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    Les réseaux ont la fibre de l’information

    Réseaux & Communication
    Passer un coup de fil, surfer sur Internet ou bavarder en ligne avec d’autres internautes, quoi de plus banal aujourd’hui. Mais que sait-on de la machinerie qui opère en coulisse ? Que se passe-t-il à l’autre bout du fil ?

    Si un pan de science s’ouvre devant la question : « Que peut-on calculer ? », un autre tente de répondre à : « Que peut-on télécommuniquer ? » Concrètement, ce sont les réseaux qui acheminent l’information. Deux modèles ont aujourd’hui atteint une échelle planétaire : le réseau téléphonique qui transporte nos voix et Internet qui transporte nos données numériques.

    Le réseau de voix

    Les fibres optiques sont des super-autoroutes où circule une quantité impressionnante d’informations.
    © France Telecom
    Fil en verre ou en plastique très fin, la fibre optique conduit la lumière. Utilisée dans les transmissions terrestres à longue distance, c’est le support idéal pour la télévision, le téléphone ou les données informatiques.

    Avec le téléphone, nous sommes devenus connectés, branchés, câblés… En effet, pour discuter avec son alter ego, il faut se connecter à lui par un circuit électrique, c’est la phase de connexion si poétique à l’époque où l’on demandait « Montmartre 22 12 » ou « Élysée 15 15 ». Encore de nos jours, il vous faut savoir où se trouve un correspondant dans le réseau pour le joindre. Par exemple, le numéro 46 06 22 12 se trouve au bout du fil 22 12 du central téléphonique de Montmartre qui a pour numéro (de central) le 46 06. Vous pouvez alors activer votre téléphone en le décrochant ou en tournant la manivelle, selon l’époque. Dans votre central téléphonique, à l’autre bout du fil, une opératrice ou un commutateur automatique constate que votre ligne s’active et attend que vous énonciez l’adresse de votre correspondant. Vous demandez donc « Montmartre 22 12 » ou « tic, tic-tic-tic-tic-tic-tic… » ou « do si do si mi mi ré mi » ou le 46 06 22 12 qui s’affiche sur l’écran du combiné et circule en douce derrière le souffle de l’appareil. L’autre bout de votre fil est alors connecté à l’un des fils qui relient votre central à celui de Montmartre.

    De même, une opératrice (ou un commutateur automatique) connecte, à Montmartre, l’autre bout du fil au poste 22 12 qui se met à sonner. Quand votre correspondant décroche, vous êtes connectés l’un à l’autre par un circuit transportant les signaux électriques qui codent votre voix.

    Bien sûr, au fur et à mesure que le réseau grandit, on peut rajouter des super-centraux de numéros 01, 02, 03, 04, 05, par exemple, si l’on découpe le pays en cinq régions. Ce numéro se rajoute alors au début du numéro de votre correspondant en préfixe. Notre numéro à Montmartre devient ainsi un numéro à dix chiffres.

    On relie alors chaque central téléphonique au super-central de sa région par de nombreux fils et on relie entre eux les super-centraux par des quantités encore plus importantes de fils.

    Le numéro de téléphone est ainsi une sorte d’adresse construite selon un découpage hiérarchique de la géographie du monde similaire à celui de la poste. Il s’agit donc d’une « adresse électronique ».

    Dans les premiers réseaux téléphoniques, le circuit établi est physique : une suite de fils sont connectés les uns aux autres. Dans les réseaux plus évolués, le circuit est logique, et l’on parle de « connexion ». Avec l’augmentation du trafic, les fils entre centraux deviennent si demandés qu’il faut inventer un moyen de faire transiter plusieurs connexions sur le même fil. De l’information circule de fait sur tout signal physique qui se propage dans l’espace : un courant dans un fil électrique ou une onde lumineuse dans une fibre optique ou même une onde radio dans l’espace ambiant.

    Le cœur d’Internet est constitué de câbles contenant des fibres optiques capables de transporter des quantités impressionnantes d’information. Pour pouvoir irriguer la planète, ces fibres sont reliées en réseaux, sortes de filets très lâches posés sur le globe. De fait, Internet est constitué d’une multitude de réseaux connectés les uns aux autres. Chacun est administré par une entreprise ou une organisation indépendante des autres. La collaboration de ces réseaux repose sur une collection de règles techniques publiques (les protocoles) et d’accords commerciaux bilatéraux. Les réseaux les plus importants s’étendent sur la planète entière et alimentent des réseaux moins importants tels ceux des fournisseurs d’accès, eux-mêmes se ramifiant dans la multitude de microréseaux de nos maisons. Voici la nature physique du cyberespace dans lequel nous évoluons de plus en plus, un espace non plus géographique mais logique, formé de connexions. L’important n’est plus où vous êtes, mais à qui vous êtes connecté.

    La théorie de l’information naît de cette question cruciale : « Combien de connexions vont pouvoir transiter sur mon signal ? » Durant l’année 1948, l’Américain Claude Elwood Shannon met en équations les liens entre les caractéristiques physiques d’un signal et la quantité d’information que celui-ci peut transmettre. Il promeut l’utilisation du mot « bit » pour désigner l’unité atomique d’information : 1 ou 0, vrai ou faux, oui ou non… On peut ainsi quantifier l’information transmise en bits par seconde, voire en kilo-, méga-, giga- ou térabits par seconde, ce qui correspond à 1, 1 000, 1 000 000… et ainsi de suite, chaque terme indiquant une quantité mille fois plus grande de bits par seconde que le précédent.

    Mais revenons à l’invention de machines capables de traiter l’information : comment peuvent-elles communiquer ?

    Le réseau de réseaux

    Dès les années 1950, on sait échanger des données entre deux ordinateurs, mais comment relier un ensemble d’ordinateurs ? Le concept de réseau en tant que nœuds reliés par des liens de communication apparaît à cette époque avec la naissance de la théorie probabiliste des files d’attente. Leonard Kleinrock identifie en 1961 le point-clef pour pouvoir appliquer ces théories : le concept de « routeur », soit un « nœud capable de stocker un message en attendant que le lien sur lequel il doit être retransmis se libère ». Cette idée va à l’inverse des réseaux téléphoniques reposant sur l’établissement de circuits où l’information circule sans jamais être stockée. On trouve, en filigrane, derrière le concept de message, celui de « datagramme », c’est-à-dire un paquet élémentaire d’information qui circule de manière autonome dans le réseau. Le premier réseau utilisant des routeurs est l’Arpanet, Kleinrock en expérimente le premier routeur. Quand les routeurs ne sont pas programmés par les mêmes personnes, il faut s’entendre sur la manière de les faire communiquer. Ainsi naît le concept de « protocole » qui spécifie comment sont codés les messages que s’échangent les routeurs et quels sont les algorithmes à appliquer lors de l’envoi et de la réception de tel ou tel message. Un protocole est une sorte d’algorithme à l’échelle du réseau. Par exemple, l’établissement d’une connexion dans un réseau téléphonique suit un certain protocole. Celui-ci résout d’ailleurs le problème critique du routage : par quelle suite de liens faire cheminer les données, autrement dit, quelle « route » doivent-elles suivre. Dans un réseau téléphonique, le réseau est pré-configuré pour répondre à cette question. Dans un réseau de routeurs, le problème se pose pour chaque datagramme. Concrètement, quand un routeur reçoit un datagramme, un calcul doit lui permettre de décider sur quel lien le retransmettre. Pour cela, un protocole de routage permet aux routeurs, via l’échange de messages spécifiques, de détecter comment ils sont connectés les uns aux autres et d’acquérir suffisamment d’information pour pouvoir mener à bien un tel calcul.

    Dans les années 1970, on cherche à interconnecter les réseaux avec la conception des protocoles IP (Internet Protocol) et TCP (Transfer Control Protocol). Le protocole IP définit les adresses des machines et le format général des datagrammes. L’adresse IP reprend le principe de préfixe des numéros de téléphone sous forme d’une suite de 32 bits. La hiérarchie s’organise en réseaux identifiés par des préfixes d’adresses. L’organisation n’a donc plus de lien avec la géographie : on entre dans le « cyberespace ». Le protocole TCP définit comment établir des connexions logiques au moyen d’échanges de datagrammes. Un flux de données est envoyé par une suite de datagrammes indépendants. Une partie critique de ce protocole réduit le débit de datagrammes en cas de congestion dans un des réseaux traversés. Ce concept d’internetting en anglais donnera son nom à Internet qui naît au début des années 1980 quand Arpanet est relié au réseau académique CSNET. Très vite, d’autres réseaux européens puis japonais viennent s’interconnecter à ce réseau originel. Vingt-cinq ans plus tard, Internet est devenu aussi imposant que le réseau téléphonique qui s’est lui-même considérablement développé. Les deux géants sont maintenant interconnectés mais restent distincts. L’un n’a toujours pas supplanté l’autre. Les progrès les plus récents dans les deux cas concernent l’utilisation généralisée de liens radio qui permettent de communiquer en se déplaçant. Les routeurs sont entrés jusque dans nos maisons sous la forme de boîtiers wi-fi (pour Wireless, sans fil) qui connectent par radio tous les ordinateurs de la famille à Internet via une liaison ADSL sur le fil du téléphone. Les premiers réseaux radio remontent pourtant au début des années 1970 avec le réseau ALOHA dans les îles hawaïennes. Mais il n’était pas facile à l’époque de se promener avec un ordinateur et un émetteur-récepteur radio dans la poche !

    On peut voir les réseaux comme un tissu de rivières où s’écoule l’information, et les grilles comme des lacs stockant de grandes quantités d’information. Quelle est la capacité de ces rivières et de ces lacs aujourd’hui ? Combien de temps une rivière met-elle à remplir un lac ? La rivière qui arrive aujourd’hui chez nous s’appelle ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line) et délivre typiquement 20 mégabits par seconde. Pour donner un ordre de grandeur, un livre de 200 pages contient environ un million de caractères, soit 1 mégaoctet ou encore 8 mégabits. Le débit de votre liaison ADSL est donc légèrement supérieur à deux livres par seconde. En comparaison, les liaisons qui transportent l’information au cœur d’Internet sont de véritables fleuves constitués de câbles de quelques fibres optiques, voire plusieurs dizaines. Chaque fibre y transporte, par une centaine de signaux lumineux, quelques térabits par seconde (n1012 bits/s). Une seule fibre peut acheminer tout le trafic téléphonique de la France, même si tout le monde téléphone en même temps. Les plus grands lacs d’information sont des grilles de plusieurs dizaines de milliers de PC. Un ordinateur pouvant stocker 1 téraoctet sur ses disques durs, un tel lac peut contenir environ 10 000 téraoctets. En comparaison, appelons BNF la taille du texte intégral des 13 millions de livres de la Bibliothèque nationale de France, soit environ 10 téraoctets. Une grille peut donc stocker quelques milliers de BNF. Cependant, une seule fibre optique peut transporter toute cette information en 10 heures environ. Un câble d’une centaine de fibres, en 5 minutes environ. Si impressionnants soient-ils, les lacs d’Internet paraissent petits devant des rivières capables de les remplir si vite.

    Le nuage

    Les grilles contiennent des milliers d’ordinateurs agencés dans des armoires. © Inria / Photo J. Wallace
    Un centre de calcul concentre un nombre important d’armoires d’ordinateurs reliés entre eux. Plus il possède d’ordinateurs, plus il est puissant. Sa capacité de stockage devient alors un atout.

    Très vite, on se rend compte que les réseaux vont aider à calculer. Dans les années 1970, ils permettent d’accéder aux super-calculateurs sans avoir besoin de se déplacer. Dans les années 1980, les super-calculateurs eux-mêmes deviennent des machines parallèles, c’est-à-dire composées de plusieurs processeurs en parallèle reliés par un réseau très rapide. De nouveaux paradigmes de langages de programmation sont inventés pour pouvoir lancer des ordres en parallèle. À la fin des années 1990, on obtient un super-calculateur en connectant des milliers, voire des dizaines de milliers d’ordinateurs personnels par un réseau haut débit. On parle alors d’une grille de PC. Plus que la puissance de calcul, c’est le volume de données que peut stocker et manipuler une telle machine qui devient considérable.

    Une compagnie, devenue célèbre depuis, construit fin 1998 un moteur de recherche sur ce principe de machine. Cela lui permet ainsi de stocker en mémoire vive un index d’une grande partie de toutes les pages web accessibles par Internet avec un temps d’accès record. Après avoir équipé les quatre coins d’Internet de telles grilles, ses ingénieurs administrent une machine surpuissante de calcul et de stockage qui se trouve diffuse dans le réseau. Fascinés par leur invention, ils l’appellent « le nuage ».

    La puissance réside dans le nombre. Les plus grands centres de calcul sont constitués d’armoires regroupant des milliers d’ordinateurs qui sont reliés par un réseau rapide. On appelle « grille » la machine virtuelle ainsi obtenue par union des ordinateurs d’un ou plusieurs centres. Plus que la maîtrise du calcul, c’est la maîtrise des données et de l’information qui devient un enjeu. Pour les plus grosses entreprises actrices d’Internet, la grille est devenue un outil industriel pour manier et servir des masses de données énormes. Alternativement, des communautés d’internautes obtiennent des grilles en se connectant, via Internet, les uns aux autres, entre pairs, (en peer-to-peer). Si de tels systèmes sociaux n’ont pas la force de calcul et le temps de réponse de centres dédiés, ils peuvent effectuer certains calculs de grande ampleur, ou échanger de larges masses de données, ébranlant ainsi certains intérêts commerciaux et présageant de nouveaux horizons démocratiques.

    Cet article est paru dans la revue DocSciences n°5 Les clés de la révolution numérique, éditée par le CRDP de l’Académie de Versailles en partenariat avec l’Inria.

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    Laurent Viennot

    Chercheur Inria, responsable de l'équipe GANG faisant suite à l'équipe GYROWEB.
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