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    Comment développer la culture en informatique : en l’enseignant dès le lycée !

    Culture & Société
    La plupart des gens ont très peu, voire pas du tout de culture informatique. Cela est d’autant plus préjudiciable qu’aujourd’hui, l’informatique est omniprésente dans notre vie quotidienne.

    Il ne viendrait à l’idée de personne de dire : « Tu es ophtalmologiste ? Peux-tu me réparer mes lunettes ? » ou encore « Tu es physicien ? Peux-tu me réparer mon lave-vaisselle ? ». Chacun sait faire la différence entre un médecin ou un chercheur en physique, et les techniciens dont il aurait besoin dans ces deux exemples. Il en va très différemment en ce qui concerne l’informatique. Il arrive en effet régulièrement que les chercheurs en informatique entendent une phrase du genre « Tu es informaticien ? Cela tombe bien, j’ai un problème avec mon logiciel Truc ou mon driver Machin ». Comment se fait-il que de nombreuses personnes, y compris ayant un niveau d’études élevé, ne fassent pas la différence entre le métier de chercheur en informatique et celui de réparateur d’ordinateur ou de logiciel ?

    La raison en est au fond assez simple. La plupart des gens ont très peu, voire pas, de culture informatique. Et cela est d’autant plus étonnant qu’aujourd’hui, l’informatique est présente dans leur vie quotidienne, dans un ordinateur bien sûr, mais aussi dans une machine à laver, un téléphone portable, un lecteur MP3, un stimulateur cardiaque, un système de carburation automobile, un avion, etc. Et nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements ; demain, l’informatique et, de manière générale, les objets numériques, joueront un rôle encore bien plus important. Le corps humain sera réparé avec des processeurs informatiques, par exemple pour restaurer la marche malgré une moelle épinière sectionnée. Nous commanderons des machines grâce à des interfaces cerveau-ordinateur. Nos véhicules seront pilotés de manière semi-automatique (au fait, qui respecte le mieux ces limitations de vitesse qui sauvent tant de vie humaines : un système automatique à bord de la voiture qui recevrait l’information d’une balise en bord de route ou un conducteur « étourdi » ?) Notre maison sera remplie de capteurs qui s’occuperont d’allumer et d’éteindre la lumière, du chauffage mais aussi de vérifier la fraîcheur des aliments dans le réfrigérateur.

    De la culture informatique

    Cette absence de culture informatique doit-elle nous préoccuper ? La réponse est incontestablement OUI ! Nous utilisons par exemple tous Internet. Ne serait-il pas utile de comprendre, un minimum, comment un moteur de recherche choisit les réponses qu’il donne à une requête ? Les gens qui utilisent les blogs personnels mesurent-ils bien les impacts de leurs choix sur le long terme (par exemple, le futur notable ne pourra plus jamais effacer les photos publiées du temps où il chantait que « les bourgeois sont comme des cochons »…) Quels sont les dangers réels de tous ces courriels malveillants qui cherchent à nous tromper (en faisant par exemple croire que l’expéditeur est le centre des impôts, pour extorquer des codes bancaires) ? Ne faudrait-il pas bien saisir la différence entre la fonction « Enregistrer » et « Enregistrer sous » sur n’importe quel logiciel de manipulation de textes, calculs, photos ou autre, pour ne pas écraser ses propres données ? Que faut-il penser des dangers réels du vote électronique ? Ne serait-il pas normal d’avoir entendu parler de Turing, qui a posé les fondements de cette nouvelle science informatique et compris ce que pourrait être cette intelligence mécanique qui nous entoure de plus en plus ?

    Voici un exemple qui montre en quoi il peut être utile de comprendre quelques fondements de l’informatique ou de la logique. Aujourd’hui, nous utilisons tous des moteurs de recherche et la plupart d’entre nous font des requêtes simples, c’est-à-dire cherchent une chaîne de caractères. Notre moteur de recherche favori nous donne alors quelques dizaines de milliers, voire quelques centaines de milliers de pages, et personne ne va voir au-delà de la première ou de la deuxième page. Et donc, nous perdons de l’information. Si on perd de l’information, c’est notamment parce qu’on fait des requêtes simples. On pourrait faire de requêtes plus compliquées, plus fines, c’est-à-dire poser des questions plus précises, en utilisant ce qu’on appelle les connecteurs logiques, les « et », les « non ». Prenons un exemple : je cherche mon copain d’enfance qui s’appelle Thomas Durand, un prénom et un nom courants. Si je cherche « Thomas Durand » sur le web, je vais avoir des centaines voire des milliers de réponses. Mais en examinant ces pages, je me rends compte que les premières ne parlent que d’un Thomas Durand, auteur célèbre, estimable, mais qui n’est pas mon copain d’enfance. Je peux alors peaufiner ma recherche en disant : « voilà, je cherche les Thomas Durand mais seulement ceux qui ne sont pas écrivains ». Je vais donc faire une recherche : « Thomas Durand non écrivain ». Et à ce moment là, toutes les pages qui m’avaient été affichées en premier, dans lesquelles on me parlait de ce célèbre Thomas Durand, écrivain, vont disparaître, parce qu’elles contiennent le mot « écrivain » qui est interdit par la requête. Je vais alors avoir d’autres réponses. Petit à petit, en affinant sa requête, on peut beaucoup plus rapidement obtenir des réponses précises, parce qu’on a posé des questions précises. Mais pour faire cela, sans être un grand logicien, il faut comprendre l’utilisation de ces connecteurs « et, », « ou », « non ».

    Ces quelques exemples montrent bien que cette culture de base en informatique est, chez la plupart d’entre nous, absente. Est-ce qu’une société moderne et démocratique, ne devrait pas avoir pour intérêt d’être constituée de citoyens maîtres de leur environnement numérique ? N’est-ce pas aussi le rôle de l’école de nous fournir les clés qui nous permettront à tous d’en être conscients ?

    De l’enseignement de l’informatique

    Au 20e siècle, à l’ère industrielle, l’enseignement secondaire a appris de la physique et de la chimie à toutes et tous, y compris aux futurs avocats et aux futurs pêcheurs. Pourquoi une telle initiative ? Simplement parce que l’avocat doit plaider des causes où les objets de l’ère industrielle, conçus grâce aux sciences physiques et chimiques, peuvent jouer un rôle essentiel. S’il ne comprend pas un peu ce qu’il y a derrière ces objets, l’avocat ne pourra jamais convenablement défendre ses dossiers. Quant au pêcheur, il se retrouve en pleine mer à bord d’un « bateau usine », il a besoin de comprendre, au moins vaguement, un radar, une chaîne du froid ou un moteur diesel. Et c’est parce que ces connaissances fondamentales leur ont été données que leur esprit est ouvert à ces objets industriels qui déroutaient complètement les gens du 19e siècle. Au 21e siècle, nous sommes confrontés depuis presque un demi-siècle aux objets numériques. Et pourtant, l’informatique n’est toujours pas enseignée à nos enfants.

    Il semble que notre société ait enfin pris conscience de cette lacune. Pour la première fois, à la rentrée 2012, un nouvel enseignement de spécialité « informatique et sciences du numérique » va être instauré en terminale scientifique. Et il n’y a pas de raison à terme de limiter cet enseignement aux terminales scientifiques, puisque demain les élèves qui auront fait une terminale littéraire, économique ou technique auront tout autant besoin de comprendre quels sont les fondements de l’informatique, dans leur environnement professionnel, mais aussi dans leur environnement personnel. Pour réussir cette introduction, l’enjeu est de profiter des deux années à venir pour former les professeurs de lycée qui, sauf cas particuliers, n’ont pas les compétences requises pour enseigner cette nouvelle discipline. Toute la communauté scientifique en informatique (les universités, les organismes de recherche dont l’INRIA) va ainsi travailler étroitement avec le ministère de l’éducation, en lien avec le tissu associatif mobilisé pour cette cause nationale.

    L’objectif de ce nouvel enseignement de spécialité n’est évidemment pas de former des experts. Il vise simplement à donner un minimum de recul pour mieux comprendre les concepts qu’il y a derrière les outils numériques. Les (futurs) citoyens ainsi formés pourront utiliser ces outils de manière plus réfléchie et efficace, en s’éloignant de la technique « presse-bouton », en ayant un regard critique et en se posant de meilleures questions, par exemple d’éthique. Si on prend un traitement de texte, par exemple, il y a deux façons de comprendre son utilisation. Ou bien vous avez conscience des grandes fonctions qu’il y a derrière un traitement de texte, et si demain vous devez changer de traitement de texte, ça ne vous posera à peu près aucune difficulté. Si par contre, vous voyez simplement un traitement de texte comme une boîte noire qui répond aux instructions d’un des menus, c’est-à-dire si, en fait, vous ne l’avez pas compris, vous allez devoir tout réapprendre si vous utilisez un nouveau traitement de texte. Ce qui est vrai pour les traitements de texte, l’est encore plus pour des objets plus compliqués que sont les tableurs, outils qui font presque partie de notre vie quotidienne. Pour bien utiliser un tableur, c’est-à-dire pour profiter de toute sa puissance, il faut comprendre un certain nombre de notions informatiques liées à l’algorithmique et à la programmation. Au 21e siècle, tous les citoyens ont aussi besoin de comprendre comment fonctionne internet, par exemple, comment est préservée ou non sa vie privée sur un réseau social ? Un avocat, plus encore, doit pouvoir saisir les concepts informatiques liés au degré de responsabilité d’un conducteur quand il utilise un régulateur automatique de vitesse, ou les contraintes techniques liées à la protection des œuvres artistiques sur le web. Le pêcheur est maintenant sur son bateau devant un pilote automatique, un système de localisation satellitaire, et le voilà relié au monde par des réseaux numériques ad-hoc. Pour maîtriser son environnement, il a donc au moins autant besoin d’apprendre la science informatique du 21e siècle que la physique-chimie du 20e siècle.

    Le succès de l’introduction de ce nouvel enseignement, et son extension à l’ensemble des sections du lycée, est un facteur clé pour notre société. Si collectivement nous échouons, d’autres pays en concurrence avec nous prendrons un avantage important, au détriment de notre développement collectif et personnel. Si, au contraire, nous savons fournir à tous cette culture informatique indispensable, alors nous serons nous aussi les créateurs de cette société numérique mondiale dans laquelle nous vivons, au bénéfice de chaque citoyen mais également de notre économie.

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    Antoine Petit

    Président-directeur général du CNRS, ancien Président-directeur général d'Inria.
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