Lire & Voir : Informatique et mathématiques
La Guerre des nombres premiers – Maths, éco, crypto : ils sont sur tous les fronts
Yan Pradeau (Éditions Flammarion, mai 2023)
Il ne faut pas s’arrêter au titre et encore moins au sous-titre ! Les deux auraient plutôt tendance à me faire fuir, et ne représentent aucunement le contenu très agréable du livre. Il n’y est, sauf erreur de ma part, jamais question d’économie… Il s’agit principalement de l’histoire de la recherche sur les nombres premiers, depuis l’Antiquité. S’entremêlent des biographies succinctes des principaux acteurs (peu d’actrices malheureusement) et leurs contributions principales. Les premiers chapitres sont peut-être un peu poussifs, mais dès qu’on atteint Mersenne au XVIe siècle, le livre devient très fluide et se lâche difficilement.
La question qui dirige une bonne partie du livre est : pourquoi donc les mathématiciens et mathématiciennes s’intéressent-ils aux nombres premiers depuis tout ce temps, et pourquoi reste-t-il encore des questions après toutes ces années ? Si la réponse peut paraître évidente pour les personnes travaillant dans le domaine, elle permet sans doute à des lecteurs ou lectrices moins avertis de toucher du doigt la nature de la recherche mathématique. Le livre explique également de manière très accessible la tension entre hasard et régularité qui existe dans la répartition des nombres premiers : on peut à la fois justifier que leur apparition n’obéit à aucune règle et en même temps estimer précisément où ils se trouvent… Enfin, l’aspect historique est très intéressant : on perçoit le temps long nécessaire à la maturation d’idées afin qu’elles deviennent suffisamment évidentes pour pouvoir aller au-delà.
Voyages au pays des maths
Série réalisée par Denis van Waerebeke (Production : Les Films d’ici, Arte G.E.I.E, Universcience, Les Films du poisson rouge, 2021)
La série « Voyages au pays des maths », diffusée sur la chaîne Youtube d’Arte, présente différents sujets de mathématiques sous la forme de capsules vidéos d’une dizaine de minutes chacune. Parmi ceux-ci, plusieurs sont à la frontière entre mathématiques et informatique, en particulier dans la deuxième saison diffusée ce printemps.
Un des épisodes ayant retenu mon attention traite des pavages du plan : étant donnée une pièce de carrelage d’une forme fixée, est-on capable de recouvrir un sol de dimension infinie avec une infinité de copies identiques de cette pièce, sans laisser de trou ni faire se chevaucher des pièces ? Il est facile de voir que si la pièce est carrée, la réponse est oui. Mais avec un pentagone régulier ? un hexagone régulier ? d’autres polygones, réguliers ou non ? Il est entre autres question du résultat définitif de l’informaticien Michaël Rao sur les pavages pentagonaux.
Le dernier épisode de la série présente quant à lui la théorie des graphes, domaine à cheval entre mathématiques et informatique. Les graphes permettent de modéliser les interactions de manière très générale, et sont un des objets de base de l’informatique. Il est difficile de trouver un domaine de l’informatique qui ne les mette pas en jeu. Dans la vidéo, il est en particulier question de graphes expanseurs, fondamentaux en algorithmique moderne.
De manière générale, toutes ces vidéos sont excellentes. En lien avec l’informatique, on peut également citer celle sur les biais statistiques (importants en apprentissage automatique), ou dans la première saison celles sur le dilemme du prisonnier (théorie des jeux), sur l’infini ou le théorème de Gödel (domaine de la logique, qui a donné naissance à l’informatique) ou encore sur le jeu de la vie (un modèle de calcul étonnant). En bref, une série à voir pour parfaire sa culture en mathématiques et informatique !
Le monde a des racines carrées
Viviane Lalande (Éditions de l’Homme, octobre 2018)
Déjà adepte de la chaîne Youtube Scilabus, j’ai anticipé le même plaisir quand j’ai reçu le livre de Viviane Lalande. Je n’ai pas été déçue : j’ai retrouvé ses explications, limpides, de phénomènes tellement courants dans notre quotidien, que l’on ne songe même plus à chercher à les comprendre.
« Le monde a des racines carrées » compte treize chapitres. Pour chacun d’eux, une première partie présente un phénomène en l’ancrant dans notre expérience commune, puis l’explique de façon très accessible. Une deuxième partie illustre une utilisation plus poussée de ce phénomène, utilisation souvent inattendue. Par exemple, après avoir expliqué le principe du fonctionnement d’un pèse-personne qui détermine également le taux de masse grasse, Viviane Lalande explique comment ce même principe est utilisé dans des puces qui permettent de lutter contre le braconnage des éléphants.
Les questions en lien avec les sciences du numérique ne sont pas les plus nombreuses, mais on trouve tout de même une justification de l’utilité de la mise en équations des phénomènes physiques que l’on veut étudier, ou de la trigonométrie pour améliorer l’efficacité de la technique dite « cold spray », ainsi qu’un plaidoyer pour la racine carrée… indispensable pour étudier le temps de cuisson d’un plat carré de lasagnes.
À titre personnel, mon chapitre préféré est naturellement la deuxième partie du chapitre sur la racine carrée, partie qui porte sur différentes représentations des nombres, de celle apprise à l’école primaire à celle utilisée par Youtube pour numéroter les vidéos : le choix de la « bonne » représentation dépend de l’usage que l’on veut en faire. Mais que ce soit avec ce chapitre (le plus proche de mes préoccupations de recherche), ou avec les douze autres, vous l’aurez compris, je me suis régalée !
PS : pour satisfaire votre curiosité : la projection à froid, ou « cold spray », est une technique consistant à projeter à grande vitesse une poudre de métal sur une surface, afin de créer un revêtement métallique. Elle est une alternative — encore onéreuse — au revêtement par chauffe ou par induction, qui n’est pas toujours possible, selon la surface à couvrir.
Dingue de maths
Avner Bar-Hen, Quentin Lazzarotto (Éditions EPA, octobre 2021)
Dingue de maths est un livre de vulgarisation des mathématiques et de l’informatique théorique. L’objectif avoué est d’exposer la diversité des mathématiques en montrant de multiples situations de la vie quotidienne où elles sont utilisées.
Le livre est divisé en quatre grandes parties censées illustrer quatre grands principes mathématiques : Dénombrer, Prévoir, Coder, et Créer. Chacune de ces parties est divisée en neuf chapitres. Sept d’entre eux décrivent des notions particulières et leur utilisation, un chapitre fait le portrait d’un grand mathématicien ou d’une grande mathématicienne (Srinivasa Ramanujan, Florence Nightingale, Ada Lovelace, et Roger Penrose), et le dernier est un entretien avec un mathématicien ou une mathématicienne contemporaine (Étienne Ghys, Lynne Billard, Gérard Berry, et Marie-Paule Cani).
Le lecteur est ainsi invité à passer « le monde au crible des mathématiques » comme l’indique la quatrième de couverture. Cela aurait d’ailleurs pu être un titre plus approprié pour le livre que Dingue de maths. Si ce titre s’accorde bien aux quelques chapitres de portraits et d’entretiens, il correspond assez peu aux autres chapitres qui constituent la grande majorité du livre.
Mais ne boudons pas notre plaisir, au fil des pages de cette mini-encyclopédie, un voyage plaisant au pays des mathématiques est proposé au travers de chapitres très bien documentés et joliment illustrés. On peut ainsi y (re)découvrir de nombreuses notions d’analyse, de statistique, de probabilités, de combinatoire ou encore de géométrie. Toutes sont présentées par le biais d’une application, comme le recensement, les éphémérides, le GPS ou les nœuds de cravates. Le contexte historique y est toujours bien retracé. Dans la première partie Dénombrer, les auteurs ont pris la peine d’expliquer, et de manière accessible à tous, les notions mathématiques. Dans les parties suivantes, les auteurs entrent moins dans les détails des explications, au risque de laisser le lecteur averti sur sa faim dans cette déambulation au pays des mathématiques et de l’informatique.
La bosse des maths n’existe pas
Clémence Perronnet (Éditions Autrement, collection Essais, septembre 2021)
Dans La bosse des maths n’existe pas, la sociologue Clémence Perronnet s’intéresse à la désaffection pour les sciences de certaines catégories d’enfants. Ses travaux se basent sur une enquête qu’elle a menée en suivant pendant quatre ans les parcours d’une cinquantaine d’enfants du CM1 à la 5e, dans un quartier dit difficile, en réalisant des entretiens avec ces enfants. Elle commence par un état des lieux et par une mise en contexte historique méconnue et bienvenue.
À travers de nombreux portraits qui rendent le propos très vivant, on accompagne les enfants de l’enquête dans leur vie familiale et dans leur vie scolaire comme extrascolaire, pour se pencher sur leurs positions vis-à-vis des sciences. On découvre leur curiosité tous azimuts à l’école primaire, qui se mue souvent en découragement lors de leurs années collège. On y découvre la distinction qui est établie entre l’éducation des enfants de milieux le plus souvent défavorisés et celle des enfants de milieux plus aisés. Pour les enfants des milieux défavorisés, on laisse libre cours à l’expression de leur « nature », de leurs penchants « innés ». Les enfants des milieux plus aisés sont quant à eux un « projet » familial et leur éducation, en particulier leurs loisirs, sont beaucoup plus accompagnés voire guidés afin de leur ouvrir un avenir riche en possibilités.
Clémence Perronnet met en évidence l’éloignement des sciences en général (et pas spécifiquement de l’informatique, précisons-le au passage) des filles, des enfants des classes populaires, des enfants de familles issues de l’immigration. Mais elle montre aussi des facteurs qui peuvent les en rapprocher. Le rôle des grandes sœurs, bonnes élèves et intéressées par les sciences, comme « passeuses de science » au sein de la famille est ainsi mis en exergue.
L’autrice propose alors diverses explications à ce phénomène d’éloignement des sciences, pour en démonter certaines, telles que la différence présupposée mais jamais avérée entre les cerveaux des filles et les cerveaux des garçons, et pour en contrecarrer d’autres, comme le manque d’appétence pour les sciences souvent attribué à l’ignorance de ce que sont les sciences.
Elle nous propose d’autres pistes, telles que l’exclusion des sciences par manque de modèles auxquels s’identifier : un scientifique est-il nécessairement un homme blanc, comme les experts que l’on voit sur les plateaux de télé, ou bien un génie un peu fou et solitaire ? Pourquoi est-ce si rarement une femme ou bien une personne appartenant à une « minorité visible » ?
Dans le dernier chapitre, pour celles et ceux qui ont à cœur de partager leur amour des sciences avec le plus grand nombre, Clémence Perronnet pointe quelques écueils à éviter et quelques bonnes pratiques à adopter.
L’avant-propos à deux voix avec Marion Montaigne, dessinatrice de BD de vulgarisation telles que Tu mourras moins bête ou bien Dans la combi de Thomas Pesquet, est une mise en bouche qui complète fort bien le propos de ce livre.
Mathéopolis, Tome 0 : origine et pouvoir des mathématiques
Francis Loret, Pierre Seguin, Fabrice Lli (collectif Association Maths Pour Tous, 2021)
Issu d’une collaboration d’enseignants en mathématiques de l’académie de Marseille, le livre Matheopolis est le premier tome d’une introduction aux multiples dimensions des activités mathématiques. Comme on pouvait l’espérer, il semble accessible dès le collège mais ceux qui ont perdu leur curiosité pour les Mathématiques dès leurs jeunes années auront aussi une seconde chance ; je n’ai pas à convaincre les autres. La présentation ne s’appuie pas que sur l’abstraction et la technique mathématique, même si elle se focalise judicieusement dessus parfois.
Certains passages sont romancés pour évoquer la sensibilité psychologique des mathématiciennes en action. Des passages historiques mettent aussi en perspective certaines des influences de ces travaux, même les plus abstraits qui ont parfois navigué jusqu’à des réalités concrètes et sociales. Un site web accompagne le livre en proposant des vidéos, quiz et autres ressources qui viennent en complément de la fiction illustrée.
Grâce à Wikipédia, j’apprends que l’un des principes de sémantique générale du philosophe et scientifique Alfred Korzybski est que « la carte n’est pas le territoire » mais aussi que ce titre semble avoir inspiré deux Michel (Houellebecq et Levy). Pourtant, dans ce livre illustré à chaque page, la carte mentale des notions mathématiques devient un territoire qui est une ville imaginaire nommée Mathéopolis et peuplée entre autres des mathématiciennes de tous les âges. Cette métaphore est un point d’appui pédagogique intéressant pour discuter plus concrètement des multiples dimensions de l’activité mathématique. Elle sera probablement plus développée dans les tomes suivants.
Ce premier tome se découpe en quatre chapitres en plus de l’introduction qui nous présente les motivations de l’héroïne ; celles-ci me paraissent parfois un peu excessives à mon âge mais j’ai beau ne pas être le cœur de cible, j’aurais pu y être sensible dans ma jeunesse. Le premier chapitre me semble bien justifier l’utilisation de l’abstraction. Il part d’abord de l’abstraction géométrique en discutant des illusions de nos sens, notamment la vision de certaines figures géométriques. Le deuxième chapitre, le plus technique à mon sens, aborde la notion de nombre et de ses représentations par des chiffres. Quant aux troisième et quatrième chapitres, ils suivent l’évolution de certaines idées mathématiques au cours de l’histoire, en passant par diverses civilisations de la préhistoire jusqu’à de multiples sujets de science contemporaine. Tout au long du livre, je trouve particulièrement bien choisis les exemples mathématiques illustrant la discussion des notions.
Je vois dans ce premier tome une tentative convaincante de fusion entre deux cartes : l’une pour les notions mathématiques et l’autre carte décrivant la dimension psychologique, les motivations et satisfactions possibles de la personne engagée dans l’aventure humaine qu’est l’activité mathématique. Je m’amuse à rapprocher cette dernière carte des intentions de la carte du tendre des Précieuses mais destinée à l’amour des mathématiques ! S’il faut plaider l’enthousiasme aux sceptiques et le scepticisme aux enthousiastes, ce livre entre bien dans la première catégorie. Cela me semble être un bon moyen de susciter des vocations mathématiques parfois pérennes. Quoi qu’il en soit, ce détour par l’abstraction et Mathéopolis est aussi une passerelle vers sa ville jumelée que j’ai envie pour les besoins de cette recension de nommer… Plèrhophorikèpolis ! (si πληροφορική est bien la traduction grecque pour informatique).
Mathématiques et société
Tangente numéro 198, février-mars 2021
À l’occasion de la 10e édition de la Semaine des mathématiques, le magazine Tangente consacré aux mathématiques propose dans son numéro de février-mars un dossier sur le thème retenu en 2021 : « Mathématiques et Société ». Très bien rédigé et organisé, ce dossier est accessible à plusieurs niveaux. Il se destine aussi bien à des élèves de lycée qui ne comprendront peut-être pas tout mais éveilleront leur esprit sur ces questions qu’à des lecteurs plus expérimentés qui y apprendront sans aucun doute des choses.
On commence fort bien avec le premier article d’Antoine Houlou-Garcia intitulé la rationalité de l’action politique face au calcul. Il y évoque le rêve ancien bien qu’illusoire d’une politique indiscutable car basée sur des calculs par A+B dans un modèle parfait. S’appuyant sur la littérature, il rappelle notamment que si le calcul peut aider à éclairer les décisions sur les moyens de l’action, il ne faut pas oublier que les fins sont par nature politiques et par exemple, pas nécessairement les mêmes pour tous.
Ensuite, peut-être pour achever l’illusion d’un modèle parfait et pratique de société, le second article d’Antoine Rolland illustre les difficultés à mesurer efficacement une quantité a priori simple dans une société : le nombre de participants à une manifestation.
Dans le troisième article, Clémentine Laurens montre comment introduire un problème mathématique abstrait, les nombres diagonaux de Ramsey, à l’aide d’une modélisation des invitations à une soirée. L’étude des petits cas est l’occasion d’utiliser la formalisation par les graphes puis de mentionner les résultats récents suggérant la puissance parfois fascinante de l’analyse mathématique sur ce genre de problème abstrait.
Le dernier article signé Florian De Vuyst — peut-être le plus technique de l’ensemble — traite, via les processeurs graphiques, des applications pour la société de la mise à disposition des outils de calculs tout en n’oubliant pas de rappeler que ces processeurs ont pu exister grâce à l’existence du marché des joueurs et joueuses de jeux vidéo.
En conclusion, c’est une lecture qu’on recommande, en particulier à celles et ceux qui douteraient trop (ou pas assez !) des possibilités d’interactions entre les mathématiques et les questions sociétales !
Les maths et le réel, comment décoder le monde
La Recherche hors-série n°31, septembre-novembre 2019
Pourquoi les mathématiques sont-elles aussi efficaces pour représenter le réel ? Elles ont permis de développer des modèles qui expliquent les observations et font des prévisions, notamment en physique. Inversement, la masse de données disponibles aujourd’hui alimente des outils de type statistique pour essayer de prédire des comportements. Ainsi, les mathématiques et l’informatique exploitent modèles et données pour explorer le monde réel. En physique donc, mais aussi en biologie, en médecine, en urbanisme, les mathématiques s’invitent pour analyser des systèmes complexes. Toutefois, il faut rester modeste et se souvenir que le monde réel comme le monde mathématique sont d’une complexité infinie.
Tous ces aspects sont abordés dans le numéro spécial de La Recherche sur « les maths et le réel », avec des articles variés et très intéressants.
Géométrie algorithmique : des données géométriques à la géométrie des données
Jean-Daniel Boissonnat, leçon inaugurale au Collège de France (mars 2017).
Jean-Daniel Boissonnat, nouveau titulaire de la chaire Informatique et sciences numériques au Collège de France, a donné sa leçon inaugurale le 23 mars 2017 dernier. L’occasion, en une heure, de présenter les principales facettes de plusieurs décennies de travail sur un sujet qui a émergé dans le dernier tiers du xxe siècle : la géométrie algorithmique. Aider à passer des maquettes à la réalité virtuelle, ou de la photo à l’impression 3D, pour ne citer que quelques incidences, Jean-Daniel Boissonnat nous rappelle que cette matière a occupé nombre de scientifiques issus de divers corps de métiers. Beaucoup nous sont contemporains, portant une école française dont la présence ne fléchit pas depuis Pierre Bézier ou encore Paul de Faget De Casteljau.
Dans cette leçon inaugurale, on découvre que ce domaine doit certainement son succès à la diversité des résultats de recherche auxquels il fait appel. Jean-Daniel Boissonnat y parle aussi bien d’outils connus en analyse numérique (maillages) que de mathématiques fondamentales (topologie) ou de domaines plus récents dans les sciences du numérique (analyse d’algorithmes).
La décomposition ou l’approximation des surfaces en éléments plus simples représente une partie importante de la modélisation. On passe ainsi en particulier d’un monde continu fait de « formes » à un monde discret fait d’assemblages de points, de droites, de triangles, de tétraèdres, parfois de courbes ou de surfaces « simples ».
Pour reprendre l’analogie pâtissière utilisée par les prix Nobel de physique 2016 pour décrire leur utilisation de la topologie, si on considère un donut, la surface qu’il définit peut être découpée en simplexes (3 points reliés par des courbes) eux-mêmes approchés par des triangles en préservant le nombre de trous qu’il possède. Ceci rend compte du fait qu’une transformation « simple » permet de passer d’une de ses représentations/approximations à une autre, sans influer sur l’allure générale de l’objet ou simplement sans changer certaines de ses caractéristiques. L’étude de la topologie des surfaces et/ou de leurs approximations/modélisations permet une classification en fonction des propriétés que l’on veut préserver.
On comprend qu’il est alors plus facile de voir le nombre de trous formés par un donut que par une tasse, même si topologiquement ce sont les mêmes objets.
Ensuite, il est en général plus facile de faire calculer par une machine le nombre de trous formés par un « complexe simplicial » (une structure discrète, par exemple un recollement de triangles) que par une structure continue comme un donut ou une tasse.
Comme souvent, la notion de « simple » est toute relative et l’accumulation de transformations « simples » se traduit invariablement par une accumulation d’objets « simples », reportant alors la complexité du problème initial sur celle des algorithmes gérant, manipulant, simplifiant ces nouvelles structures. C’est l’étude des complexités combinatoires et/ou algorithmiques qui rend alors compte de la faisabilité d’un calcul, savant mélange entre une stratégie de modélisation, son adaptation au problème posé et les algorithmes mis en œuvre.
La sanction absolue est l’implantation, le moment où l’on met tout bout à bout et où l’expérience validera (ou non) l’accumulation de choix. La présentation du logiciel CGAL est au cœur de la leçon inaugurale, montrant sans ambiguïté l’effort fourni sur un peu plus de vingt ans pour rendre exploitables en pratique les objets, les algorithmes qui seront présentés en détail dans les leçons suivantes.
Fabrice Rouillier
Mathématiques et langages – Panorama du thème
Livret édité par la Commission française pour l’enseignement des mathématiques (CFEM).
Les questions de langage, au sens large, sont omniprésentes en mathématiques. Comment modéliser et calculer des propriétés de langages formels ? Quelles notations prendre pour un article de recherche ? Comment enseigner à une classe multilingue ?
Ce livret de 86 pages, réalisé à l’occasion du Forum Mathématiques Vivantes 2017, est composé d’une trentaine de textes courts rédigés par des scientifiques (mathématiciens, informaticiens, didacticiens, linguistes et historiens). On y découvre comment utiliser l’analyse mathématique et statistique pour étudier le langage d’œuvres littéraires et de morceaux de musique, l’histoire d’amour-haine des mathématiciens envers leurs notations et systèmes de typographie, ou encore les défis de la transmission du langage mathématique dans l’enseignement.
La plupart des textes sont accessibles à un large public, même si certains sont plus spécialisés. Ils donnent un aperçu de quelques problématiques actuelles en recherche et enseignement.
Ce document distribué gratuitement sous licence Creative Commons CC0 1.0 est téléchargeable en version pleine définition (PDF 17,5 Mo) et version allégée (PDF 4,4 Mo).
Accromath
Revue produite par l’Institut des sciences mathématiques et le Centre de recherches mathématiques (Québec).
Le numéro paru début 2012 consacre un de ses articles, « Des coquillages aux pelages », à la morphogenèse dont un cas particulier est celui de la formation des taches sur le pelage des félins ou de motifs récurrents sur certains coquillages. À partir d’un algorithme simple de production de triangles de Sierpinski, le mécanisme de réaction-diffusion est présenté de façon très pédagogique, jusqu’à l’introduction des équations aux dérivées partielles correspondantes. L’article cite les travaux d’Alan Turing, qui a proposé en 1952 des mécanismes pour expliquer la morphogenèse. Un article d’actualité donc, en cette année qui voit célébrer le centenaire de la naissance de ce fondateur de l’informatique.
La revue Accromath est l’un des principaux partenaires de l’initiative internationale Mathématiques de la planète Terre 2013. Elle publiera en 2013 un numéro spécial sur ce thème.
Excellence et pédagogie des textes, pertinence des thèmes, qualité de la présentation : tout concourt à recommander cette revue francophone à tout curieux de mathématiques et de leurs applications.
Mathématiques, espionnage et piratage informatique – Codage et cryptographie
Joan Gómez (Collection « Le monde est mathématique », RBA Coleccionables S.A., Barcelone, 2011)
Traduit de l’espagnol.
Des codes de César et de Vigenère à l’algorithme RSA et aux perspectives de l’ordinateur quantique, en passant par les machines Enigma, un exposé des méthodes de codage et de cryptographie, parsemé d’anecdotes historiques et assez joliment illustré. Un de plus ? Peut-être, mais cet ouvrage se distingue par une présentation des fondements mathématiques et informatiques, plutôt rare et bienvenue au sein d’une collection qui, à travers la vente en kiosque, vise un large public. Le lecteur se verra par exemple proposer une introduction à l’arithmétique modulaire, ou plus poétiquement une « touche d’algèbre linéaire » lors de la présentation très pédagogique du chiffre de Hill. Les quelques rares passages inintelligibles sont probablement à mettre sur le compte de la traduction ; sinon, comment expliquer que la machine de Babbage ait pu servir pour « travailler également avec des tables astrologiques » ?
À la recherche de la preuve en mathématiques
Hervé Lehning (Éditions Belin – Pour la science 2009)
« L’idée de prouver un algorithme peut sembler étrange. Certains croient que l’informatique est le domaine du système D et de la « bidouille ». Ils se trompent […] ». Voilà une déclaration à laquelle nous souscrivons évidemment sans retenue. Et l’auteur de ce livre de poursuivre, dans ce chapitre intitulé Induction et récurrence, par la présentation de l’exemple de la preuve d’un algorithme de tri par insertion. Simple, mais démonstratif !
Au long de ce petit ouvrage, tout en livrant avec bonheur quelques heuristiques propres à guider le lecteur sur le chemin de la preuve en mathématiques, Hervé Lehning effectue plusieurs autres incursions très pertinentes dans le domaine de l’algorithmique. Il souligne de ce fait la forte connexité de ce domaine et des mathématiques, plus particulièrement des mathématiques discrètes qui s’occupent de graphes, de dénombrements et d’optimisation combinatoire. Le lecteur appréciera ainsi l’explication des « cryptarithmes », des algorithmes gloutons, du théorème des quatre couleurs, ou encore des jeux de Nim. Une lecture distrayante… qui mobilise les neurones.
Le pouvoir des mathématiques
Les dossiers de La Recherche (novembre 2009)
Loin de se limiter à s’interroger sur l’utilité des mathématiques, comme son sous-titre, « Pourquoi elles sont encore indispensables », pourrait le laisser entendre, ce dossier du mensuel La Recherche illustre magistralement les liens fructueux que continuent de tisser les mathématiques avec les autres sciences. Au-delà de la physique, ce sont la biologie et l’informatique qui, à des titres différents, bénéficient maintenant des avancées mathématiques, et simultanément les sollicitent. Il est ainsi tout-à-fait significatif de relever dans les articles de ce dossier de nombreuses références à la complexité algorithmique, une des notions fondamentales de l’informatique. Parallèlement, l’ordinateur émerge comme un instrument au service de la preuve mathématique, non sans réactions des mathématiciens concernés. Ce dossier de La Recherche dresse ainsi un portrait très vivant, souvent étonnant, des mathématiques du XXIe siècle.
Les Métamorphoses du calcul
Gilles Dowek (Le Pommier, 2007)
Socle des mathématiques, la notion de démonstration s’est profondément transformée dans les trente dernières années. Le calcul, longtemps éclipsé par le raisonnement, retrouve aujourd’hui sa place dans les démonstrations. L’ouvrage retrace les avancées mathématiques qui sont à l’origine de ces transformations. Il nous amène en particulier à réfléchir sur les liens entre les mathématiques et l’informatique, notamment la possibilité maintenant offerte de dépasser les limites en taille des démonstrations mathématiques.
Un livre à la frontière des mathématiques, de l’informatique et de la philosophie, qui fait réfléchir sur les évolutions des mathématiques.
Petite introduction à l’algorithmique – À la découverte des mathématiques du pas à pas
Pierre Damphousse (Ellipses 2005)
« Petit » par la taille, cet ouvrage donne une vision rigoureuse et concise des concepts centraux de l’algorithmique, en les illustrant par des exemples et en les mettant en perspective par de nombreuses références historiques.
En résumé, un ouvrage d’informatique mathématique à la fois fluide et rigoureux, destiné à un lectorat étendu mais averti, qui évite tout jargon informatique et ne nécessite aucune connaissance d’un langage de programmation.
À la racine des nombres – Une histoire du calcul numérique des origines à nos jours
Philippe A. Doisy (Ellipses 2006)
Le calcul de la racine carrée d’un nombre, tel est le fil rouge de cet ouvrage. Pas moins d’une vingtaine de méthodes de calcul sont exposées, dont les plus anciennes remontent à l’époque babylonienne.
Leur justification mathématique est entrelacée de repères historiques, tant sur les techniques numériques et les mathématiciens qui les inventèrent que sur les outils de calcul disponibles pour les mettre en œuvre. L’auteur présente ainsi calculi et tables à calcul, abaques, bouliers, tables de logarithmes, compas de proportion, règle à calcul… jusqu’aux calculettes modernes, où la détermination d’une racine carrée s’obtient d’une simple pression sur la touche appropriée. Même aujourd’hui cachés, les algorithmes utilisés s’inscrivent en filiation directe de leurs antiques prédécesseurs.
Sans doute pas une histoire exhaustive du calcul numérique, mais un fascinant cocktail pédagogique de science et d’histoire(s).
Origines des nombres et du calcul
Cahiers de Science et Vie n°112, août-septembre 2009
Le calcul a une histoire passionnante et riche en surprises, jusqu’à ses formes actuelles impossibles à prévoir il y a cinquante ans. L’invention des systèmes de numération et la découverte (ou l’invention ?) du zéro sont moins simples qu’on l’imagine souvent. Les outils élémentaires de calcul (bouliers, cordelettes, abaques, etc.) ont suivi une lente progression qui nous étonne aujourd’hui. Les algorithmes sont une création aussi ancienne que l’irrationalité du nombre racine de 2. Tous ces thèmes et bien d’autres, concernant l’informatique, le cerveau calculateur ou la nature mentale des nombres, sont abordés dans ce cahier richement illustré qu’on lit avec plaisir. À conseiller à tous.
Mathématiques concrètes – Fondations pour l’informatique
Ronald L. Graham, Donald E. Knuth et Oren Patashnik (Vuibert 2003)
Traduction de Concrete Mathematics (Addison-Wesley Company 1988).
Un type particulier de mathématiques (basées sur le discret plus que sur le continu) constitue la base de l’informatique. Ce type de mathématiques devrait avoir plus de place par rapport à celui tourné vers les sciences pour l’ingénieur telles qu’elles existaient il y a cinquante ans (et qui est encore dominant dans l’enseignement en France). Problèmes récurrents, sommes, théorie élémentaire des nombres, probabilités discrètes, calcul asymptotique sont quelques-uns des thèmes de ce livre pour étudiant en informatique (niveau bac ou plus) souhaitant apprendre les mathématiques qui auront le plus de chances de lui être utiles.
Un livre qui ose attaquer des problèmes un peu ardus, mais à la portée de tous les étudiants en science ou technique.
Lorsque l’ordinateur joue aux dés…
Philippe Flajolet
Conférence donnée au Laboratoire d’Informatique de Grenoble le 6 janvier 2011.
Voir la vidéo.
Dans un exposé brillant et riche, Philippe Flajolet montre l’intérêt d’une introduction volontaire de l’aléatoire dans le calcul, dans de nombreuses branches de l’informatique (cryptographie, algorithmique géométrique, optimisation combinatoire, fouille de données, etc.). Il explique la genèse et les fondements de la « combinatoire analytique », dont il est l’inventeur, et qui démontre la fécondité d’une alliance entre méthodes mathématiques adaptées, informatique fondamentale, et la quête d’algorithmes de haute performance.
Entre mathématiques et informatique : l’analyse des algorithmes
Philippe Flajolet
Conférence donnée dans le cadre du Colloquium Jacques Morgenstern à Sophia Antipolis.
Présentation et transparents.
Jusqu’au dix-neuvième siècle, les mathématiques sont de nature largement algorithmique, mais les problèmes de complexité, s’ils sont présents, restent souvent subliminaux. L’avènement de l’informatique pose, dès les années cinquante, de nombreuses questions, dès lors que l’on cherche à comprendre, prédire, et quantifier les performances des algorithmes. Le nouveau domaine de l’analyse d’algorithmes est fondé par Donald Knuth au début des années soixante. Au fil de quelques exemples, cette conférence retrace l’évolution des idées depuis la période des pionniers jusqu’à maintenant. On voit ainsi surgir des domaines mathématiques extraordinaires issus des recherches en informatique. Tous ces domaines illustrent, selon le mot du physicien Eugene Wigner, la « déraisonnable efficacité des mathématiques » dans les sciences, ici, l’informatique.
La déraisonnable efficacité des mathématiques
Gilles Dowek
Conférence donnée dans le cadre du Colloquium Jacques Morgenstern à Sophia Antipolis.
Présentation et vidéo.
Depuis le XVIIe siècle, on s’interroge sur les raisons de l’efficacité des mathématiques comme outil de description de la nature, ou, pour reprendre les mots de Galilée, sur les raisons pour lesquelles « Le Grand Livre de la nature est écrit en langage mathématique ». Beaucoup d’idées reçues sur le sujet sont, au passage, à démythifier.
L’informatique est une science qui offre une nouvelle manière d’aborder cette question en se demandant ce qui est calculable dans un temps fini. C’est un des piliers de l’informatique théorique, la notion de fonction calculable (liée à ce qu’on appelle la « thèse de Church ») qui permet à Gilles Dowek de proposer une réponse possible, finalement époustouflante de simplicité à ce problème philosophique… qui est… ah non, nous préférons vous laisser le découvrir !
C’est aussi un bel exemple de ce que l’informatique, en tant que science, bien au-delà des ordinateurs, permet de comprendre du monde.
Les mathématiques
Benoît Rittaud (Le cavalier bleu, 2008 – collection Idées reçues)
Sur Interstices, nous aimons bien affronter et rectifier les idées reçues. C’est donc avec beaucoup de sympathie que nous avons accueilli l’ouvrage de notre collègue Benoît Rittaud, maître de conférences à l’université Paris 13. D’autant que, parmi la vingtaine d’idées reçues qu’il aborde, plusieurs touchent le domaine des STIC, reflet du rapprochement des notions de preuve et de calcul. Si le chapitre « Avec l’ordinateur, on n’a plus besoin des mathématiciens » a ainsi plus spécifiquement retenu notre attention, l’ensemble des idées, très agréables à lire et accessibles sans aucune connaissance préalable, contribue à faire comprendre l’activité des mathématiciens et leurs motivations. Une mention particulière, peut-être, pour le dernier chapitre. Intitulé « Pour intéresser le public, il faut parler des applications », il invite à une réflexion très actuelle sur une « stratégie de communication » sur les mathématiques, qui pourrait bien concerner d’autres domaines de la recherche scientifique.
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