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Le Jour d'après (The day after tomorrow) 20th Century Fox
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    Le Jour d’après : vers une réflexion sur les modèles climatiques

    Environnement & Planète
    Modélisation & Simulation
    La modélisation et la simulation permettraient-elles de faire face à tout événement imprévu ?
    Affiche du film <em>Le Jour d'après (The Day After Tomorrow)</em>, 2004, 124 min. Film américain réalisé par Roland Emmerich.<br />Distribution : Twentieth Century Fox.

    Le Jour d’après (The Day After Tomorrow), 2004, 124 min. Film américain réalisé par Roland Emmerich. Distribution : Twentieth Century Fox.

    Peut-être avez-vous vu le film Le jour d’après, film catastrophe sorti en 2004. Pour vous rafraîchir la mémoire, des bandes-annonces sont disponibles sur YouTube et son synopsis sur Wikipédia. Résumé en une phrase, son argument est le suivant : des dérèglements climatiques aussi brutaux que soudains ont des effets dévastateurs sur notre planète.

    Ce film soulève bien des interrogations, ne serait-ce que sur le climat : les événements sont-ils plausibles ? L’échelle de temps est-elle réaliste ? On pourra regarder à ce sujet le décryptage du film par la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte sur le site risques.tv. Par ailleurs, certaines scènes semblent invraisemblables au regard des lois de la physique, et on pourrait s’amuser à les analyser avec un regard de physicien, comme le fait Roland Lehoucq à partir d’ouvrages de fiction.

    Mais focalisons la réflexion sur la modélisation climatique et météorologique. Reprenons, dans l’ordre, les scènes-clés de ce film, qui nous permettront de distinguer la réalité de la fiction dans ce domaine.

    Le film débute par une séquence en Antarctique, où des chercheurs réalisent un forage pour extraire des carottes de glace. Rien d’extraordinaire, sauf lorsque la calotte glaciaire se brise soudain avec une très longue ligne de fracture.

    Les climatologues et glaciologues recherchent en effet des traces des paléoclimats (il y des millions d’années). Grâce notamment aux archives glaciaires, ils parviennent à reconstituer la dynamique de la température moyenne sur la Terre. Par exemple, le LGGE (laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement) à Grenoble étudie ainsi les glaciers et le climat.

    Dans la séquence suivante, le professeur Jack Hall, chercheur climatologue, héros du genre « aventurier de l’arche perdue », fait une conférence devant une assemblée de scientifiques et de décideurs, dont des membres de gouvernements. Jack Hall explique que l’atmosphère se réchauffe globalement, essentiellement à cause de l’effet de serre dû aux activités humaines. Plusieurs climato-sceptiques dans l’assemblée ne veulent croire ni à l’impact des activités humaines sur le climat, ni au coût économique des catastrophes climatiques qui pourraient en résulter.

    Les controverses sur le changement climatique sont loin d’être closes. En France, suite à l’appel de scientifiques spécialistes du climat, l’Académie des sciences a organisé un débat le 20 septembre 2010 et a publié le 26 octobre 2010 un rapport sur le changement climatique. Les rapports du GIEC analysent à la fois le changement climatique et ses conséquences économiques. Son cinquième rapport, paru le 27 septembre 2013, conclut sans ambiguïté à l’impact des activités humaines sur l’émission de gaz à effets de serre et sur le climat. Le rapport Stern, paru en 2006 (il y aura un deuxième rapport, d’après une annonce du 24 septembre 2013) traite des conséquences économiques du réchauffement climatique et des leviers politico-économiques pour réduire l’impact des activités humaines sur le climat. Le protocole de Kyoto, qui faisait suite à la conférence de Rio de 1992 et qui est entré en vigueur en 2005, vise à réduire l’émission de gaz à effet de serre. Lors de la conférence de Rio 20 en 2012, force était de constater que l’objectif n’a pas été atteint.

    Jack Hall continue son explication en montrant que la circulation océanique est régie par la salinité et que la fonte des calottes glaciaires, qui ajouterait de l’eau douce (notons au passage que la glace ne contient jamais de sel), perturberait fortement cette circulation, au point de supprimer le Gulf Stream, courant qui réchauffe les eaux de l’Atlantique nord et tempère le climat en Europe. Ainsi, paradoxalement, le réchauffement climatique global entraînerait, d’après le climatologue, un nouvel âge glaciaire en Atlantique nord. À la question d’un auditeur « c’est pour quand ? », Jack Hall répond « quelques centaines d’années ».

    La dynamique de l’atmosphère et celle de l’océan sont en effet étroitement couplées. La variation de la masse volumique, qui dépend de la température et de la salinité, est effectivement à l’origine de courants océaniques à grande échelle. Cette circulation thermo-haline pourrait être perturbée par le réchauffement climatique. Par ailleurs, l’impact du Gulf Stream sur le climat européen fait encore l’objet de débats. Toutefois, l’atmosphère joue un rôle au moins aussi important que l’océan dans le climat. Être capable de prédire un nouvel âge glaciaire relève clairement de la science-fiction.

    Puis des événements climatiques extrêmes se produisent en divers endroits de la planète, aussitôt relayés par la télévision : « Tokyo a été frappé par des grêlons d’une taille jamais observée » ; « en Nouvelle-Ecosse, le niveau de la mer est monté de 8 mètres ». Des tornades à Los Angeles détruisent le panneau Hollywood, il neige à New Delhi, etc. Le collègue et ami de Jack Hall, le professeur Terry Rapson, lui téléphone d’Écosse, en pleine nuit, sans doute à cause du décalage horaire : des mesures dans l’Atlantique nord, transmises par plusieurs bouées, indiquent une chute brutale de la température océanique. Le professeur Rapson en est convaincu : le scénario catastrophe d’un nouvel âge glaciaire est en train de se réaliser, à cause d’une perturbation du courant océanique.

    Un des effets du réchauffement climatique est l’augmentation du niveau des océans, à cause de la fonte des calottes glaciaires et de leur fragmentation en icebergs. Rappelons ici que la fonte de la glace de mer n’a, elle, quasiment pas d’influence sur l’élévation du niveau des mers. Si toute la glace du Groenland fondait, le niveau des mers augmenterait de 7,3 mètres, une valeur assez proche des 8 mètres mentionnés dans le film. Mais en aucun cas, cette fonte ne pourrait avoir lieu en une seule nuit. L’élévation prévue par le rapport du GIEC, qui est basée sur une augmentation moyenne des températures, est plutôt de l’ordre du mètre d’ici une centaine d’années.

    Par ailleurs, il est difficile à l’heure actuelle d’établir de façon sûre un lien entre les événements extrêmes et le réchauffement climatique.

    Réunion de crise : des scientifiques avancent plusieurs hypothèses pour expliquer ces phénomènes extrêmes. Notre héros tente de les convaincre qu’il faut étudier la piste du courant de l’Atlantique nord, perturbé par la fonte de la calotte glaciaire. Il décide d’agir sans plus tarder, avec le professeur Rapson : il va transformer son modèle paléoclimatique, qui servait à étudier le climat d’autrefois, en un modèle qui va prédire le climat sur l’hémisphère nord dans les mois qui viennent. Une femme, spécialiste des modèles de cyclones, lui offre aussitôt son aide et une petite équipe de quatre personnes se met en place.

    Les modèles climatiques peuvent étudier à la fois le passé et le futur, le passé permettant de valider les modèles (voir à ce sujet Le climat en équations et Comment estimer le changement climatique ?). Un modèle climatique met en équations les phénomènes physiques qui se passent dans l’atmosphère et dans les océans. Il faut aussi tenir compte des continents, avec les calottes glaciaires, la végétation, les montagnes, etc. Ces différents compartiments interagissent de manière complexe, avec des rétroactions, et c’est un des enjeux de ces modèles. Les équations sont la traduction mathématique de ces échanges et des invariants : conservation de la masse, de l’énergie, de la quantité de mouvement, etc.

    Jack Hall négocie rapidement dans le couloir avec son chef et obtient un accès réservé à la machine, mais seulement pour 48 heures.

     

    Pour calculer une solution approchée de ces équations, les mathématiciens ont développé des modèles numériques. L’idée de base est de mailler la Terre et l’atmosphère au-dessus d’elle, puis d’approcher les variables du modèle avec des valeurs dans chaque maille. L’évolution des variables climatiques (température, pression, etc.) est calculée à intervalles de temps réguliers. Les équations approchées relient les valeurs d’une maille à l’autre en traduisant localement les lois de conservation. Les variables climatiques à un instant donné dépendent des valeurs aux instants précédents. On obtient ainsi, à chaque instant, un système d’équations avec un nombre fini d’inconnues, proportionnel au nombre de mailles. On sait résoudre de façon approchée ce système, qui est complexe à cause des interactions entre tous les compartiments. Enfin, il y a autant de systèmes à résoudre que d’intervalles de temps.

    Pour réaliser tous ces calculs, il faut utiliser un ordinateur puissant, de type superordinateur. Le centre de Météo France s’est ainsi équipé en juin 2013 d’une machine Bull avec une performance de crête de 560 Teraflops/s (1 téraflop = 1 million de milliard d’opérations par seconde).

    Les chercheurs d’autres organismes publics ont également accès à des superordinateurs, par exemple en France ceux des centres de calcul nationaux du GENCI (Grand équipement national de calcul intensif). Ils doivent monter chaque année un dossier présentant un projet scientifique, puis une commission décide de leur attribuer un certain nombre d’heures de calcul. Ce n’est pas aussi immédiat que dans le film…

    Tout est donc en place pour concevoir un nouveau modèle et prédire le climat du jour d’après. Nos chercheurs se mettent à la tâche, jour et nuit : il y a urgence, la planète est en danger. Et là, incroyable, en si peu de temps, ils parviennent à mettre au point leur modèle et à y intégrer un modèle d’ouragan. Un premier résultat arrive, c’est bien la circulation océanique qui perturbe le temps, la Terre se refroidit dans l’hémisphère nord, très rapidement : il n’est plus question de siècles, ni de mois, mais de semaines.

    Les modèles de climat et de météo utilisent un nombre de mailles et un pas de temps qui sont compatibles avec des temps de calcul d’une durée acceptable. Le choix dépend de l’échelle géographique et de l’échelle temporelle de la prévision, souvent différentes selon qu’on s’intéresse au climat ou à la météo.

    Par exemple, Météo France dispose de trois modèles de prévision météorologique, qui utilisent un socle commun et interagissent. Le modèle régional AROME utilise en 2013 des mailles de 2,5 km de côté pour des prévisions localisées avec une échéance de 3 à 30 heures, tandis que le modèle global ARPEGE utilise des mailles de 16 km et 10 km sur 70 niveaux avec un pas de temps de 600 secondes, pour des prévisions à l’échelle planétaire et à échéance de quelques jours. Le modèle ALADIN est intermédiaire. Une version spécifique de ce modèle est utilisée par le centre météorologique régional spécialisé pour le sud-ouest de l’Océan Indien pour prévoir les trajectoires de cyclones dans l’océan indien. Un des enjeux actuels est d’affiner la prévision de l’intensité du cyclone et des précipitations.

    Météo France dispose aussi des modèles climatiques ALADIN-climat et ARPEGE-climat, qui peuvent simuler l’évolution du climat à l’échelle du globe pour une échéance de plusieurs années. Dans des modèles globaux de ce type, on s’intéresse à des valeurs moyennes des variables climatiques dans des régions assez grandes et sur une période de temps assez longue. Les phénomènes qui se produisent à des échelles plus petites que la maille sont modélisés par des termes supplémentaires dans les équations. Cette paramétrisation sous-maille est un gros enjeu des modèles climatiques actuels.

    Le modèle du film semble ainsi une adaptation d’un modèle climatique, avec une échéance de plusieurs années, vers un modèle météorologique, avec une échéance de quelques jours, qui intègre en outre une prévision cyclonique.

    La température chute brutalement en Écosse. L’image satellite montre une supercellule de type cyclonique au-dessus de l’Écosse, « sauf que les cyclones ne se forment pas sur les terres », explique la spécialiste. Le collègue écossais va fournir les données transmises par les différentes bouées, pour les intégrer aux simulations. Magie de la science-fiction, les bouées continuent de fonctionner et les données sont transmises en un temps très court, malgré les conditions climatiques extrêmes.

    Les modèles décrivent l’évolution des variables climatiques à partir d’un climat initial, qui est évalué à l’aide d’observations. De nombreux progrès ont été faits, avec les images des satellites, les mesures par les bouées, les ballons, etc. Ces mesures faites en quelques points doivent fournir l’état des variables partout : c’est l’objet de l’assimilation de données, qui arrive à estimer de façon précise l’état initial du système.

    Les données des bouées et d’autres mesures vont donc être utilisées par l’équipe de Jack Hall pour avoir une vision globale des conditions météo initiales et pour simuler la météo des jours suivants.

    Les données d’Écosse ont pu être analysées : « L’air plus froid du sommet de la troposphère se trouve entraîné vers le bas par la rotation de la tempête ». Normalement, l’air aurait dû se réchauffer en atteignant le sol mais l’air descend trop rapidement, explique le professeur Jack Hall. L’équipe a localisé trois supercellules (Canada, Sibérie, Écosse) et a pu simuler leur évolution dans les jours qui suivent. Le verdict tombe : il y aura une énorme tempête, puis la Terre entrera dans un âge glaciaire. Nouvelle accélération, c’est maintenant une question de jours (sept à dix jours de tempête, avant un nouvel équilibre).

    Image extraite du film <em>Le Jour d'après (The Day After Tomorrow)</em> de Roland Emmerich. Distribution : 20th Century Fox.

    Image extraite du film Le Jour d’après (The Day After Tomorrow) de Roland Emmerich. Distribution : 20th Century Fox.

    Il est assez difficile d’interpréter l’image 3D qui illustre le flux thermique vers la terre. Les images de prévision sont plus classiques, mais sont assez décevantes ; on aurait aimé voir des images holographiques et des écrans futuristes, un peu comme dans le film Avatar.

    Par contre, les performances de l’équipe sont vraiment extraordinaires ! Pas de bug, tout marche, les calculs sont ultra rapides, les images sortent instantanément, les chercheurs sont sûrs d’eux.

    Image extraite du film <em>Le Jour d'après (The Day After Tomorrow)</em> de Roland Emmerich. Distribution : 20th Century Fox.

    Image extraite du film Le Jour d’après (The Day After Tomorrow) de Roland Emmerich. Distribution : 20th Century Fox.

    Les images font penser à un modèle global, au moins sur l’hémisphère nord, tandis que la finesse des prévisions évoque un modèle à haute résolution. On peut imaginer que le modèle paléoclimatique de départ était à maille grossière. En très peu de temps, la petite équipe de quatre chercheurs a donc réussi à basculer vers un modèle météo à maille fine, intégrant donc les phénomènes sous-mailles à petite échelle et de plus les phénomènes cycloniques. Le modèle a été validé presque instantanément, comme si l’ordinateur ne pouvait pas se tromper. En réalité, cela prend quelques années à une équipe de plusieurs dizaines de chercheurs pour rendre opérationnel un modèle climatique ou météo.

    D’autre part, un modèle à maille fine avec une échéance de dix jours représente un coût de calcul énorme. Le modèle doit donc exploiter le parallélisme de la machine pour en tirer toute la puissance de calcul, ce qui est loin d’être une tâche facile, malgré les progrès dans les algorithmes, dans les architectures des machines et dans leur programmation. Actuellement, les prévisions météo gagnent un jour tous les dix ans, grâce aux progrès des moyens d’observation, des modèles physiques et numériques, des algorithmes et des machines de calcul.

    Le professeur Jack Hall se démène alors pour rencontrer le président des États-Unis et ses proches, afin de les convaincre de la gravité de la situation. Il propose d’évacuer les gens au sud d’une ligne rapidement tracée sur une carte des États-Unis et de demander l’asile climatique au Mexique, quoi qu’il en coûte. Il est trop tard pour les gens au nord de la ligne : « si les gens vont dehors, la tempête les tuera… Leur meilleure chance est de rester à l’abri ». Le vice-président émet des doutes, recommande de « rester dans le domaine de la science et de laisser la politique aux autres », essaie d’argumenter qu’« on ne peut pas faire évacuer la moitié du pays parce qu’un seul scientifique pense que le climat va changer » mais le chef de Jack Hall rétorque qu’« il fallait l’écouter plus tôt ». Le président décide d’écouter notre héros et d’appliquer son plan.

    Image extraite du film <em>Le Jour d'après (The Day After Tomorrow)</em> de Roland Emmerich. Distribution : 20th Century Fox.

    Image extraite du film Le Jour d’après (The Day After Tomorrow) de Roland Emmerich. Distribution : 20th Century Fox.

    La question des réfugiés climatiques, qui est débattue à l’ONU, est posée dans le film sous un angle Nord-Sud inhabituel. Cette séquence illustre les enjeux politiques de cette question.

    Quant au héros, il restera au Nord et montera une expédition polaire pour sauver son fils et ses amis, qui sont bloqués à New-York. En effet, comme prévu par le modèle, une gigantesque tempête s’est abattue sur la ville, suivie d’un froid glaciaire. Le fils s’est réfugié dans une bibliothèque avec un groupe. Ils brûlent des livres pour maintenir un peu de chaleur. Les loups sont entrés dans New-York…

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    Jocelyne Erhel

    Directrice de recherche émérite Inria, chercheuse en modélisation et simulation pour les sciences de l'environnement.

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