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Tabulatrice d'Hollerith : les compteurs © Inria / Photo Kaksonen
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    L’invention de la mécanographie

    Histoire du numérique
    Il semble impossible, aujourd’hui, de dissocier informatique et électronique : transistors, processeurs, mémoires électroniques, ordinateurs silencieux et bureaux propres paraissent liés aux traitements de données de tout type. Et pourtant…

    Pourtant, de 1890 à 1960, soit pendant plus de soixante-dix ans, ces traitements ont été exécutés exclusivement sur des machines… mécaniques ! Oui, mécaniques ou plus exactement électromécaniques : c’est alors un assemblage complexe d’innombrables relais électriques, de vis, de boulons et d’engrenages qui traitait les fameuses cartes perforées pour réaliser, avec une excellente fiabilité, les traitements de données aujourd’hui dévolus aux transistors. Oubliée aujourd’hui, la mécanographie a pourtant ouvert la voie à l’industrie moderne de l’information : elle a été la première implémentation de systèmes automatiques de traitement de données.

    Ainsi jusqu’aux années 1960, c’est dans l’odeur d’huile et dans le bruit presque insoutenable de « l’atelier mécanographique », que les « informaticiens » calculaient et imprimaient, en quelques jours, la paie mensuelle ou l’inventaire annuel de la plupart des grandes entreprises. Ces machines mécanographiques, semblables à de grosses machines d’imprimerie, occupaient de larges pièces qui leur étaient consacrées, avec un personnel attaché de plusieurs dizaines de personnes, dont de nombreux mécaniciens spécialisés et électromécaniciens.

    Inventée en 1886, d’abord à des fins de traitement des données statistiques, la mécanographie a rapidement développé, dans les premières années du 20e siècle – avec un taux de croissance de 30 à 50 % par an – des capacités de traitement de données de tous ordres : tenue de comptes bancaires, gestion des clients des assurances, édition des paies, stocks, gestion des trains…

    La place des machines mécanographiques est alors aussi importante que celle des ordinateurs centraux actuels et les calculatrices géantes mécanographiques, qualifiées de « cerveaux mécaniques », sont les superordinateurs de l’époque… Elles sont une des clés essentielles de la compétitivité des grandes entreprises, et leur production, comme celle des ordinateurs d’aujourd’hui, constitue un enjeu économique et géostratégique majeur.

    Hermann Hollerith, inventeur

    Hermann Hollerith vers 1888.
    Photo : C. M. Bell – Library of Congress.

    Fait remarquable, c’est un homme seul, l’ingénieur américain Hermann Hollerith, qui est à l’origine des bases fondamentales de la mécanographie. De 1882 à 1886, cherchant à obtenir le très profitable contrat à venir du recensement américain de 1890, ce personnage entêté va mener les recherches à ses frais. En seulement quatre ans, il repense la carte perforée – déjà existante – pour en faire le premier support universel de données. Inventant autour d’elle les machines capables de l’exploiter, il crée ainsi le premier système commercialisé de traitement de données.

    Lauréat de la compétition du recensement début 1890, son système mécanographique compile dans la foulée, en quelques mois, les fiches de données de plus de soixante-trois millions d’Américains, et cela, avec exactitude. Pour la première fois, des machines ont remplacé l’Homme dans une tâche de traitement de données d’envergure, jusque-là exécutée à la main par des employés de bureau.

    Un ingénieur passionné de mécanique

    Hermann Hollerith naît à New York en 1860, fils d’intellectuels allemands originaires de la région de Landau (proche de la Bavière) et réfugiés aux États-Unis depuis leur participation aux troubles révolutionnaires européens de 1848. Jeune homme doué, il obtient avec mention en 1879, à seulement dix-neuf ans, son diplôme d’ingénieur de l’École des mines à l’université de Columbia.

    Impressionné par ses capacités, un de ses professeurs, spécialiste des statistiques, lui propose alors de devenir son assistant à Columbia. Il le suit bientôt à Washington, au Bureau du Recensement des États-Unis (U.S. Census). De 1879 à 1882, Hollerith y travaille comme statisticien.

    À la recherche d’un système plus efficace

    C’est là qu’il découvre l’ampleur du problème auquel sont confrontés les statisticiens de l’époque. Attablés dans de larges halls, plusieurs centaines d’employés doivent pointer laborieusement, à la main, les données de plus de cinquante millions de fiches issues du recensement de 1880. D’ores et déjà, en dépit de cette armée d’employés, il est prévu que plus de huit ans seront nécessaires avant la livraison des résultats. Pour le Bureau du recensement, cette méthode de travail manuelle – la seule disponible à l’époque – a un coût énorme. À l’évidence, une méthode plus efficace permettrait des économies considérables.

    Hollerith est mis sur la voie de son invention lors d’un dîner chez un collègue du Bureau plus âgé que lui, John Shaw Billings, qui l’apprécie, et dont il courtise la fille. Billings est alors directeur des statistiques de santé, et son service est particulièrement confronté à la complexité des croisements d’informations à établir.

    Discutant du traitement des fiches de statistiques, ils conviennent que ce travail, purement répétitif, devrait se prêter parfaitement à un traitement mécanique. Une machine apporterait une formidable productivité, mais sous quelle forme mettre les informations ? Et quel pourrait bien être le support matériel susceptible de passer dans une telle machine ?

    Billings a apparemment déjà réfléchi à cette mécanisation : c’est lui qui suggère à Hollerith que le système des célèbres métiers à tisser Jacquard, utilisant des rubans de cartonnages perforés, pourrait être une voie d’inspiration. Hollerith est frappé par l’idée. Et ce, d’autant plus qu’ayant fréquenté les ateliers d’usinage durant ses études d’ingénieur, il s’est passionné pour la mécanique. Il est également conscient que de nombreux autres organismes officiels manipulent des volumes importants de statistiques, et qu’une machine suffisamment efficace trouverait facilement des débouchés.

    Aussi quand, en 1882, il quitte le Bureau pour devenir professeur de mécanique à l’Institut de Technologie du Massachusetts de Boston, le jeune homme, guère motivé par son travail d’enseignement, profite en revanche largement des ressources des ateliers de l’institut pour y explorer son idée : la mécanisation du traitement de données statistiques à l’aide des cartes perforées de Jacquard.

    Ces rubans de cartes étaient déjà bien connus à l’époque : avec eux, le Lyonnais Joseph Marie Jacquard avait réussi en 1801 la mécanisation définitive du tissage de motifs complexes et révolutionné ainsi cette industrie. Ils avaient également servi, à partir des années 1850, de support de reproduction des mélodies des pianos mécaniques.

    Bien que certains historiens des techniques fassent de ces cartes les premiers supports de programmation – alors que la programmation automatique par cartes perforées ne sera effectivement utilisée qu’après la seconde guerre mondiale – elles ne sont encore que des dispositifs de « contrôle de mécanismes », à l’exemple du piano mécanique, où un trou court donne une note courte et un trou allongé une note longue.

    De ces cartes perforées, Hollerith, lorsqu’il se met au travail au MIT en 1882, va faire un usage inédit. Son idée – suggérée par Billings – est que si une information peut être représentée par un trou, ou son absence, dans un endroit d’un support déterminé a priori, il est ensuite facile de détecter ce trou, mécaniquement ou électriquement, et de comptabiliser ainsi l’information.

    Le ruban perforé comme première tentative

    Mais avec cette bonne idée, il part dans une mauvaise direction pour sa première machine électromécanique. Comme support des perforations, délaissant l’encombrant et rigide cartonnage, il a choisi un ruban de papier léger disposé en rouleau, qui peut sembler plus pratique pour un traitement en continu.

    Or le ruban perforé montre des défauts : la correction des erreurs de saisie est quasi impossible, et surtout, Hollerith découvre qu’il ne peut pas vraiment sélectionner et extraire des informations, un préalable nécessaire à leur croisement aisé dans la perspective du recensement.

    En effet, pour comptabiliser un groupe particulier, tel que le nombre de femmes mariées, étrangères, et de plus de vingt ans, par exemple, il faut faire défiler des kilomètres de ruban. Problématique, d’autant que le ruban se déchire facilement. Prudent, Hollerith brevette néanmoins son système en 1884.

    Photographie poinçonnée et cartes perforées

    Heureusement, la solution à ce problème a commencé à lui apparaître l’année précédente, en 1883, au cours d’un voyage en train vers l’Ouest. Lors de l’achat au comptoir de son billet – nominatif et individuel – il découvre que les différentes informations du voyageur, destination, taille, couleur des cheveux et âge, sont enregistrées en poinçonnant le ticket en différents endroits sur les côtés. Pour la compagnie, l’idée est de permettre ultérieurement aux contrôleurs à bord du train de détecter les fraudes d’échange de billets en décryptant cette « photographie poinçonnée ».

    Hollerith, lui, voit dans cette carte perforée individuelle la fonction qu’il recherche, celle d’enregistrer les multiples informations de chaque personne du recensement sur une carte, séparée cette fois-ci. Un support d’information qui est dès lors triable, susceptible d’être extrait, et ainsi reclassable. La carte est également plus solide… et donc capable d’un passage répété en machine.

    Stocker les informations de soixante millions d’individus

    Aussi quand en 1884, Hollerith délaisse le professorat, qu’il n’a jamais goûté, pour s’établir comme inventeur, il travaille à un second système qui utilise, comme les compagnies ferroviaires, des cartes perforées sur les côtés et poinçonnées à la main.

    En 1886, il est prêt et cherche immédiatement à louer ses machines, pour un test en vraie grandeur. C’est à Baltimore, dans les services de santé, fin 1886, que son système est utilisé pour la première fois avec succès, pour compiler les statistiques de mortalité.

    Mais ce test montre que poinçonner les cartes à la main est fatigant – Hollerith en a eu le bras presque paralysé à Baltimore –, imprécis, et engendre nombre d’erreurs. Avec en tête le recensement de 1890 et ses centaines de millions de données à perforer, une machine de perforation s’impose. Et de plus, comment gérer et ranger soixante millions de cartes ?

    La carte perforée d’Hollerith

    Il a l’idée économique d’utiliser les meubles de billets déjà fabriqués pour les banques. Il aligne donc la taille de ses cartes sur celle des dollars de l’époque, 8 cm sur 19 environ et s’attelle à la conception d’une perforatrice spécifique à ces cartes, plus ergonomique, précise et rapide.

    Perforatrice pantographique (modèle utilisé lors du recensement de 1890).
    Photo : U.S. Census, vers 1930.

    Ce développement va se révéler des plus féconds. Il découvre qu’une telle machine, au-delà des seuls côtés de la carte, peut aussi poinçonner n’importe quel point de leur surface, ce qui augmente de beaucoup la quantité d’informations pouvant être stockées : deux cents perforations deviennent « adressables » sur douze lignes et vingt colonnes (deux lignes restant inutilisées), soit dans le langage informatique d’aujourd’hui, 200 bits, équivalant à 25 octets. Dans le cadre du recensement, la carte pourra ainsi enregistrer quarante informations pour chaque personne.

    Autour de cette nouvelle carte, il conçoit alors rapidement une machine de comptabilisation et un système d’extraction et de classement des cartes pour pouvoir croiser des informations. Le 8 juin 1887, il dépose sa demande de brevet pour l’ensemble de son système de comptabilisation et de traitement automatique des données statistiques. Elle sera accordée le 8 janvier 1889. C’est avec ce système qu’Hollerith est le premier à faire de la carte perforée un support de codage binaire d’information.

    Le système mécanographique d’Hollerith

    Hollerith ayant constamment amélioré ses machines, le système décrit ci-dessous est celui du recensement de 1890. Il est composé de trois machines : perforatrice, tabulatrice, classeuse, et d’un média, la carte perforée. La première étape est le transfert des informations, dans laquelle un opérateur perforateur lit les informations écrites à la main sur chaque feuille du recensement pour les traduire en trous sur la carte d’Hollerith.


    Un modèle de perforatrice datant de 1899 (collection de l’Amisa).
    Visionner la vidéo – Durée : 32 s.

     

    Les lots de cartes sont ensuite passés à l’opérateur de la tabulatrice, machine qui remplace la comptabilisation manuelle, une à une, des informations. Ce dispositif électrique, qui lit d’un seul coup les quarante informations de la carte, est au cœur du système mécanographique d’Hollerith.


    Tabulatrice et classeuse (collection de l’Amisa).
    Visionner la vidéo – Durée : 1 min 56 s.

     

    Introduisant une carte dans la tabulatrice, l’opérateur, d’un simple mouvement de levier, abaisse alors sur la carte perforée un couvercle, comportant un tableau de deux cents(10 × 20) aiguilles métalliques montées sur ressorts. Ces aiguilles constituent autant de détecteurs des perforations : si un trou est présent, chaque aiguille rencontre sous la carte un minuscule réservoir de mercure, et ferme ainsi un circuit électrique.

    Tabulatrice (collection de l’Amisa) : détail des compteurs.
    © Inria / Photo Kaksonen.

    Classeuse (collection de l’Amisa) : détail des casiers.
    © Inria / Photo Kaksonen.

    Cette fermeture, par le biais d’un électro-aimant, fait avancer d’une unité le compteur d’information correspondant à chaque trou – homme, femme, marié, célibataire, étranger…

    Dans le même instant, dans la troisième et dernière machine du système – la classeuse, une armoire de rangement automatique – commandé en fonction des informations lues par la tabulatrice, un des douze casiers présents est ouvert par son électro-aimant. La carte, sélectionnée parce qu’elle concerne un homme marié par exemple, y est rangée par l’opérateur en vue d’une recherche statistique ultérieure : l’âge des hommes mariés, ou leur localisation, etc.

    Cette machine de classement, qui démultiplie les possibilités de traitements différents des informations pour des statistiques croisées, par les prolongements qu’elle apporte, se révélera capitale dans le développement commercial du système d’Hollerith.

    Le contrat du recensement de 1890

    À partir de la mi-1887, après le succès de Baltimore, puis sa répétition à New York, Hollerith commence à fabriquer ses machines pour les louer à des clients de plus en plus prestigieux. Il adapte et raffine son système à chaque occasion. Sa réputation grandit, et les journaux commencent à parler de son système. En 1888, il obtient ses premiers contrats gouvernementaux avec les services de santé du Ministère de la Défense puis ceux de la Navy, importants pour Hollerith dans sa volonté d’obtenir l’éventuel énorme contrat du recensement à venir.

    En 1888, par chance, c’est un ancien collègue et ami, Robert Porter, qui est nommé directeur pour le recensement de 1890. Il a suivi les développements d‘Hollerith et a même décrit avec enthousiasme dans la presse, avant sa nomination, les récents progrès du nouveau système. Dans ses premières décisions figure le lancement d’une compétition-test pour départager les différents systèmes proposés de traitement des statistiques ; un test pour lequel… John Billings, toujours en activité au Bureau, est désigné comme superviseur !

    Hollerith s’y retrouve opposé à deux autres systèmes, mais tous deux encore manuels, et basés sur une transcription des informations vers des cartes distinguées par des codes colorés. Hollerith gagne haut la main : son système se révèle dans l’ensemble deux fois plus rapide et la tabulation électromécanique, à elle seule, jusqu’à huit fois. Mais surtout, alors que le recensement de 1880 vient d’abandonner de nombreux projets de compilation d’informations pour être publié à temps, et que celui de 1890 prévoit deux-cent-trente-cinq questions, la possibilité de croisements différents des informations, offerte par le système d’Hollerith, se révèle déterminante.

    Un succès immédiat

    Hollerith obtient le contrat, sous forme de location de cinquante-six machines au Bureau du recensement. Pour être prêt à temps, il fait fabriquer sa poinçonneuse par Pratt et Whitney, et ses autres machines électromécaniques par Western Electric. Avec l’obtention de ce contrat, son système suscite de l’intérêt dans le monde entier, et au printemps 1889, il présente ses machines dans les expositions de Paris et Berlin.

    Les machines sont livrées par Hollerith au Bureau en juin 1890, et les premières données du recensement comptabilisées dès juillet. Au cours du dépouillement, le Bureau, pour abaisser les coûts, demande que les machines fonctionnent jour et nuit. En dépit de cette charge, elles se révèlent extrêmement fiables, et le 30 août 1890, le système d’Hollerith fait la Une du Scientific American, le fameux journal scientifique, une première pour une machine.

    Les premiers résultats du recensement, dont le chiffre de soixante-trois millions d’Américains, vont être fournis en quelques mois, à l’étonnement général. De plus, l’ensemble du croisement des informations prévu est terminé en à peine trois ans, économisant, outre le temps, cinq millions de dollars, une somme énorme pour l’époque. C’est la première fois qu’un problème pratique statistique d’une telle envergure est effectué par des machines. Et il l’est avec des gains de productivité considérables.

    La reconnaissance aux États-Unis et à l’étranger est immédiate. Dès 1891, Hollerith loue ses machines pour les recensements de plusieurs pays : Canada, Norvège et Autriche. En quelques années, la Russie, la France et de nombreux autres pays suivent, diffusant d’autant le principe du traitement mécanographique des données.

    L’émergence d’une nouvelle et puissante industrie

    Libéré en 1896 par la fin du contrat qui le liait avec le Bureau du recensement, il fonde immédiatement la Tabulating Machine Company (qui donnera naissance, après quelques péripéties à… la fameuse multinationale IBM en 1924) pour exploiter ses machines améliorées et en construire de nouvelles. Grâce à ses innovations et à ses brevets bien protégés, le système mécanographique d’Hollerith dispose, jusqu’en 1906, d’un quasi monopole.

    Un monopole dont il abuse : ainsi, après un deuxième contrat, concernant le recensement de 1900 pour lequel Hollerith a réussi à imposer un montant scandaleusement élevé, le Bureau va couper les ponts. Hollerith perd là son plus important client qui est aussi le premier à lancer, en 1905, la fabrication d’une machine concurrente.

    Dès la fin de ses brevets en 1906, plusieurs nouvelles compagnies, qui copient ou s’inspirent des systèmes d’Hollerith, sont fondées. L’offre et les fonctionnalités se diversifient, et les cartes – dont Hollerith, par contre, grâce à son brevet difficilement contournable, restera longtemps le seul vendeur – deviennent le support universel des données, leurs perforations pouvant représenter un assuré, un compte bancaire, une transaction, un stock, une facture, un chèque… que les machines mécanographiques peuvent compter, traiter, ranger et sur lesquelles elles exécutent tout type de traitement de données.

    Désormais, au-delà des grandes institutions, ce sont les grandes entreprises qui adoptent rapidement la mécanisation du traitement des données, que ce soit dans l’industrie, le commerce, la comptabilité, l’analyse de ventes ou la paie. Le développement de la mécanographie est tel que dès 1918, dans le monde, plus de cent millions de cartes sont produites chaque mois.

    Invention cruciale d’Hollerith, la carte perforée va rester quasiment inchangée pendant plus de quatre-vingts ans, et des traces en subsistent encore dans le monde informatique. Une durée plutôt incroyable aujourd’hui pour un support de données, domaine où le cycle de vie des produits se mesure plutôt en dizaines d’années et où certains ne vivent pas six mois !

    En 1960, quand est commercialisé l’IBM 7000, le premier ordinateur à base de transistors, la base installée mécanographique est à la fois extrêmement conséquente, et au cœur du métier de nombreuses grandes entreprises. Celles-ci ont, de plus, consenti de lourds investissements pour les machines et leurs applications mécanographiques spécifiques. Le passage de témoin entre les deux techniques se révèle donc, d’un point de vue commercial, impératif.

    C’est pourquoi les ordinateurs à transistors des années 60 sont conçus pour lire aussi les données mécanographiques et exécuter leurs programmes. Cette migration – transition de velours – va durer en gros de 1960 à 1975, des machines mécanographiques de seconde main étant encore installées dans certaines entreprises moyennes à la fin des années 60 en raison du coût élevé des ordinateurs. Et des lecteurs de cartes perforées, toujours mécaniques, côtoieront encore certains ordinateurs comme systèmes d’entrée de données jusqu’au milieu des années 1980.

    Pour les mêmes raisons, au début des années 1960, les premiers moniteurs d’ordinateur travaillant en « mode texte » comportaient quatre-vingts colonnes par ligne afin d’être compatibles avec les cartes perforées. Aujourd’hui, de nombreux ordinateurs utilisent encore des programmes écrits par les programmeurs de l’époque sur ces écrans de quatre-vingts colonnes… programmes certes modernisés depuis, mais qui manipulent encore des fichiers organisés en blocs multiples de quatre-vingts caractères, hérités des cartes perforées !

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    Denis Favre

    Journaliste en sciences et techniques.
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