Les Newsletters Interstices
© Inria / Photo C. Morel
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    Idée reçue : Grâce au numérique, on peut lire dans les pensées

    Médecine & Sciences du vivant
    Modélisation & Simulation
    Une machine capable de lire et d'enregistrer vos pensées, pour les diffuser ou pour les conserver par-delà votre mort... cela vous attire ? Ou bien, cela vous fait peur ?

    Dans l’univers de Harry Potter, il y a bien un moyen d’accéder aux pensées d’une autre personne ! En touchant leur tempe du bout de leur baguette magique, les magiciens peuvent en extraire une pensée ou un souvenir, et les déposer dans un récipient dédié, la pensine. Cette opération magique permet de rendre une telle pensée concrète, et par un processus inverse un autre magicien peut revivre ce souvenir qui ne lui appartient pas. Ainsi, grâce à la pensine, le Professeur Dumbledore ouvre les portes du passé à Harry Potter. Mais lire dans les pensées reste aujourd’hui du domaine de la sorcellerie.

    Où en est-on aujourd’hui ?

    Les chercheurs Jozef Legény et Anatole Lécuyer. © Inria – © Photo : Léa Crespi Design & production : Textuel La Mine.

    On est actuellement bien incapable de sauvegarder les pensées et la mémoire de quelqu’un sur un ordinateur, dans le but de le rendre numériquement immortel. On en est même excessivement loin, à tel point qu’on ne sait même pas si cela sera possible un jour. Pour y parvenir, il faudrait déjà que l’on puisse lire dans les pensées des gens grâce à une mesure de leur activité cérébrale, ce que l’on n’est pas capable de faire. Contrairement à ce que peuvent laisser croire certains titres d’articles parus dans la presse grand public, on NE peut PAS lire dans les pensées !

    Les interfaces cerveau-ordinateur (souvent appelées BCI, acronyme venant de l’anglais Brain-Computer Interfaces), qui permettent à des personnes d’interagir avec un ordinateur en utilisant uniquement leur activité cérébrale, sont bien une réalité. Mais une fois de plus, les BCI ne lisent pas dans les pensées. Les BCI analysent l’activité cérébrale de l’utilisateur, mesurée typiquement à l’aide de capteurs électroencéphalographiques (EEG). Ces capteurs, placés à la surface du cuir chevelu, mesurent les micro-courants électriques qui résultent d’échanges électriques synchronisés entre des millions de neurones cérébraux. Les signaux de l’activité cérébrale sont ensuite analysés pour identifier des motifs caractéristiques d’un état mental donné, afin d’associer cet état mental à une commande qui sera envoyée à l’application informatique.

    Par exemple, on peut détecter dans les signaux EEG d’une personne si elle imagine un mouvement de la main gauche ou un mouvement de la main droite. On peut ainsi créer une application informatique dans laquelle l’utilisateur déplacera le curseur de la souris vers la gauche ou vers la droite, en imaginant des mouvements de la main gauche ou droite. On peut détecter ces états mentaux car ils entraînent un changement d’activité cérébrale dans une large région du cerveau. La distinction des deux états mentaux est possible, car imaginer un mouvement de la main gauche entraîne un changement d’activité cérébrale dans une région du cortex sensori-moteur (c’est-à-dire la région du cortex s’occupant des mouvements du corps ainsi que des sensations tactiles) bien différenciée – et suffisamment éloignée – de la région associée aux mouvements imaginés de la main droite.

    Des états mentaux grossiers et imprécis

    Dans les signaux EEG, on ne peut cependant détecter que des états mentaux grossiers et imprécis. On peut donc détecter qu’une personne imagine un mouvement de la main gauche par exemple, mais on n’est pas capable de savoir de quel mouvement il s’agit, quels doigts participent au mouvement, etc.

    On peut détecter d’autres types d’états mentaux, tels qu’imaginer la rotation d’une figure géométrique, effectuer un calcul mental, penser à un visage familier, etc. Mais là encore, on ne peut pas détecter de quelle figure géométrique, de quel calcul, ou bien du visage de quelle personne il s’agit. De manière générale, on peut détecter des motifs d’activité cérébrale qui impliquent des régions cérébrales suffisamment larges et distinctes. Ainsi, on demande aux utilisateurs des BCI d’effectuer des tâches mentales qui vont donner lieu à de tels motifs d’activité cérébrale, mais on ne peut pas détecter les détails de la tâche mentale. En effet, ces détails n’impliquent qu’un bien plus petit nombre de neurones, qu’on ne peut donc pas mesurer par EEG. On voit donc bien que lire ce qu’une personne pourrait se dire dans sa tête, ce qu’elle pourrait penser, est complètement impossible, très loin de ce qu’on peut réellement faire.

    © Inria / Photo Kaksonen.

    Pouvoir détecter quelques états mentaux grossiers avec une BCI est néanmoins déjà très utile. Cela permet en effet de pouvoir interagir avec un système informatisé sans aucune action physique. Les BCI sont donc un outil très prometteur pour les personnes gravement paralysées, qui ne peuvent pas utiliser les systèmes de communication classiques. Ainsi, diverses applications contrôlées par des BCI ont déjà vu le jour, afin par exemple de contrôler simplement le déplacement d’un fauteuil roulant (pour le faire tourner à gauche, à droite, ou aller tout droit), l’ouverture ou la fermeture de prothèses de mains, ou encore un éditeur de texte permettant de sélectionner des lettres une par une ou de composer chiffre par chiffre un numéro de téléphone.

    Plus récemment, les BCI se sont révélées prometteuses également dans le domaine du jeu vidéo, comme une nouvelle façon d’interagir avec un monde virtuel par exemple, ou comme un contrôle complémentaire.

    Les BCI peuvent également servir dans des jeux sérieux. Pour des simulateurs de vol ou de conduite par exemple, l’état d’éveil et de vigilance du pilote peut être ainsi mesuré dans ses signaux EEG. Pour le traitement de troubles cognitifs, par exemple de l’attention, on peut concevoir des jeux vidéos où, pour gagner, l’utilisateur doit avoir un niveau d’attention suffisamment élevé, ce qui l’encourage à vaincre ses troubles attentionnels.

    En conclusion, les interfaces cerveau-ordinateur existent bel et bien, et constituent en effet une petite révolution scientifique très prometteuse. Elles sont par contre bien incapables de lire dans les pensées, et encore moins de sauvegarder numériquement le cerveau de quelqu’un.

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    Fabien Lotte

    Chercheur Inria dans l'équipe Potioc.

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