathit{conso}\) devient presque égale à \(\mathit{limite}\), tout en restant plus petite.

    Un point d’inflexion est défini par une dérivée seconde nulle, avec changement de signe. On peut calculer la dérivée seconde de la consommation au moins de deux façons : en utilisant la formule de la fonction logistique ou en utilisant l’équation différentielle et la formule du taux variable. Voici un résumé des calculs pour cette deuxième méthode. \[ \begin{array}{lcl} \frac{d^2 \mathit{conso}}{dt^2} & = & \frac{d}{dt} \left( \frac{d \mathit{conso}}{dt} \right) \\ & = & \frac{d}{dt} \left( \mathit{taux}_{\mathit{var}} * \mathit{conso} \right) \\ & = & \frac{d}{dt} (\mathit{taux}_{\mathit{var}}) * \mathit{conso} + \mathit{taux}_{\mathit{var}} \\ & = & – \mathit{taux} * \frac{\mathit{conso}}{\mathit{limite}} + \mathit{taux}*\frac{(\mathit{limite}-\mathit{conso})}{\mathit{limite}} \\ & = & \mathit{taux}*\frac{(\mathit{limite}-2\mathit{conso})}{\mathit{limite}}. \end{array} \]

    On obtient donc que la dérivée seconde s’annule et change de signe si et seulement si \( \mathit{conso} = \dfrac{\mathit{limite}}{2}\).

    Morale de la fable

    Cette fable met en évidence l’impossibilité d’une croissance exponentielle dans un monde avec des quantités finies de ressources. Elle illustre les effets d’un dépassement des limites induites par ces quantités finies. Des équations mathématiques permettent de simuler les interactions entre les composantes d’un écosystème. Sans anticipation, on assiste à un effondrement généralisé des ressources, de leur consommation et de la démographie.

    Par contre, en faisant preuve de sobriété, on maîtrise les effets rétroactifs et on peut sauvegarder les ressources, tout en assurant une stabilité du système. Dans les années 1970, des scientifiques ont établi des équations mathématiques pour analyser l’évolution d’un écosystème mondial, plus complet et élaboré que la forêt et ses gorilles. Ce modèle, appelé World3, est décrit et discuté dans de nombreux ouvrages.

    • F. Rechenmann, Les limites de la croissance dans un monde fini, Interstices, 2014.
    • Dennis Meadows, Donella Meadows, Jørgen Randers, William W. Behrens III, The limits to Growth (en français Les limites à la croissance ou le Rapport Meadows), accessible en version originale ici, 1ère édition parue en 1972.
    • Zoé Steep, Les limites à la croissance – Meadows : questions raisonnées, Éditions Exces, collection Voix publiques, 2023.
    • Abel Quentin, Cabane, Éditions de l’observatoire, 2024.

    À la mémoire de Soso qui a inspiré la fable des gorilles. Merci aux relectrices et relecteurs scientifiques, et à Martine Olivi en particulier, qui ont été d’une grande aide.

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    Jocelyne Erhel

    Directrice de recherche émérite Inria, chercheuse en modélisation et simulation pour les sciences de l'environnement.

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