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Au cœur des réseaux – Des sciences aux citoyens
Fabien Tarissan (Éditions Le Pommier, collection Essais, mars 2019)
Qu’est-ce qu’un réseau ? On connaît les réseaux de transport, de communication, etc. Le monde numérique est basé sur le réseau Internet et le Web. Tandis que le premier achemine les données, le second les organise en pages et en liens hypertextes. Mais alors, qu’est-ce qu’un réseau ? C’est le sujet du livre « Au cœur des réseaux » de Fabian Tarissan.
Un réseau est tout simplement un graphe, nous explique l’auteur, avec des nœuds (les pages pour le Web) et des liens entre eux (l’hypertexte). En étudiant les graphes, on peut définir la notion de plus court chemin entre deux nœuds, puis de distance moyenne, etc. On peut aussi résoudre le casse-tête des ponts de Königsberg, ou plutôt montrer qu’il n’a pas de solution !
D’après l’auteur, deux articles fondateurs contribuent à l’essor de l’analyse scientifique des réseaux. Ils vont introduire les structures de réseau petit monde d’une part, et de réseau sans échelle d’autre part. Bien que ces notions abstraites semblent difficiles à appréhender, la virtuosité de l’auteur permet de les rendre très digestes. De plus, il illustre l’intérêt de ces notions qui apportent un éclairage nouveau dans divers champs disciplinaires. Par exemple, une étude sur les malades atteints d’Alzheimer a montré que les réseaux cognitifs de ces patients ont perdu la structure de petit monde observée chez les personnes saines.
Au fil des pages, on apprend que les réseaux petits mondes se caractérisent par une courte distance moyenne (il suffit en général de moins de 6 liens pour trouver un chemin entre deux nœuds) et une forte densité locale (beaucoup de triangles dans le réseau), avec une faible densité globale (peu de liens par rapport au nombre possible). La science des réseaux a montré que cette structure s’explique par un modèle où une régularité des connexions s’accompagne de quelques liens aléatoires. De plus, la structure petit monde permet l’émergence d’une forte viralité, autrement dit d’une diffusion rapide d’information entre les nœuds. Le deuxième article fondateur concerne les réseaux sans échelle, caractérisés par quelques nœuds avec un grand nombre de voisins (des hubs). Cette propriété, là encore commune à de nombreux réseaux d’origine diverse, permet de résister à des pannes, sauf si des attaques visent les hubs.
En informatique, le Web et les réseaux sociaux sont emblématiques des réseaux sans échelle et petits mondes. Leur taille est devenue gigantesque et il a fallu organiser l’information, une des missions et devises de Google. L’auteur nous expose son point de vue sur quelques algorithmes du Web et des réseaux sociaux. Les moteurs de recherche proposent une liste de pages web pour répondre à une requête. Or ce choix n’est pas anodin et peut introduire des biais dans la collecte d’informations, voire la prise de décision. L’auteur détaille ainsi l’algorithme « PageRank », à l’origine du moteur de recherche de Google, basé sur la notion de pertinence d’une page. Les pages qui contiennent les mots-clés indiqués dans la requête sont ainsi classées par pertinence décroissante. Celle-ci est mesurée à l’aide du nombre de liens hypertextes qui pointent sur la page, en tenant compte de la pertinence des pages contenant ces liens. On comprend alors pourquoi la mesure de pertinence impacte directement le classement.
Quant aux réseaux sociaux, ils organisent les relations entre les utilisateurs et gèrent le fil d’actualité. Fabien Tarissan décortique aussi l’algorithme EdgeRank (maintenant NewsFeed) de FaceBook, qui choisit l’affichage en fonction d’un critère d’affinité et qui introduit donc un biais dans les échanges sur le réseau social. Ces bulles filtrantes, communes aux algorithmes sur le Web, entrent en résonance avec les chambres d’écho où les utilisateurs ont tendance à communiquer par affinités. L’auteur nous invite donc à garder un esprit critique et à bien mesurer l’objectivité de l’information acquise sur le Web.
Le livre pointe également plusieurs dérives sur la toile, liées notamment à l’utilisation des données personnelles collectées sur le réseau. Les traces que laissent les usagers sont exploitées à des fins commerciales ou politiques. De plus, la structure des réseaux favorise la viralité et aussi la propagation de fausses rumeurs, qui s’amplifient presque instantanément. Pour se protéger de ces dangers, l’auteur préconise d’en prendre conscience. Ce livre joue ainsi un rôle essentiel, grâce à des explications très pédagogiques et de nombreux exemples. C’est un outil indispensable pour approfondir les notions de sciences du numérique qui sont désormais enseignées au lycée.
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Jocelyne Erhel
Directrice de recherche émérite Inria, chercheuse en modélisation et simulation pour les sciences de l'environnement.