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    Hugues Hoppe : un as du pixel chez Microsoft

    Culture & Société
    Débarquant à 10 ans de Bruxelles aux États-Unis, il s'est vite pris de passion pour les ordinateurs. Aujourd'hui à 36 ans il vient d'être désigné par le SIGGRAPH 2004 - la grande messe de l'informatique qui manie le pixel - comme l'un des chercheurs les plus prolifiques de la spécialité.

    C’est entre dix et douze ans que Hugues Hoppe a commencé à jouer avec des pixels. « De gros pixels, et rectangulaires… », se souvient-il. Son TRS-80 en affichait tout juste 128 fois 48, mais c’était assez pour exciter la curiosité de ce jeune fils d’immigrés belges tout juste débarqués à Palo Alto. « C’est ainsi que j’ai fait mes premiers pas en graphique 2D. » Nous sommes dans les années 1977-1979, la Silicon Valley est en train d’accoucher de la micro-informatique.

    Auparavant, Hugues Hoppe était un Bruxellois, né en 1967 de parents eux-mêmes originaires de Mons, dans le même royaume. Et comme papa et maman il sera d’ailleurs à nouveau bruxellois de 1979 à 1981. Re-contraste. « Mes parents m’ont inscrit dans une école très traditionnelle, où l’on apprenait même le latin ! » Mais en 1981, retour aux États-Unis. « C’était plus facile à l’école, mais aussi plus flexible, j’ai pu me concentrer sur les maths, les sciences… » et les ordinateurs. « Pendant ma dernière année de high-school, quand j’avais 17 ans, j’avais un emploi du temps qui comprenait quatre heures par jour dans l’industrie, à programmer. » C’est fait, il est accro. Certains de ses travaux personnels, à nouveau, le mènent vers l’informatique graphique. « J’ai commencé à faire de la 3D, sans rien y connaître, en fait je réinventais la roue. »

    Tombé dans les pixels

    La 2D à 11 ans, la 3D à 17 ans, Hugues Hoppe était mûr pour une carrière dans le pixel : pourtant ce serait grossir le trait que de prétendre que cette trajectoire était déjà tracée. À ce stade, c’est l’informatique en général qui le passionne. Hugues Hoppe est désormais installé près de Seattle. Il y termine en 1985 son secondaire, puis entre à l’université de l’État de Washington. Il y obtient quatre ans plus tard un B. S. en génie électrique et en 1994 un Ph. D. en informatique. Sujet de sa thèse : « Surface reconstruction from unorganized points ». Cette fois, c’est dit, il est tombé dans les pixels.

    exemple de maillage progressif

    Quelques étapes d’un maillage progressif.

    Hugues Hoppe travaille aujourd’hui encore chez son premier employeur. Il est « senior researcher » au sein du « Computer Graphics Group » de Microsoft Research, qui est installé sur le gigantesque campus de Microsoft à Redmond, 20 kilomètres à l’est de Seattle. « L’environnement de recherche est excellent chez Microsoft », affirme l’intéressé. « Il favorise un judicieux équilibre entre recherche pure et développement avancé, et fournit des occasions de contribuer à la genèse de produits concrets que chacun peut utiliser. Je travaille avec un postdoc originaire de l’INRIA, Sylvain Lefebvre, et j’apprécie grandement cette collaboration. Nous avons aussi chaque été des étudiants en thèse qui viennent nous aider sur de gros projets. »

    Arrivé à 27 ans dans ce prestigieux laboratoire, Hugues Hoppe n’a pas mis longtemps à s’y faire remarquer. Dès 1996, il publie un papier qui est encore aujourd’hui l’un des plus cités dans le domaine. Tout est dit dans le titre : « Progressive Meshes », autrement dit les « maillages progressifs ». En deux mots, une méthode pour représenter des objets en 3D avec une précision variable, sous forme de polyèdres dont le nombre de facettes varie en fonction des besoins : par exemple moins lorsqu’on regarde de loin, de plus en plus quand on s’approche.

    La petite histoire raconte que c’est la célèbre statue de David par Michel Ange qui servit de source d’inspiration pour cette découverte. À l’époque, une équipe de Stanford se prépare à « photographier en 3D », à Florence, un certain nombre d’œuvres du sculpteur, à l’aide de faisceaux laser et d’appareils photo numériques. Le travail doit être réalisé avec une rare précision, et l’on anticipe que les chercheurs devront manipuler des modèles comportant des centaines de millions de facettes triangulaires. De fait, le David numérique en comportera au final deux milliards. Lourd.

    Hugues Hoppe vient d’être embauché chez Microsoft, c’est l’une des premières tâches qu’on lui confie : faciliter l’exploitation de cette énorme masse d’information. L’enjeu est terriblement stimulant, aussi bien techniquement que culturellement ; il va prendre le problème à bras le corps et faire des merveilles. Contradiction : un modèle 3D de haute précision, comportant des millions de polygones, permet de réaliser des gros plans stupéfiants mais devient un boulet lorsque l’objet n’est plus qu’un détail dans le paysage, car il engendre énormément de calcul inutile pour finalement n’occuper que quelques pixels dans l’image.

    Ce n’est pas pour rien que, par exemple dans les logiciels de jeux vidéo, on travaille souvent avec plusieurs modèles de précisions différentes pour un même objet. À tout moment, on exploite le modèle dont la précision est adaptée à la situation : la plus basse résolution lorsque l’objet est dans le lointain, un plus précis lorsqu’on s’approche… Problème : au moment on l’on bascule d’un modèle grossier à un plus précis, l’objet concerné semble se « gonfler » d’un coup, ce qui attire l’attention.

    La technique des maillages progressifs de Hugues Hoppe revient en quelque sorte à détricoter un modèle pour le simplifier. Soit un modèle initial de haute résolution, doté de nombreuses facettes, en l’occurrence des triangles, définis par leurs sommets. L’idée est d’y apporter de manière récurrente une simplification minime qui à chaque fois ne fait disparaître que l’un de ces sommets. Pour cela, on cherche deux points voisins, formant une « arête » du modèle (et donc le côté de deux triangles) que l’on peut rapprocher, au point de les confondre, au prix d’une déformation minimale du modèle. On parle de « contraction » d’une arête. Un point, une arête, et deux triangles en moins : un infime détail a disparu, et le nouveau modèle, pourtant un tout petit peu plus simple, se distingue à grand peine du précédent.

    Un point essentiel : chaque « contraction d’arête » est réversible, il suffira le moment venu d’appliquer l’opération inverse appelée « séparation de sommets ». Pour cela, on mémorise toutes les données nécessaires. La technique de Hoppe, au bout du compte, transforme le maillage de départ en deux choses : un maillage très simplifié, obtenu après avoir « détricoté » tous les détails, et la liste de toutes les « séparations de sommets » qu’il faut lui appliquer, dans l’ordre, pour reconstruire le modèle initial.

    Partant de là, on peut obtenir un modèle de précision intermédiaire, à la demande. À tout moment, il suffit de remettre des mailles ou d’en enlever pour augmenter ou diminuer le niveau de détail, et cela de manière totalement progressive, d’où le nom de « maillages progressifs ». Toute la communauté du 3D s’est ruée sur cette idée. Et, bien sûr, les maillages progressifs ont depuis été « gravés » dans DirectX, le « moteur » graphique et multimédia de Windows.

    Cet article mémorable date de 1996, alors que Hugues Hoppe vient à peine de s’installer chez Microsoft. Depuis, l’homme ne s’est pas assoupi sur ses lauriers. Il a publié une quarantaine d’articles dont plusieurs ont également fait du bruit. Ces contributions abordent divers domaines que nous nous contenterons de nommer : « reconstruction de surfaces » (en anglais « surface reconstruction »), « images géométriques » (« geometry images »), « geometry clipmaps » (on recherche traduction française)… Cette dernière technique permet de dessiner des paysages en utilisant une résolution du terrain de un mètre pour le premier plan et de 100 mètres pour les montagnes à l’horizon.

    exemple d'image géométrique

    Exemple d’image géométrique.

    « Dans la période récente, disons les trois dernières années, précise Hugues Hoppe, mon travail s’est focalisé sur les représentations à l’aide d’images, plus exactement de tableaux 2D. Les processeurs graphiques offrent des capacités de traitement énormes et leur avantage sur les unités centrales a toutes les chances d’augmenter encore. » Or, pour exploiter à fond leur puissance, il est important d’utiliser des structures de données simples. En particulier, les processeurs graphiques sont conçus pour produire efficacement des tableaux de données, notamment des tableaux 2D, c’est à dire des images. « L’une des mes récentes directions de recherche, poursuit Hugues Hoppe, a exploré comment la géométrie d’une surface peut être représentée comme une image, cela afin de bien exploiter la capacité de traitement des processeurs graphiques. En ce moment, je m’intéresse à « l’amplification de données », c’est à dire la possibilité de représenter des contenus de grande taille, comme un vaste paysage réaliste, à l’aide d’une description compacte. L’idée est de pouvoir exploiter cette représentation « à la volée », c’est à dire au fur et à mesure que l’utilisateur se déplace dans cet environnement. »

    Rendez-vous au SIGGRAPH

    création d'un t-shirt pour SIGGRAPH 92

    Visuel d’un T-shirt créé par Hugues Hoppe pour sa première participation au SIGGRAPH, en 1992…

    Un grand rendez-vous annuel rythme l’existence de la communauté du « computer graphics ». À la fois conférence et exposition, le SIGGRAPH est une grand-messe célébrée dans une métropole états-unienne, souvent à Los Angeles. C’est le lieu où année après année se formule l’état de l’art. Les meilleures équipes de recherche viennent y confronter leurs plus récentes trouvailles, les entreprises du secteur y exposent leurs dernières productions.

    Chaque année, on décompte les articles, issus des meilleures équipes mondiales, qui ont été acceptés pour la conférence SIGGRAPH. En 2004, pour la 31e édition du SIGGRAPH, qui se tenait du 8 au 12 août, Microsoft présentait pas moins de douze papiers (15% du total), dont trois portaient (entre autres) la signature de Hugues Hoppe. La routine pour lui, qui publie régulièrement à SIGGRAPH depuis 1992.

    Mais en définitive, le SIGGRAPH 2004 ne sera pas pour Hugues Hoppe un SIGGRAPH comme les autres. En effet, une prestigieuse récompense, le Computer Graphics Achievement Award, lui est attribuée. Elle couronne l’ensemble de son œuvre. Hugues Hoppe n’a que 36 ans. Cette distinction, précise le discours officiel, salue les formidables contributions de ce brillant et précoce chercheur dans les domaines des maillages progressifs, de la reconstruction de surfaces, des textures géométriques et des images géométriques.

    douze ans plus tard, c’est la consécration.

    Et si c’était à refaire ? « Je pense que j’ai le job idéal », estime Hugues Hoppe. Mais si on le pousse dans ses derniers retranchements, il admet qu’il reprendrait bien un peu de physique à l’Université. « En ce moment, je suis fasciné par la physique », explique-t-il encore lorsqu’on l’interroge sur ses lectures, qui tournent autour des sciences et de la science-fiction. En particulier, la structure de l’univers est pour lui un sujet d’intérêt et d’émerveillement. Notre petite planète fascine également Hugues Hoppe. Récemment, il s’est rendu au Kenya et en Tanzanie, jusqu’au sommet du Kilimandjaro. Et Hugues Hoppe vient de s’embarquer dans un voyage d’un autre type : il s’est marié.

    Est-il resté un peu, beaucoup, moyennement belge, cet Américain si bien installé dans l’un des hauts lieux de la mondialisation ? « Bonne question. Je suis retourné en Europe, à l’occasion de voyages, presque chaque année, ce qui fait que j’en sais un rayon sur la culture… Mais sur bien des sujets, mon vocabulaire français est celui d’un enfant de quinze ans. » La vraie réponse est peut-être dans ce cri du cœur sur son site web : « J’aime toutes les bonnes choses belges, la gueuze, le chocolat, les moules, les gaufres de Liège, les speculoos… ».

    Mais Hugues Hoppe est d’abord un chercheur, un membre très actif d’une communauté planétaire. Ce qu’il fera demain, après-demain ? « Pour le long terme, je ne sais pas », affirme Hugues Hoppe. « J’ai tendance à suivre un « thème de recherche » qui change tous les quatre ou cinq ans. Ce fut d’abord la reconstruction de surface. Puis la géométrie multirésolution. Ensuite, ce fut le paramétrage de surface. Aujourd’hui, ce sont les images géométriques. » Et après ? Même s’agissant de sa propre recherche, Hugues Hoppe n’est pas du genre à manier la boule de cristal.

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    Pierre Vandeginste

    Journaliste scientifique.
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