Quelle place pour la voiture en ville ?
Cet article met à jour la première version publiée en novembre 2004.
1. La voiture et ses usages
La voiture est accusée de plusieurs défauts qui la rendraient incompatible avec la ville. Elle pollue, elle contribue à l’effet de serre, elle est bruyante, elle est dangereuse et gourmande en espace. Si les constructeurs ont fait de gros efforts sur les 3 premiers points, les problèmes persistent en milieu urbain sur la sécurité et surtout sur l’utilisation du domaine public.
Le conducteur moyen n’est pas très performant en terme d’usage de l’espace. Il lui faut 3,5m de chaussée alors que son véhicule dépasse rarement les 2m de large et il lui faut des intervalles entre véhicules assez grands pour s’arrêter dans toutes les circonstances (et tous les jours, les exemples sont nombreux pour démontrer que cela n’est pas suffisant). En conséquence, le débit d’une voie rapide est au maximum d’environ 2500 passagers à l’heure alors que dans le même espace, des trains, des métros ou des tramways et même des bus cadencés avec des plate-formes d’accès bien pensées, peuvent dépasser les 30 000 passagers à l’heure.
La sécurité peut être améliorée via des contraintes sur la voiture, par exemple les vitesses limitées automatiquement, mais l’utilisation de l’espace reste le point dur face à une explosion des déplacements et une demande croissante de places de stationnement.
Un gros handicap de la voiture particulière est l’occupation de l’espace urbain lorsqu’elle stationne. Une voiture occupe environ 10m2 d’espace en bordure de voirie (et parfois sur les trottoirs dans certaines villes permissives) mais ces places sont limitées et les responsables politiques essaient de les réduire encore pour donner la priorité aux transports en commun ou aux piétons. Cet espace n’est donc plus suffisant pour satisfaire la demande de motorisation des habitants qui continue à augmenter (sauf dans les très grandes villes), en particulier avec la multimotorisation des ménages. Certaines villes ont voulu résoudre le problème du stationnement en créant des parcs souterrains publics ou privés mais cette solution est coûteuse et crée donc une discrimination sociale, qui est du même ordre que celle induite par le péage urbain. De plus, ces parcs sont de véritables « aspirateurs à voitures », c’est pourquoi ils ont été fortement freinés dans certaines villes, notamment en Suisse.
La solution est bien évidemment dans une complémentarité entre les modes de transport, un meilleur usage de la voiture, voire dans une redéfinition de la voiture. Autant faut-il pour cela comprendre l’évolution des centres urbains.
Quel est le dessein de la ville de demain ?
La ville a été gravement dévitalisée par l’accroissement de la mobilité et par la périurbanisation (souhaitée ou subie). Elle doit désormais se recentrer, se rassembler autour de valeurs telles que la vitalité économique, la qualité environnementale et la solidarité sociale. La concentration urbaine conserve, en effet, certaines vertus qu’il est possible de réhabiliter au-delà du seul patrimoine bâti.
Alors d’un côté, on restaure les vestiges de l’histoire, de l’autre, on spolie le territoire disponible. D’une main, on piétonnise le passé, de l’autre, on surmotorise le présent. Cette cohabitation peut-elle durer lorsqu’on parle de développement durable ?
La culture Internet aidant, l’homme est plus instantanément près de tout et il est poussé à avoir des réflexes de très grande mobilité physique. Après le domicile-travail (métro-boulot-dodo), c’est la croissance des activités de loisirs qui est à l’origine d’une très forte augmentation des déplacements individuels motorisés et les achats sur Internet qui augmentent les livraisons de marchandises.
Qu’observe-t-on face à l’évolution de l’urbanisme ? Très logiquement, le même phénomène constaté auparavant, transposé aux transports : les transports publics deviennent des transports de proximité spatiale et temporelle. D’une part, on redécouvre le tramway que l’on avait un peu partout sacrifié face à la praticité de l’automobile, alors qu’à l’autre bout de la mobilité, on cultive « l’automobile plurielle », polyvalente et individualisante… Les paradoxes du développement urbain sont donc suivis, en toute logique, par ceux des transports.
En effet, la demande en matière de déplacements a beaucoup évolué et les besoins de l’usager varient tout au long d’une journée, se dispersant dans le temps et l’espace. À cela, les transports en commun n’apportent actuellement pas de réponse performante. C’est pourquoi les espoirs se tournent vers de nouveaux modes de déplacements complémentaires, publics ou privés, étudiés et expérimentés dans de nombreux pays européens.
Depuis le début des années 1990, Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) étudie avec des partenaires tels que l’IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux ) comment les techniques de l’information et des télécommunications font émerger ces nouveaux modes.
Des véhicules en libre-service
La solution qui s’est imposée rapidement est le partage de la voiture. D’abord le co-voiturage qui conduit plusieurs individus à partager un même véhicule (par exemple Blablacar), mais aussi le partage dans le temps, avec des véhicules publics qui sont mis à la disposition des usagers pour aller d’un point à un autre (par exemple Autolib à Paris).
Ce système de libre-service à base de technologies de l’information et de la communication (GPS, carte à puce, communications numériques, gestion en temps réel…) a été développé et testé pour la première fois dans le projet Praxitèle avec 50 véhicules électriques Renault à St Quentin en Yvelines en 1997. Pour la partie informatique, le prototype avait été réalisé par l’Inria en 1995.
Avec le libre-service, les villes désireuses de réduire fortement les nuisances de la voiture tout en offrant un service permanent de mobilité, peuvent désormais contraindre la circulation des véhicules polluants tout en offrant une alternative écologique et économique. On estime qu’une voiture en libre-service peut ainsi remplacer près d’une quinzaine de véhicules tout en offrant aux citadins un véritable choix à tout moment entre véhicule individuel, transports en commun ou modes doux (marche, vélo…).
Le développement des véhicules en libre-service va inciter aussi les constructeurs à repenser la voiture. Dans la mesure où le client n’est plus le particulier mais un gestionnaire de flotte (qui peut être une compagnie de taxis, un loueur de voitures ou encore un opérateur de transport en commun), le cahier des charges est différent. Honda a ainsi pré-câblé certains modèles particulièrement adaptés à la circulation urbaine tels que les modèles hybrides (projet ICVS), pour qu’ils puissent être mis en libre-service. Bien entendu, il faudra que l’usager soit attiré par l’utilisation de ces véhicules : encore faudra-t-il qu’on lui offre un service de qualité et certaines facilités (comme par exemple le parking à destination) à un coût intéressant (qui peut être inférieur au coût actuel d’utilisation d’une voiture). À ces conditions, ce service devrait rencontrer un succès certain.
Malheureusement, pour des raisons d’organisation, ces véhicules ne sont disponibles que dans un ou quelques parkings distribués là où la demande est forte. Afin qu’ils soient disponibles en tout lieu et à toute heure, leur ré-acheminement automatisé ou semi-automatisé se doit d’être résolu.
2. Expérimenter les cybercars
Ce déplacement automatique a fait l’objet de recherches dès le début des années 1990. L’Inria a ainsi présenté en 1996, un véhicule prototype, le CyCab, pour illustrer le potentiel de la robotique dans les déplacements urbains. Vous noterez la ressemblance avec un certain véhicule automatique d’une grande firme de la Silicon Valley présenté en… 2013 !
Ce CyCab, destiné aux petits déplacements (il a été conçu sur un cahier des charges de la RATP pour le parvis de La Défense) est entièrement sous contrôle de plusieurs calculateurs et il peut se déplacer que ce soit automatiquement, en télécommande à partir d’un poste central, en train avec un seul conducteur, ou encore avec un joystick manipulé par l’utilisateur. Le CyCab est maintenant mis sur le marché par la société Robosoft, une « jeune pousse » de l’INRIA qui offre différentes solutions de transport automatique aux villes et aux sites privés (un des systèmes qu’elle commercialise a été mis en service en 2003 pour visiter la ligne Maginot à Bitche).
Autre exemple, c’est à la fin 1997 que l’aéroport de Schiphol à Amsterdam a mis en service les premiers véhicules routiers automatiques pour le transport de personnes.
À l’aéroport de Schiphol, quatre navettes fonctionnent ainsi 24 heures sur 24 dans le parking longue durée pour aller de sa voiture au terminal de bus. Ces véhicules (les ParkShuttles de la société Frog Navigation Systems) fonctionnent à la demande comme un « ascenseur horizontal ».
En 1999, un deuxième système a été mis en place par Frog pour assurer la liaison entre une gare de la banlieue de Rotterdam et un centre d’affaires. Ce deuxième système est en cours d’extension avec 7 navettes automatiques.
Fort de ces recherches et des premières applications dans le public, l’Inria a proposé en 2000 à la Commission européenne le double programme de recherche CyberCars/CyberMove concernant les véhicules urbains automatiques, le premier volet étant appliqué aux technologies et le second aux études socio-économiques.
Ce programme a duré 3 ans (2001-2004) et regroupait 14 partenaires. Le montant total des études a été de près de 10 M€ (dont 50% de financement européen).
Le volet technologique, nommé CyberCars, était financé par la DG Société de l’Information.
Le volet socio-économique, nommé CyberMove, était lui financé par la DG Recherche (action clé « Ville de demain et héritage culturel » du programme de recherche européen Énergie, Environnement et Développement durable).
Les véhicules automatiques étudiés dans ces projets sont désormais appelés des cybercars, selon une terminologie utilisée par le sénateur Trégouët, président de la Commission Innovation au Sénat.
« Dans les quinze ans à venir, dans les grandes villes, la gestion de la circulation ne pourra plus être assurée par les seuls individus. Leur voiture sera prise en charge par un système central de régulation de la circulation. On ne parlera d’ailleurs plus de voiture mais de « cybermob » ou de « cybercar ». »
(Sénateur Trégouët, AUTO MOTO n° 67 de mai 2000).
Issus, le plus souvent, des technologies de robotisation, les cybercars sont guidés par des « rails électroniques » basés sur le GPS, des clous magnétiques, des repères optiques ou encore par un magnétoglisseur, rail magnétique placé dans le sol permettant, en outre, la transmission des informations et de l’énergie, le tout sans contact. La détection des éventuels obstacles s’effectue grâce à un système de lasers ou de caméras qui permet au véhicule d’avertir, de ralentir ou de s’arrêter.
Les cybercars ne sont pas seulement des véhicules à conduite automatique, ils sont aussi sous le contrôle d’un système de gestion qui adapte à tout moment l’offre en fonction de la demande et assure ainsi une bonne régulation qui évite la saturation du système.
Ces nouvelles formes de transport urbain sont testées afin d’examiner les effets de leur utilisation, en termes de mobilité, d’écologie urbaine mais aussi de coût et d’acceptation par les usagers.
Des expérimentation grandeur nature à La Rochelle
La ville de La Rochelle s’est proposée lors des projets CyberCars2, CityMobil et CityMobil2 de mettre en place des expérimentations à base de cybercars. L’objectif était triple : démontrer d’une part que l’exploitation continue d’un cybercar est envisageable à court terme ; d’autre part, qu’il est possible d’intégrer ce type de transport futuriste sans barrières architecturales dans la ville ; enfin, que l’usager l’utilise volontiers, en toute confiance.
Le résultat technique est probant : des navettes automatisées ont circulé à plusieurs reprises en 2011, 2013 et 2015, transportant au total plusieurs dizaines de milliers de personnes. Du point de vue urbanistique, il a été démontré que ce type de mobilité douce gagne, sur la voiture, au moins 2000 m2 par kilomètre de voirie. Autrement dit, il est envisageable de restaurer le domaine public au profit des piétons et de l’animation sociale, tout en assurant la mobilité urbaine. Enfin, l’enthousiasme général des premiers usagers semble indiquer une acceptation sociale aisée. La ville de La Rochelle a d’ailleurs décidé d’étudier l’aménagement de la ligne telle qu’elle a été initialement projetée, sur la totalité du parcours (une boucle de 3 km). Cette ligne devrait permettre ainsi aux visiteurs venant en voiture de laisser leur véhicule à l’entrée de la ville dans un parking gratuit et de se rendre au port ou à la vieille ville sans engorger ni polluer le site.
À quoi ressembleront les cybercars du futur ?
Ils seront sans doute peu différents des monospace offerts maintenant par l’industrie automobile. Certains seront réservés aux espaces urbains, certains seront peut-être plus polyvalents et pourront ainsi sortir de la ville. D’autres seront adaptés aux livraisons de marchandises (en particulier avec le développement du e-commerce). Ils seront certainement très propres et silencieux, vraisemblablement grâce à une technologie hybride et un fonctionnement purement électrique en ville. Bien entendu, ils auront un fonctionnement automatique, mais aussi un fonctionnement manuel qui leur permettra ainsi d’avoir accès à toutes les infrastructures existantes.
Par ailleurs, la technologie du « platooning » (trains de véhicules sans contact) permet de transposer l’ambition d’une mobilité intégrale et intégrée à une réalité plus tangible.
Demain, les opérateurs en matière de transports publics, outre les transports en commun existants, gèreront des flottes de véhicules aux interfaces identiques. Ces derniers seront répartis dans l’espace urbain afin de constituer une offre dispersée en libre-service intégral, sans réservation. Mais ces véhicules pourront se reconfigurer en transport en commun sur certains axes à forte demande à certaines heures. En effet, les techniques de l’automatisation ont démontré que de fortes capacités pouvaient être atteintes par ces véhicules (aux environs de 8000 véhicules par heure) sur des infrastructures légères. Si, de plus, on demande aux usagers de se regrouper dans ces véhicules (co-voiturage), on peut ainsi arriver à un transport en commun de forte capacité aux périodes de pointe qui peut redevenir un transport individuel à la demande dès que la pointe est passée.
Le remorquage rend dès lors chaque mobile urbain polyvalent, au service d’une mobilité fluctuante… et d’une amélioration sensible de l’alternative au véhicule privé. En effet, plus compacts, ces véhicules interviennent en parfaite complémentarité avec les transports en commun existants, rendant le service public beaucoup plus attrayant et performant, en particulier en offrant le porte-à-porte et la disponibilité totale.
À travers ses 14 sites et études pilotes, le projet CyberMove a démontré clairement les liens étroits entre la planification de la ville et celle des transports. On ne peut motiver la mise en œuvre des cybercars s’ils ne répondent pas à un besoin clairement identifié. Avant d’être des « gadgets », ce sont des outils de transport au service de la planification urbaine.
Ce n’est qu’à travers la complémentarité de l’offre proposée, la cohérence d’un projet d’aménagement et d’intégration urbaine et parallèlement la mise en œuvre de mesures contraignantes vis-à-vis des véhicules privés les plus nuisibles, que ces nouveaux modes de déplacement seront réellement performants et susceptibles de résister efficacement à la pression de l’automobile privée.
Les perspectives en matière de mobilité urbaine sont très prometteuses dès lors que nos élus auront décidé d’engager une politique de revalorisation urbaine, forte et cohérente dans ses différentes composantes en matière de déplacements, d’urbanisme et d’animation sociale.
Pour aller où ? Vers une nouvelle ville attrayante, plus densément peuplée mais aussi plus conviviale, moins bruyante, moins polluée et surtout, plus mobile.
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Thierry Chanard