Les Newsletters Interstices
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    À glisser sous le sapin : nos recommandations de Noël 2024 !

    Culture & Société
    Environnement & Planète Intelligence artificielle Robotique

    Les champs de la Lune

    Catherine Dufour (Éditions Robert Laffont, collection Ailleurs et demain, septembre 2024)

    Le roman commence à la fin de l’année 2324. Les humains habitent désormais sur la Lune, ou plutôt sous la surface de la Lune, dans des tubes creusés dans le sol, afin de se protéger des radiations solaires qu’aucune atmosphère ne filtre. La narratrice, El-Jarline, est une robote jardinière qui entretient une ferme destinée à alimenter la cité la plus proche, mais aussi à fournir un espace beau et vaste pour les loisirs des humains, lors de leurs rares sorties.

    Une première demande lui est adressée : elle doit rendre ses rapports moins techniques en les rédigeant avec des phrases complètes et un peu de contextualisation. Pour avoir des sources d’inspiration (en intelligence artificielle, on dirait plutôt des données d’entraînement), El-Jarline télécharge de la littérature : romans et poèmes. Petit à petit, elle découvrira les joies des mots et de la poésie. Plus tard, on lui demandera de s’occuper d’une petite fille, Sileqi. L’usage des mots et la rencontre avec Sileqi la conduiront à expérimenter les sentiments et les symboles. Vers la fin du roman, El-Jarline se décrit ainsi : « Je suis nativement douée pour reconnaître les images et les sons. J’ai aussi les compétences techniques nécessaires pour conduire un écosystème vers son équilibre. Il est étrange que le seul fait d’avoir amendé avec des mots ce substrat simpliste ait fait éclore des images qui ont engendré des sensations, des émotions et, enfin, des sentiments, ces émotions qui perdurent. Et ce dialogue avec moi-même qu’on nomme pensées. »

    L’autrice, Catherine Dufour, est informaticienne de formation, mais cela n’assure pas pour autant la véracité du propos : le fait que les robots seront capables de gagner en humanité. Peu importe, j’ai aimé suivre l’évolution d’El-Jarline, ses découvertes et ses étonnements qui donnent lieu à une réflexion sur ce qui fait l’humanité et son irrationnalité : la mémoire, le poids de l’histoire et l’importance des symboles par exemple. J’ai aimé aussi la langue de ce roman, qui évolue avec la narratrice et passe de technique (mais les termes techniques d’agronomie ont aussi leur poésie) à lyrique.

    Vous l’aurez compris, ce roman est une jolie découverte que je vous recommande chaleureusement, sans rien vous dévoiler de l’intrigue pour vous laisser le plaisir de la découvrir.

    Nathalie Revol

    L’IA expliquée aux humains

    Jean-Gabriel Ganascia (Éditions du Seuil, septembre 2024)

    On ne compte plus les ouvrages publiés récemment abordant les problématiques liées à l’Intelligence Artificielle (IA), que ce soit pour promouvoir cette nouvelle science qui permettra dans un avenir proche de résoudre tous les problèmes de l’humanité ou, au contraire, pour exprimer les angoisses d’un futur dystopique dominé par cette technologie toute puissante. Dans ce contexte, le livre de Jean-Gabriel Ganascia nous offre un grand bol d’air, en proposant une réflexion apaisée, une prise de hauteur, loin des passions qui enflamment très souvent les textes traitant de ce sujet.

    L’ouvrage est organisé comme un dialogue entre le savant et trois collégiens cherchant à s’informer sur l’IA. Cette forme particulière permet d’une part une écriture très simple, abordable par tous sans connaissances scientifiques a priori, et d’autre part un questionnement sans tabous ni sous-entendus.

    Les jeunes grandissent en effet dans une société où les outils basés sur l’IA sont foisonnants, mais ils en ont souvent une représentation approximative voire erronée. C’est donc l’occasion pour l’auteur de définir précisément le concept d’IA et les termes souvent associés, comme algorithme ou ordinateur. Ce n’est en aucun cas un livre destiné spécifiquement aux enfants, mais un ouvrage qui part de la base pour construire une réflexion consolidée et approfondie sur l’arrivée de l’IA dans notre société. Une mise en perspective historique est d’ailleurs proposée, permettant de positionner l’IA par rapport à d’autres technologies concomitantes, par exemple le réseau internet, les robots ou la voiture autonome. Les applications de l’IA sont questionnées par les collégiens, que ce soit dans le domaine de la santé, l’espace, l’environnement, la cybersécurité ou même la guerre. Les apports positifs de l’IA, comme ses dangers, sont discutés par les collégiens et le savant sans concession.

    Dans une seconde partie, Jean-Gabriel Ganascia aborde le fonctionnement des algorithmes d’IA, en précisant des notions souvent rencontrées dans les médias mais pas toujours bien connues, comme l’apprentissage profond ou les réseaux génératifs. Le discours évite avec adresse les termes techniques et s’appuie sur des illustrations ou des anecdotes pour décrire ces concepts avec clarté.

    Enfin, une dernière partie est consacrée à des réflexions plus existentielles, les collégiens s’interrogeant sur la supériorité de l’IA sur l’esprit humain, la notion de création intellectuelle ou encore l’impact de l’IA sur nos sociétés humaines.

    Sur l’ensemble de ces sujets, Jean-Gabriel Ganascia pose un regard de scientifique et de philosophe, remettant l’humain au centre des réflexions sur l’IA, ce qui donne à ses écrits une profondeur rare et réellement bienvenue, en ces temps où la distance manque souvent aux analyses !

    Régis Duvigneau

    Cabane

    Abel Quentin (Éditions de l’Observatoire, collection Fiction, août 2024)

    Dans les années 1970, quatre scientifiques travaillant au MIT, les américains Donella H. Meadows, Dennis L. Meadows et William W. Behrens III ainsi que le norvégien Jørgen Randers, ont lancé un projet pour prévoir l’évolution au cours du temps d’un système impliquant de nombreuses composantes, telles que la démographie, les ressources naturelles, la production agricole, la pollution, etc. L’idée était de traduire en équations l’évolution au cours du temps de ces différentes composantes. Ils ont développé et étudié un système dynamique d’équations, le modèle World3, inspiré du modèle World2 créé par le professeur Jay Forrester. Ce projet était financé par le club de Rome, un groupe de réflexion international réunissant des scientifiques, économistes, industriels et anciens décideurs politiques. En 1972 paraissait aux États-Unis un rapport sur les résultats des simulations faites avec le modèle World3. Les résultats mettaient en évidence les interactions entre ces composantes, avec des rétroactions qui pouvaient amplifier une croissance ou au contraire la freiner. Le rapport montrait aussi qu’épuiser une ressource naturelle limite fatalement la croissance des autres composantes et peut conduire à un effondrement généralisé. Le livre, plus connu sous le nom de « rapport Meadows » a d’abord eu un très grand retentissement, pour tomber dans l’oubli puis refaire parler de lui avec des mises à jour en 1992 et 2004 (version française en 2012). Des économistes ont critiqué ce rapport, réfutant le titre « les limites à la croissance ». D’autres ont tout simplement refusé d’y croire. Pourtant, les données de 2004 corroboraient les prévisions de 1972.

    Dans son livre « Cabane », Abel Quentin s’inspire de cette histoire pour mettre en scène un groupe de quatre scientifiques dirigé par un professeur de l’université de Berkeley aux États-Unis. Le groupe est composé d’un couple d’américains, d’un français spécialiste d’économie et d’un norvégien expert en mathématiques. Ils travaillent d’arrache-pied sur le modèle Global3 pour publier un rapport, intitulé ici rapport 21 ou rapport Dundee du nom des co-auteurs américains. L’étude est financée par des industriels. Le livre se vend bien, les américains vont faire des présentations autour du monde et reçoivent un accueil mitigé. Des responsables politiques sont incrédules, des économistes réfutent les conclusions de décroissance ou d’effondrement, des écologistes pensent que la science ne peut pas résoudre un problème qu’elle a créé. Mais les Dundee continuent d’argumenter sur les limites de la croissance, tant que les industriels financent leurs expéditions. 

    Jusque-là, le livre est plutôt fidèle à la réalité. Ensuite, l’auteur laisse libre cours à son imagination pour inventer la vie de la bande des quatre suite à ce travail. Tous sont marqués par leurs résultats et ont des difficultés à continuer de vivre comme avant. Les américains finissent par choisir la sobriété et par vivre au plus près de la nature. De retour au pays, le français met ses compétences au service d’une société pétrolière. Ensuite, il fonde sa propre société sur la dynamique des systèmes, notamment parce qu’il refuse de servir de caution aux pétroliers qui veulent minimiser l’ampleur du changement climatique causé par les énergies fossiles. Quant au norvégien, il est clairement bouleversé par les résultats du rapport 21, surtout par les risques d’une croissance démographique exponentielle, et il se réfugie dans une cabane en Norvège pendant quelques années. 

    Le roman raconte de façon vivante et captivante l’impact psychologique du rapport Dundee. Au fil des pages, on découvre divers mouvements, terroristes, pacifistes, écologistes, des années 1970 à nos jours. Un livre palpitant.

    Pour en savoir plus :
    – « Les limites de la croissance dans un monde fini » de F. Rechenmann, Interstices, 2014.
    – « Croissance, décroissance, sobriété : modèles mathématiques » de J. Erhel, Interstices, 2024.

    Jocelyne Erhel

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