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    Culture & Société
    Interstices a sélectionné pour vous quelques livres qui, nous l'espérons, vous feront rêver, sourire... et réfléchir.

    Sur la Lune 

    Couverture du livre "Sur la Lune" de Mary Robinette Kowal.Mary Robinette Kowal (Éditions Denoël, collection Lunes d’encre, tome 3 paru en novembre 2022)

    Après vous avoir chaudement recommandés les tomes 1 et 2 « Vers les étoiles » et « Vers Mars » de la série de romans uchroniques écrite par Mary Robinette Kowal, nous continuons l’aventure avec le tome 3 ! Dans ce nouveau volume, la narratrice a changé : notre ancienne héroïne, Elma York, toujours en route vers Mars, effectue son voyage qui doit durer trois ans, et a cédé sa place à Nicole Wargin pour lui succèder dans un univers lunaire.

    Nicole est, tout comme Elma, l’une des premières astronettes. Nous sommes en 1963 et elle a donc beaucoup d’expérience. Elle part en mission afin d’accompagner des colons vers la Lune puisque, faut-il vous le rappeler, un météore est tombé sur la Terre en 1952 et cause un réchauffement climatique majeur, compromettant la survie de l’espèce humaine. Une première implantation extra-terrestre a donc été réalisée sur la Lune, en attendant de savoir si Mars se révèlera hospitalière.

    Mais cette solution extra-terrestre n’est pas du goût de tous ceux et toutes celles qui sont encore sur Terre. Les inondations et les famines se multiplient et leurs victimes voient d’un mauvais œil les budgets faramineux alloués à l’exploration spatiale, alors qu’elles en auraient tellement besoin. Après avoir tenté de se faire entendre, sans résultats tangibles, elles sont passées à l’action violente. Sabotages, taupes, communications sur écoute et tentatives de meurtres : ce tome 3 n’est plus seulement un roman de science-fiction mais un polar.

    « Sur la Lune » repose, moins que les volumes précédents, sur les sciences du numérique et leur histoire. Si on veut trouver un lien — ténu —, sans rien gâcher au suspense, on peut constater que si la cryptographie asymétrique avait été inventée et disponible à l’époque où se situe ce roman, l’intrigue en aurait été tout autre. Cependant, comme les deux tomes précédents, ce troisième opus incorpore des sujets de notre actualité de début du vingt-et-unième siècle, toujours avec la même finesse et sans donner de leçons.

    Une lecture qui, comme celle des précédents tomes, vous mettra la tête dans les étoiles… ou plutôt dans la lune pour ce troisième volume.

    Nathalie Revol

    La fille parfaite

    Nathalie Azoulai (Éditions P.O.L, janvier 2022)

    Une amitié de longue date entre deux filles uniques s’interrompt brutalement suite à la disparition de l’une des protagonistes. Pour celle qui reste commence alors la quête des raisons de cette mystérieuse disparition à travers des indices prémonitoires dans le moindre de ses souvenirs…

    Dans son roman, Nathalie Azoulai déroule l’histoire d’amitié entre ces deux jeunes femmes, aux vies diamétralement opposées bien que si proches au lycée. En effet, toutes les deux ont choisi à l’entrée en seconde l’option C en sciences et non l’option A en lettres. Les pressions familiales exercées sur elles concernant ces choix d’orientation, me semblent bien rendues, faisant ressortir les a priori aussi bien dans la famille de culture littéraire que dans celle de culture scientifique. Au temps des possibles, les lettres et les sciences se disputent l’ambition, mais aussi la curiosité, des impétrantes.

    Tiraillées entre ces deux options, après une initiation commune aux sciences jusqu’au baccalauréat, leurs parcours divergeront par la suite. L’une d’elles se risque à appliquer prestement l’adage « les mathématiques mènent à tout à condition d’en sortir ». Leur culture scientifique commune et leur goût pour la littérature leur permettront de maintenir des contacts au-delà de leurs études tout en appréciant leurs choix de vies souvent opposés.

    J’ai apprécié la faculté de l’auteure à exposer aussi bien pour les littéraires et les scientifiques, les modes de pensée, ainsi que les complexes d’infériorité et de supériorité. Je la trouve toutefois plus à l’aise pour l’option A (littéraire) que pour l’option C (scientifique), notamment lors du dénouement, mais elle y apporte aussi des éléments intéressants. Ce déséquilibre me semble normal car je suspecte qu’elle n’a pas elle-même traversé les portes ouvertes par l’option B (Économique et Social) en seconde, si judicieusement placée entre A et C. Les hommes de leur génération sont avec justesse réduits à la portion congrue à savoir la toile de fond pour des touches d’humour. Ces petites pauses non-éthérées permettent de ne pas trop dévier du sujet principal, à savoir ces regards croisés féminins, et parfois neutres, entre des vies de littéraires et de scientifiques.

    Yvan Le Borgne, titulaire du dernier baccalauréat option C qui avait sûrement déjà bien changé en 10 ans, comme souvent pour cette institution centrale dans la méritocratie française.

    La femme parfaite 

    JP Delaney (Livre de Poche, traduit de l’anglais par Jean Esch, septembre 2021)

    Pour faire face à la disparition de sa femme Abbie, Tim, génial et richissime entrepreneur de la Silicon Valley, a construit un robot réplique de la femme qu’il a aimée, un cobot (ou robot de compagnie), capable d’émotions et d’empathie. L’intelligence artificielle de la nouvelle Abbie, initialisée à partir des souvenirs de la disparue laissés sur les réseaux sociaux par exemple, a des capacités d’apprentissage (non supervisé) extraordinaires et petit à petit, elle reconstruit les émotions et le passé de celle qui a disparu cinq ans plus tôt.
    Mais comment Abbie a-t-elle disparu ? Et quelles sont les motivations de Tim pour avoir créé cette cobot, image parfaite de sa femme : supporter le deuil et garder près de lui celle qu’il aime ?

    Au fil de ce thriller, différentes hypothèses seront avancées et testées. On ne peut s’empêcher de s’interroger et partager ces questionnements : à quoi servent les cobots ? à économiser du personnel en boutique, pour économiser sur les salaires des « vendeuses [qui] coûtaient cher elles aussi, car elles passaient pas mal de temps à se tourner les pouces » ? à adoucir le deuil en rendant la séparation moins brutale, ou au contraire à le nier ?

    Pour ne pas gâcher le plaisir de votre lecture, n’en dévoilons pas plus ! Je vous laisse vous identifier à Abbie la cobot et profiter du suspense qu’elle découvre en même temps que le lecteur ou la lectrice. Ce thriller psychologique est une lecture agréable, pleine de rebondissements, que l’on a du mal à lâcher.

    Sortie au format poche au Livre de Poche en septembre 2021.

    Nathalie Revol

    Vers les étoiles (tome 1), Vers Mars (tome 2)

    Mary Robinette Kowal (Éditions Denoël, collection Lunes d’encre, tome 1 paru en octobre 2020 & tome 2 en octobre 2021)

    Mars 1952, un météore tombe près des côtes de Washington. Elma, pilote expérimentée lors de la Seconde Guerre Mondiale et mathématicienne à la NACA (ancêtre de la NASA), échappe à la catastrophe. Elle réalise très rapidement que cette chute va bientôt entraîner un réchauffement du climat, rendant la Terre inhospitalière dans un délai de quelques dizaines d’années. Grâce à son alerte, un programme spatial international se met en place pour établir des colonies sur la Lune (ce qui fait l’objet du premier tome « Vers les étoiles ») puis sur Mars (dans le tome 2 « Vers Mars »).

    Les deux romans sont écrits à la première personne. Elma nous fait vivre de l’intérieur les avancées réalisées par l’IAC (International Aerospace Coalition) où elle est calculatrice. Elle nous fait partager aussi sa vie personnelle, sa vie de jeune mariée et son couple amoureux et bâti sur une solide compréhension mutuelle, ainsi que l’atmosphère de l’époque avec un antisémitisme encore latent, un racisme et un sexisme avérés. Certes, Elma est plus que brillante, aussi bien comme pilote que comme mathématicienne, mais son humour et plus encore ses doutes et ses failles nous la rendent attachante : on ne lâche pas facilement son récit. Ce roman vise un public adolescent ou jeune adulte, mais on peut le lire avec grand plaisir même à un âge plus avancé !

    Mary Robinette Kowal a veillé à ce que son récit soit scientifiquement plausible, en interrogeant et en faisant relire son roman par différentes personnes travaillant à la NASA. Elle reconnaît avoir cependant pris des libertés avec la réalité historique, en particulier en donnant plus d’importance aux calculatrices humaines qu’au calculateur électromécanique qui, dans le roman, a un comportement un peu caractériel en éructant des cartes perforées, et pour lequel il est prudent de vérifier les résultats. Les personnages d’Elma et de ses collègues calculatrices ont donc une importance capitale. Ces calculatrices humaines sont les héritières directes des calculatrices du livre de Margot Shetterly et du film de Theodore Melfi « Les figures de l’ombre ».

    Nathalie Revol

    Klara et le Soleil

    Kazuo Ishiguro (Gallimard, Collection Du monde entier, août 2021)

    Un coup de cœur !

    L’héroïne et narratrice, Klara, est une AA, une Amie Artificielle, un robot humanoïde de compagnie. Dans le futur proche où se déroule ce roman, un enfant peut avoir un ou une AA personnelle, qui l’accompagne et veille sur lui. Klara est une AA très douée pour l’observation et la compréhension des émotions des humains qui l’entourent. Il lui arrive même d’éprouver des émotions comme la peur ou l’excitation. La jeune adolescente à qui elle tient compagnie est malade et Klara, à sa façon, mettra tout en œuvre pour la sauver.

    On s’attache à ce personnage si empreint d’humanité. L’auteur, Kazuo Ishiguro, a cependant le talent de nous emmener dans la vallée de l’étrange bien connue en robotique, le moment où l’on croit avoir affaire à un humain et où on est dérouté par une réaction non humaine. Par exemple — et sans rien dévoiler d’essentiel —, Klara met sur le même plan, celui de la propriété personnelle, un AA ou un adulte accompagnant un enfant. Toutefois, cette étrangeté n’est ni perturbante ni désagréable, plutôt une sensation délicieuse comme celle d’un bonbon acidulé qui malgré sa douceur agace nos dents. Ce roman nous emmène aussi vers d’autres questions sur notre humanité, sa spécificité et ses limites.

    Futurs lecteurs,
    J’envie votre chance
    De découvrir ce roman.

    Pour en savoir plus sur les relations entre les robots et les humains dans notre monde actuel, et sur la vallée de l’étrange, voir Des robots et des humains.

    Nathalie Revol

    Sauve-la 

    Sylvain Forge (Éditions Le livre de poche, juin 2021)

    Alexis a une vie plutôt rangée : un travail stable, une future femme et un avenir tout tracé, quand il a la surprise de recevoir un message étrange : une reprise de contact de Clara, son premier amour, après 26 ans de silence.

    Sur une application de chat dédiée, il se met à échanger avec elle, qui l’appelle à l’aide pour une mission : sauver sa fille dont elle a perdu la trace. Au fil des échanges, tous sous forme textuelle, la situation
    lui semble de plus en plus étrange. Est-ce bien Clara avec qui il parle ? Pourquoi a-t-elle repris contact après tant d’années ? Pourquoi ne veut-elle pas le rencontrer ? Et pourquoi ne cherche-t-elle pas sa fille
    elle-même ?

    Au travers d’un polar bien rythmé se poseront des questions sur les impacts du développement d’intelligences artificielles sur nos vies. Leurs capacités au premier abord surprenantes, leurs limites aussi lorsqu’un chatbot n’apporte qu’une pâle copie de sa créatrice, et les risques d’addiction qu’ils engendrent. Si une IA était le seul lien qui nous rattache encore à quelqu’un qu’on a aimé, serions-nous prêts à nous en détacher ou risquerions-nous de nous attacher à cet ersatz de bonheur au risque de nous y perdre ?

    Sauve-la de Sylvain Forge, a reçu le « prix du roman Cyber » en 2021 décerné par l’Agora 41, récompensant un ouvrage de fiction traitant de thèmes touchant à l’informatique ou la cybersécurité.

    En bonus, une pertinente liste de lecture établie par l’auteur permet d’approfondir les thèmes, en lien avec le numérique, posés par le roman.

    Marie Duflot-Kremer

    La fabrique des souvenirs

    Clélia Renucci (Albin Michel, août 2021)

    Gabriel achète un souvenir vieux de 70 ans, d’un spectateur de la première représentation de Phèdre en 1942 avec la comédienne Marie Bell dans le rôle titre. En revivant ce souvenir, il tombe amoureux d’une inconnue assise devant lui, de son épaule nue et de sa nuque. Il n’a de cesse de retrouver d’autres souvenirs afin d’en apprendre plus sur elle. L’inconnue s’appelait Oriane Devancière et était une violoniste virtuose.

    Même si j’ai mis un peu de temps à me plonger dans ce roman, je l’ai finalement lu d’une traite, happée par cette histoire d’amitié et d’amour. L’intrigue se déroule à notre époque : un nouveau marché a pris place, le marché des souvenirs d’autrui, que l’on peut acheter et revivre à volonté. Les personnages principaux sont bien campés et attachants, même si certains personnages secondaires comme l’oncle Georges et Adélaïde sont traités avec moins de finesse psychologique. 

    La question du marché des souvenirs qui sous-tend le roman, cette nouvelle application de technologies numériques, m’a beaucoup intéressée. Le roman n’a aucune prétention technologique et ne précise pas comment sont enregistrés les souvenirs (« avec des électrodes sur les tempes » ou, plus modernes, via des « lentilles à souvenirs ») ni comment ils sont stockés (sur puce, de façon immatérielle mais aussi sur cartes perforées car pendant longtemps cette technologie aurait été gardée secrète par l’armée, puis popularisée dans les années 1990). Il ne précise guère non plus par quelles prouesses technologiques les souvenirs sont vécus par leurs acquéreurs : par un casque auditif et visuel, par l’addition de sensations liées au toucher et à l’odorat pour les plus récents.

    En revanche le roman aborde, avec une grande légèreté puisque ce n’est pas le thème central, certains usages mais aussi certaines dérives possibles de cette technologie.
    On y trouve des usages bénéfiques, comme l’anecdotique (mais romanesque) guérison d’une amnésie, en faisant revivre à l’amnésique des souvenirs semblables à ceux qu’il a oubliés.
    Un autre usage thérapeutique concerne le sevrage des addictions : « Pour compenser le manque, il a changé d’addiction. Il s’immerge dans des souvenirs mis en vente par de célèbres toxicomanes, qui lui procurent, je crois, le même type de sensation. », ces sensations pouvant même avoir un effet physique : « Gabriel […] se rendormit, sous l’effet apaisant et sophistiqué des volutes d’opium émanant du souvenir. »
    Plus important, le « devoir de mémoire » est permis de façon efficace par la technologie, comme l’illustre la plongée du héros dans des souvenirs de déportation :
    « Une section entière était réservée à la Seconde Guerre mondiale sur MnemoFlix, qui avait réussi à convaincre les fondations et musées de la déportation de mettre à disposition sur une plateforme dédiée les souvenirs des rescapés.
    […]
    Gabriel ressentait dans sa chair ces injures, dans son dos les impacts des coups de matraque. Il ôta son casque à souvenirs, la douleur était trop vive. Il le remit bien vite, sentant qu’il avait un devoir à accomplir : être à son tour le témoin de cette déportation.
    […]
    Tant qu’il n’avait pas d’image, pas de son, pas d’odeurs associées, tant que c’était simplement inscrit dans un registre du château de Vincennes, entre les tours médiévales, cela relevait de l’Histoire. Désormais, sa mémoire était marquée et cette immersion dans les souvenirs de cette Jacqueline Beraud lui bloquait la respiration. »

    D’autres usages ont moins d’impact sur la société, tels ces « lentilles à souvenirs » que certains portent pour assister, contre rémunération, à des concerts afin de transmettre le spectacle à leurs riches employeurs qui ne prennent plus la peine de se déplacer. Une autre façon de renflouer ses finances est la vente de souvenirs à laquelle s’adonne l’un des personnages, reporter photographe qui a sillonné le monde : « Il met ses souvenirs aux enchères comme les héros d’Eugène Sue leurs chemises à jabot « chez ma tante » ».
    Dans l’industrie du tourisme aussi, les boutiques de « souvenirs » ont modifié leur offre.

    Les usages plus problématiques sont furtivement évoqués au détour d’une phrase (il s’agit d’un roman, faut-il le rappeler, non d’un essai), citons la vente de souvenirs coloniaux : « Une partie de l’histoire de France qui sentait le soufre se négociait dans cette petite salle », le manque de législation concernant les souvenirs des défunts, et surtout l’inexistence de l’application MnemoPorn et avec elle de toutes les implications non mentionnées sur le droit à l’image et à l’intimité, inexistence évacuée via un extrait du règlement de l’unique société capable de gérer l’enregistrement de souvenirs : « MemoryProject se réserve le droit de refuser un souvenir jugé choquant. » La question de l’authenticité des souvenirs est rapidement évacuée elle aussi : « Les maisons de vente aux enchères furent considérées comme un bon canal de distribution et d’échange marchand, les commissaires-priseurs engageant leur réputation pour éviter les faussaires et certifier la qualité des lots. »

    La thématique principale du roman reste le rapport au passé, « cette forme d’idéalisation du passé que revêt notre époque », et la difficulté du personnage principal à s’en détacher pour revenir au présent.

    Ce roman a fait écho en moi à la réflexion de Michel Serres sur l’externalisation de notre mémoire, qui selon lui doit nous conduire à développer de nouvelles formes d’utilisation de notre cerveau, ce qu’il exprimait ainsi : « nous sommes condamnés à devenir inventifs, à devenir intelligents ». Dans « La fabrique des souvenirs », cette externalisation est poussée à l’extrême.

    Nathalie Revol

    Femmes de science. À la rencontre de 14 chercheuses d’hier et d’aujourd’hui

    Annabelle Kremer-Lecointre (préface d’Aurélie Jean, Éditions La Martinière Jeunesse, mars 2021)

    Dans son livre, Annabelle Kremer-Lecointre, professeure agrégée en Science de la Vie et de la Terre, nous dévoile le parcours, les découvertes et le ressenti de 14 femmes scientifiques d’hier et d’aujourd’hui. À travers cette sélection de 14 portraits, le lecteur ou la lectrice pourra se promener des mathématiques à l’informatique en passant par l’entomologie, la chimie, la physique ou l’ethnomusicologie. Le fait de proposer aux jeunes filles, et à tous les autres, des modèles féminins et inspirants pour se projeter dans les sciences est une initiative à souligner et même à encourager. La spécificité de cet ouvrage est qu’Annabelle Kremer-Lecointre a choisi un angle nouveau : rassembler des interviews de ces scientifiques. Original ? Oui, d’autant plus que certaines des interviewées comme Hypatie d’Alexandrie ou Emilie du Châtelet…. ne sont plus de ce monde depuis plusieurs siècles !

    Les interviews, romancées à partir de documents historiques ou réelles, mêlent explications scientifiques accessibles et anecdotes amusantes ou surprenantes. Saviez-vous par exemple qu’au 18e siècle, Angélique Marguerite Boursier du Coudray, une sage-femme, a sillonné la France pour former ses consœurs à l’aide de poupées anatomiques et ce jusqu’à ses 71 ans ? Imaginiez-vous que l’aquarium a été inventé par Jeanne Villepreux-Power, une ancienne couturière qui adorait observer les animaux ?

    Au fil des pages, vous découvrirez les difficultés rencontrées au cours des siècles par certaines de ces femmes pour s’instruire et pour être reconnues en tant que scientifiques. D’Irène Joliot-Curie souvent prise pour l’assistante de son mari à Barbara Mc Clintock, membre de l’Académie Nationale des Sciences mais écartée des postes de recherche, ou encore Rosalind Franklin dont les travaux furent récompensés par un prix Nobel attribué à ses trois collègues masculins, sans mention aucune de ses contributions pourtant majeures.

    De plus, cette lecture vous donnera à voir quelques croyances populaires de l’époque, et les dessous parfois surprenants de certaines découvertes… Que ce soit pour découvrir des parcours étonnants, voir comment la science se fait avec de l’inspiration et de la persévérance, ou faire un voyage historique divertissant, offrez-vous un moment de plaisir scientifique au milieu d’Ada Lovelace, Nalini Anantharaman, Dian Fossey et bien d’autres.

    Marie Duflot-Kremer

    Les décodeuses du numérique

    Léa Castor, Célia Esnoult, Laure Thiébault (CNRS Éditions, 2021)

    Cette BD propose douze portraits de femmes.

    Curieuses, créatives, passionnées par leur métier.

    Baroudeuses, ouvertes aux autres et au monde.

    Exploratrices des interactions avec d’autres disciplines et des applications de leurs travaux.

    Ces douze femmes, de toutes origines, de tous âges, de tous les coins de France, ont un point commun : elles sont informaticiennes.

    Bien loin des lieux communs sur les informaticiennes et les informaticiens,

    Bien loin de la rigueur sans fantaisie, de la froide logique, de la patience et même de l’abnégation que l’on associe souvent aux métiers de l’informatique,

    Ces femmes sont joyeuses, solidaires, engagées : en un mot, vivantes.

    C’est ainsi que les montre cette BD qui donne envie de les rencontrer et de partager leur enthousiasme communicatif.

    Pour cela, rien de plus simple : plongez-vous dans la BD « Les décodeuses du numérique », dessinée par Léa Castor, pilotée par Célia Esnoult et Laure Thiébault et parue aux CNRS Éditions, disponible en version papier ou ici.

    Nathalie Revol

    Les Maths font leur cinéma

    Jérôme Cottanceau (Éditions Dunod, janvier 2021)

    Ce livre n’est pas un ouvrage pour cinéphiles écrit par un critique de cinéma : vous ne trouverez pas de commentaires sur la lumière, les décors, la musique ou le jeu des acteurs. En revanche les scénarios sont passés au crible de la vérité historique. Ce livre n’est pas un manuel de mathématiques : aucune prétention à la progressivité ni à l’exhaustivité des domaines couverts. Les questions évoquées sont parfois accessibles à des collégiennes ou collégiens, et parfois en lien avec la recherche actuelle. Les solutions sont parfois totalement développées et parfois seulement évoquées.

    « Les maths font leur cinéma » est un livre personnel, avec un choix de films guidé par un unique fil rouge : la présence, plus ou moins centrale, de questions mathématiques spécifiques. Pour chaque film choisi, l’auteur fait un arrêt sur image sur une ou plusieurs scènes dans lesquelles apparaît un problème mathématique, comme par exemple celles où l’on peut lire sur un tableau les deux défis du professeur Lambeau, brillamment résolus — ou non, c’est ce que vous découvrirez en lisant ce livre — par le jeune prodige Will Hunting.

    Pour chacune de ces questions mathématiques, Jérôme Cottanceau la replace si besoin dans son contexte historique puis, selon sa difficulté, il nous guide pas à pas jusqu’à sa résolution complète ou bien il nous fait toucher du doigt sa difficulté. Cela explique que les mathématiques abordées soient aussi diverses que la présentation des nombres \(\pi\), ou \(\varphi\) le nombre d’or, ou bien que le problème (ouvert) de l’existence de solutions à l’équation de Navier-Stokes, en passant par la théorie des graphes, la théorie des jeux ou la machine de Turing. La seule ligne directrice de Jérôme Cottanceau, vulgarisateur hors pair en mathématiques, est de nous emmener, comme il sait si bien le faire, à découvrir le plaisir des mathématiques. Si, comme moi, vous vous plongez avec papier, crayon et délices dans une énigme mathématique ou si vous vous offrez une soirée « ciné-club » pour (re)découvrir l’un des films mentionnés ici, alors le pari de l’auteur de ce livre inclassable sera réussi.

    Derrière Jérôme Cottanceau se cache El Ji, une chaîne de vulgarisation en mathématique que nous vous conseillons avec plaisir.

    Nathalie Revol

    Les dés jouent-ils aux dieux ?

    Ian Stewart (Dunod, collection Quai des sciences, septembre 2020)

    Dans ce livre, l’auteur nous invite à une promenade dans ce qu’il appelle les six âges de l’incertitude. Ceux-ci correspondent plus ou moins à une chronologie mais s’entremêlent encore de nos jours. Une première explication des phénomènes étranges a été de croire en des puissances surnaturelles, à des prophéties, à des dieux, etc. Puis la science a progressé et les lois de la physique ont pu expliquer beaucoup de choses, en astronomie par exemple.

    Mais les jeux de hasard résistaient, alors les mathématiciens ont inventé la théorie des probabilités. Un grand pas a été franchi avec la notion de probabilité conditionnelle et avec la fameuse formule de Bayes, utilisée aujourd’hui dans les réseaux bayésiens par exemple. L’invention des statistiques, fondées sur les probabilités, a ouvert la voie de l’analyse des données, provenant d’activités humaines. Ainsi, la démographie, la médecine, la justice, l’économie, etc., sont passées à la loupe des statistiques, avec un afflux de données numériques à l’ère du big data. Ce n’est pas sans risques, car un manque de maîtrise des probabilités et statistiques peut conduire à une mauvaise interprétation des données, avec parfois des conséquences graves. L’auteur nous livre ainsi quelques pièges à éviter.

    Le quatrième âge de l’incertitude marque une rupture. Jusqu’à présent, tout phénomène était perçu comme déterministe. Ainsi, on peut en théorie suivre la trajectoire d’un dé et prévoir le résultat du lancer, à condition de connaître toutes les variables du mouvement. Bien sûr, dans les faits, la trajectoire du dé est compliquée, son arrivée sur le tapis de jeu aussi, donc un modèle probabiliste est tout à fait adapté pour calculer les chances de tomber sur un numéro donné, ou sur une série de numéros lors de plusieurs lancers. Mais les photons de lumière se comportaient parfois comme des particules et parfois comme une onde. Alors est née la théorie quantique, et le principe d’incertitude d’Heisenberg. Il n’était pas possible de déterminer simultanément la position et la vitesse d’une particule. Pour la première fois, des lois physiques étaient probabilistes. La célèbre phrase d’Einstein « les dieux ne jouent pas aux dés » fait part de sa réticence à admettre le caractère aléatoire des particules. Quant aux phénomènes déterministes, ils n’étaient pas si simples que cela.

    Les météorologues savent bien que les conditions météo actuelles influencent grandement la météo future : c’est le fameux effet papillon. Si l’on change d’échelle, en temps et en espace, il reste toutefois possible de prévoir le climat à long terme pour une région assez grande. Les mathématiciens ont approfondi cette sensibilité aux conditions initiales et aux paramètres en créant la théorie du chaos. Ce cinquième âge de l’incertitude contredirait-il le quatrième ? Et si la physique quantique n’était pas si profondément aléatoire que ça ? Si, au contraire, elle était déterministe et pouvait s’expliquer avec des variables cachées et un système dynamique déterministe ?

    Le sixième âge de l’incertitude a hérité de toutes ces théories et est entré dans l’ère du numérique. Il est possible de générer par ordinateur des nombres pseudo-aléatoires, qui ressemblent à s’y méprendre à des nombres tirés au hasard. Ainsi, l’algorithme de Monte-Carlo permet de calculer un volume ou le nombre Pi grâce à des tirages aléatoires. Des algorithmes probabilistes peuvent aider à résoudre des problèmes difficiles. Les modèles de météo introduisent une part d’incertitude dans leurs prévisions. Peu à peu, on apprend à se servir des incertitudes et à rester prudent, notamment dans le domaine de la finance. Bien sûr, on peut toujours croire au complot et imaginer que le tirage du loto est truqué…

    Comédies Françaises

    Éric Reinhardt (Éditions Gallimard, août 2020)

    C’est un roman qui parle de communications. Le héros de ce roman, Dimitri Marguerite, enquête sur la fin abrupte en 1973 des recherches françaises sur le protocole de télécommunications désormais utilisé pour Internet, au profit d’une industrie de commutateurs téléphoniques conçus à partir d’un protocole différent. Ces commutateurs reposent sur l’établissement d’une ligne (virtuelle) entre les deux interlocuteurs, qui sera réservée à la communication, à l’exclusion de toute autre et à la merci d’une interruption. Ce protocole est celui qui sera utilisé par le Minitel.

    Le projet auquel s’intéresse Dimitri Marguerite est le projet Cyclades, mené par Louis Pouzin à l’IRIA (ancêtre d’Inria) : il s’agit d’envoyer le message, les données à communiquer, en les découpant en petits tronçons appelés paquets et en laissant chaque paquet voyager indépendamment sur le réseau. À réception, il faut alors recenser et remettre les paquets dans l’ordre, qui n’est pas nécessairement celui d’arrivée. Ce protocole est complètement développé dans TCP/IP qui est utilisé par Internet. Selon le roman, qui attribue ces paroles à Louis Pouzin, si on compare TCP/IP à ce qui avait été imaginé dans le projet Cyclades, « en réalité, c’est exactement la même chose mais en moins bien ».

    Avec la fin du projet Cyclades, on assiste aussi à la mort dans l’œuf du projet de constructeur informatique européen, le consortium constitué de la CII, Siemens et Thomson. La thèse du roman est que tout ceci est le résultat de manœuvres dans l’ombre d’un grand industriel français, soucieux de protéger son monopole florissant sur les commutateurs téléphoniques. Dimitri Marguerite, reporter à l’Agence France Presse (AFP) au moment où se situe le roman, s’est donné pour mission de faire la lumière sur cette histoire, à défaut de pouvoir réhabiliter l’avance française dans ce domaine. Dans le roman, le héros va s’entretenir avec Louis Pouzin qui lui explique les grandes lignes de ce protocole et le contexte scientifique de l’époque, et avec Maurice Allègre qui a tenté de protéger ce projet et de déjouer les manigances politiques.

    N’étant pas historienne des sciences, je ne suis pas en mesure d’attester la véracité du récit. Mais je me suis bien volontiers laissée emporter par cette description des débuts de l’informatique en France. Je me suis aussi laissée subjuguer par le style, luxuriant, par les digressions, qui forment de petits romans dans le roman, et par les aventures intérieures du héros.

    Le titre du roman, « Comédies françaises » au pluriel, fait référence aux histoires du héros et des débuts de l’informatique française, peut-être aussi à ces nouvelles enchâssées dans le récit principal. La comédie, mal inspirée, qui a consisté à mettre des bâtons dans les roues de l’informatique française jusqu’à la faire chuter irrémédiablement, se surimpose à la comédie qu’est la vie du héros, Dimitri Marguerite. Elle ne prend son ampleur que dans la seconde moitié du roman. La première partie campe le personnage, auquel on ne peut s’empêcher de trouver de plus en plus de traits de caractère communs avec le grand industriel qu’il pourfend…

    Un roman épais et touffu, un style comme une jungle enchevêtrée, un héros très moderne, une histoire de la recherche française pas si ancienne, le tout forme un cocktail très appréciable. « Comédies françaises », paru en août 2020, a reçu le prix du roman français des Inrockuptibles.

    Pour en savoir plus :
    Tout d’abord, un éclairage en deux épisodes assez détaillé et un peu différent par l’historienne Valérie Schafer, à lire sur Interstices : D’une informatique centralisée aux réseaux généraux : le tournant des années 1970 puis L’Europe des réseaux dans les années 1970, entre coopérations et rivalités

    Et aussi :

    1. Un entretien avec Louis Pouzin : Louis Pouzin, la tête dans les réseaux
    2. La célébration des 50 ans d’Arpanet : Au cœur de la première connexion française à l’ARPAnet
    3. Un survol historique : Une brève histoire des réseaux de télécommunications
    4. Une courte définition de ce qu’est Internet, à la lettre I : L’informatique de A à Z
    5. Une présentation de Vinton Cerf, l’un des inventeurs de TCP/IP, dans le jeu des 7 familles de l’informatique : Famille « Systèmes & réseaux »

    Nathalie Revol

    La clé USB

    Jean-Philippe Toussaint (Éditions de Minuit, sept. 2019)

    L’informatique est la toile de fond du roman de Jean-Philippe Toussaint, « La clé USB ». Le héros, Jean Detrez, travaille pour la Commission européenne et s’intéresse notamment aux utilisations de la blockchain, autres que le bitcoin, et à son développement dans le cadre européen. Il est approché par des lobbyistes qui aimeraient favoriser une implantation de mines (c’est-à-dire de centres effectuant les lourds calculs nécessaires pour valider les transactions enregistrées dans la blockchain) chez leurs clients en Europe de l’Est et l’achat de matériel informatique auprès de leur partenaire chinois. Lors d’une rencontre, ces lobbyistes oublient – fortuitement ou opportunément ? – une clé USB, celle qui donne son titre au roman. Notre héros la récupère et l’examine.
    Il découvre alors que le matériel proposé par les lobbyistes est à dessein équipé d’une porte dérobée (ou backdoor en anglais), qui permettrait alors à son vendeur indélicat d’en prendre le contrôle à distance et d’en récupérer discrètement les informations, telles qu’un résultat de minage pour le monétiser à son profit. Intrigué, il décide d’enquêter, seul et sans en référer à quiconque, et part en Chine rendre visite au vendeur de matériel et à l’une de ses mines.

    Même si le passage où, suite à un rapide examen du code, Jean Detrez qui n’est pourtant pas un expert en informatique détecte la présence d’une backdoor paraît peu réaliste, on pardonnera cette invraisemblance puisque le reste du roman entre peu dans les détails techniques mais suffisamment pour être plausible. J’ai en effet apprécié de trouver une évocation de la blockchain et de quelques-uns de ses enjeux, par exemple la maîtrise par l’Europe de sa propre technologie blockchain, puisque « à terme, c’est la gestion de nos ressources, de notre santé, de notre sécurité qui pourrait être administrée par la technologie blockchain» D’autres applications possibles sont mentionnées avec plus ou moins de détails : après l’exemple de la société Everledger, sont cités pêle-mêle les brevets, les contrats intelligents ou le vote électronique. Ce roman n’est naturellement pas une introduction à la blockchain, cependant l’auteur s’est suffisamment renseigné pour émailler le texte de considérations pertinentes sur le sujet. En revanche j’ai été moins touchée par les tribulations du personnage principal, qui a du mal à exprimer et à manifester ses émotions, à tel point que le nouveau roman dont il est le héros, paru en septembre 2020 (et sans aucun lien avec l’informatique) s’appelle d’ailleurs « Les Émotions »… mais c’est une autre histoire.

    Pour le plaisir des mots, je vous laisse avec la définition que donne Jean-Philippe Toussaint d’une backdoor : « je réfléchissais au sens du mot « backdoor », qui voulait dire littéralement « porte de derrière », mais qu’on traduisait parfois en français (quand on n’utilisait pas tout simplement, en français, le mot backdoor) par « porte dérobée ». J’aimais beaucoup cette métaphore d’une porte dérobée, qui évoquait une scène galante, avec un visiteur invisible qui vient d’entrer ou de sortir, ou faisait penser à ces escaliers ou corridors dérobés, qui ouvrent l’imaginaire à des représentations chevaleresques. Mais, alors que l’expression « porte dérobée » pouvait avoir des connotations poétiques et gracieuses, la réalité qu’elle recouvrait aujourd’hui, en sécurité informatique, était beaucoup plus vénéneuse, qui définissait la backdoor comme un moyen d’accès non autorisé, dissimulé dans un programme, pour permettre à un ou plusieurs individus malfaisants de prendre totalement ou partiellement le contrôle d’une machine à l’insu de son utilisateur légitime. »

    Pour en savoir plus sur la blockchain, je vous renvoie à la page de décembre 2020 du calendrier mathématique que nous vous avons présenté ici et au podcast d’Emmanuelle Anceaume. Pour connaître le lien entre la blockchain et la monnaie bitcoin, je vous renvoie à cet article de Rémi Chrétien et Stéphanie Delaune et à cette discussion plus récente de Jean-Paul Delahaye.

    Nathalie Revol

    Comme un empire dans un empire

    Alice Zeniter (Éditions Flammarion, août 2020)

    Dans le roman d’Alice Zeniter  « Comme un empire dans un empire », l’informatique ne joue pas un rôle à part entière, mais l’un des deux personnages principaux est un hacker, ou plus précisément une hackeuse. Elle se fait appeler L. L’autre personnage principal s’appelle Antoine et est assistant parlementaire. Un jour, Antoine et L vont se rencontrer, mais le roman commence par tresser leurs deux histoires, leurs deux envies d’agir pour aller vers un monde meilleur, les deux voies qu’ils ont choisies à la mesure de leurs moyens et de leurs compétences.
    Le personnage de L est celui qui a le plus retenu mon attention : comme moi elle est informaticienne… mais la ressemblance s’arrête là ! L est surtout hackeuse, avec tous les stéréotypes attachés à ces derniers : outre son jargon impénétrable justement traduit par Alice Zeniter, ses centres d’intérêt très spécifiques comme la classification des trolls, sa formation acquise sur le tas, L est « inadaptée » à la vie normale et à la vie en société : « Ils mangeaient comme ils dormaient, de manière subite et excessive quand ils n’arrivaient plus à ignorer l’un ou l’autre besoin… »

    Même si L n’est pas une hackeuse classique, il fallait bien conserver certains attributs des hackers pour qu’elle soit crédible. L ne correspond pas totalement à l’image que l’on peut se faire du hacker : tout d’abord, c’est une femme ; et surtout, elle a pour objectif de faire le bien, dans la lignée des Jeremy Hammond ou, pour citer des noms plus connus, Julian Assange ou Edward Snowden. À une moindre échelle, L travaille à libérer les femmes de son entourage de la cybersurveillance qu’exercent sur elles, le plus souvent, des hommes jaloux, violents et à la volonté de contrôle exacerbée.
    Oui, L est une hackeuse attachante, avec ses failles et ses faiblesses, ses côtés parfois incompréhensibles, mais elle est tellement fragile, tellement humaine, qu’on se laisse embarquer par son histoire.

    Certes, on ne deviendra pas hacker à la lecture de ce roman, et sans doute que des pans entiers du monde « du dedans » comme l’appelle L nous resteront hermétiques, mais on regardera d’un œil différent ces hackers et leurs actions.

    Nathalie Revol

    1984

    George Orwell,  nouvelle traduction de l’anglais par Josée Kamoun (Collection Du monde entier, Éditions Gallimard, mai 2018)

    Les grandes vacances approchent, et avec elles, la perspective de s’abandonner à quelques moments d’oisiveté. Se pose alors la question du livre à mettre dans sa besace pour s’allonger sous un coin d’ombre et enfin déconnecter. Apprendre à ralentir, prendre le temps en somme ! Nous vous invitons ici à consacrer un peu de votre temps à un roman d’anticipation un peu ancien, qui s’offre une nouvelle traduction, près de 70 ans après sa première publication : 1984.

    Le roman de George Orwell ayant été publié en 1949, sa première version française a été disponible dès 1950. Ce livre dresse le portrait d’une société totalitaire dans laquelle le travail n’a plus de sens et dans laquelle la liberté a quasiment disparu. Vu depuis le milieu du XXe siècle et au sortir de la seconde guerre mondiale, le texte d’Orwell a longtemps été considéré comme un pamphlet politique. C’est à lui qu’on doit notamment des expressions désormais consacrées comme « Big Brother is watching you » ou encore le terme de « novlangue ».

    La nouvelle traductrice de l’ouvrage, Josée Kamoun, en propose une adaptation inédite et donc un nouveau point de vue. Cette version est évidemment d’autant plus facile d’accès pour nous lecteurs contemporains. Comme dans toute traduction, des choix ont été faits suscitant bon nombre de commentaires. Si le personnage Big Brother ne change pas de nom, on y trouve le « néoparler » plutôt que la « novlangue ». Cette distinction terminologique est finalement d’une grande importance. Il s’agit ici de mettre en regard une langue technocratique, désincarnée et vide de sens avec la langue littéraire qui redonne corps dans la seconde partie du roman au réel. Les aspects charnels, tant dans la relation amoureuse que dans les scènes de torture, contrastent d’autant plus fortement avec la société de la surveillance généralisée, dénoncée dans le roman.

    Dans son livre, George Orwell posait la question de la langue qui est à la fois le meilleur moyen de se libérer quand elle permet de décrire précisément et avec sens le monde, mais également l’arme de l’oppression quand elle réduit le champ de la pensée et d’être des individus.

    Dans une société d’ultraconnexion et d’ultracommunication, (re)lire 1984 permet de s’interroger sur le sens que l’on accorde aux mots et donc à la langue. Cela nous interpelle également sur le type de relations que nous souhaitons entretenir avec autrui, et au travers de quels outils. Les sciences du numérique se retrouvent face aux mêmes questions, presque 70 ans plus tard.
     Et quand c’est fait de manière magistrale, glaçante et visionnaire, il serait dommage de passer à côté !

    Maxime Amblard

    Le bot qui murmurait à l’oreille de la vieille dame et autres nouvelles numériques

    Serge Abiteboul (Éditions Le Pommier 2018)

    Dans ce petit livre, au titre enchanteur, Serge Abiteboul alterne des chroniques sur des sujets actuels en lien avec le monde numérique (dont certaines sont déjà parues dans Le Monde économique ou La Recherche par exemple) et des nouvelles qui introduisent le sujet de manière vivante, en recréant des situations que l’auteur imagine pouvoir se produire dans un futur plus ou moins proche.

    Par exemple, une greffe de cerveau pour traiter un malade atteint d’Alzheimer lui permet d’introduire la différence entre l’intelligence artificielle et l’intelligence naturelle. Une course poursuite entre des braqueurs et des flics, robots ou humains, à vous de lire, dans des voitures suréquipées illustre le chapitre sur les véhicules autonomes. Une journée à occuper lorsque le travail ne sera plus qu’une affaire de robots soulève l’épineuse question de la fin du travail…

    Les chroniques sont écrites de manière claire, sans jargon, et ne nécessitent aucune connaissance technique. Les nouvelles, rédigées sous la forme de dialogues pour la plupart, sont émaillées d’expressions populaires, de références à des livres et à des chansons célèbres. Ces chroniques et nouvelles de deux, trois pages maximum se lisent rapidement et peuvent ainsi être picorées, mais de préférence deux par deux !

    Ce livre insolite nous projette dans un futur où le numérique sera(it) omniprésent pour ne pas dire envahissant. Il mêle la science et la fiction d’un expert reconnu sur les sujets traités. Facile à lire et intéressant pour un large public, il remplit sa mission de donner à réfléchir sur les enjeux du numérique dans notre vie.

    Marie-Odile Cordier

    Homo Deus

    Yuval Noah Harari (Traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat, Éditeur Albin Michel, 2017)

    Couverture du livre Homo Deus de Yuval Noah Harari.Dans son livre Homo Deus, Yuval Noah Harari nous propose une réflexion sur l’avenir de l’humanité, basée sur le présent mais aussi notre histoire. Selon lui, les priorités que l’humanité est parvenue à gérer jusqu’à présent, guerres, famines et maladies, ne sont plus d’actualité. Les guerres civiles, à défaut de disparaître complètement, sont moins nombreuses, les causes de mortalité sont plus souvent liées à l’excès de sucre dans les pays industrialisés qu’à des problèmes de malnutrition, les décès sont plus fréquemment dus à la vieillesse qu’aux maladies infectieuses.
    Le reste du livre se focalise ensuite sur une question : quelles sont les nouvelles priorités de l’humanité ? Et cette interrogation en soulève naturellement d’autres… Que doivent apprendre nos enfants à l’école aujourd’hui pour mieux se préparer ? Quel sera le marché de l’emploi de demain ? Comment s’adapter ? Harari lance ainsi un vaste débat sur ces thèmes en exposant divers éléments de l’histoire et des anecdotes intéressantes mais sans vraiment y répondre. Il démontre qu’au cours du temps, notre capacité à résoudre des problèmes cognitifs a toujours été guidée par notre aptitude à ressentir des émotions (souffrir, aimer, s’énerver, etc.). Autrement dit, l’intelligence appartient seulement aux êtres conscients.
    Pourquoi parler de ce livre ? Où sont les sciences du numérique dans tout ça ? La capacité des machines à résoudre des problèmes cognitifs est a priori dénuée de toute empathie humaine. L’intelligence artificielle n’a pas besoin de conscience. Mais quelles seraient les conséquences pour l’humanité si un jour des algorithmes informatiques avaient le pouvoir de prendre des décisions importantes, voire fondamentales, sans que ces prises de décision ne soient accompagnées d’une conscience ? Ne vous trompez pas, il ne s’agit pas d’un livre de science-fiction mais d’une invitation provocatrice à réfléchir sur un futur possible de la technologie. En bref, un livre à lire sans modération.

    Tamara Rezk

    Un logique nommé Joe

    Murray Leinster, 1946 (Édition française, le passager clandestin, 2016)LV logique-Joe

    Dans un futur non précisé, on utilise des appareils appelés « logiques », dotés d’un écran et d’un clavier connectés à des « réservoirs » eux-mêmes connectés entre eux pour regarder la télévision, lire les nouvelles, consulter la météo, etc.  C’est somme toute assez banal aujourd’hui. Mais le livre dont nous parlons a été écrit bien avant que les termes « intelligence artificielle » et « algorithme » n’entrent dans le discours politique avec Uber et Google. Avant le Web, avant Internet, avant les grandes promesses de l’IA naissante, avant le test de Turing, avant les ordinateurs de Von Neumann et autres… Cela précède de peu les premières œuvres d’Asimov (ex. Les Robots, 1950) et c’est contemporain du Memex (1945) de Vannevar Bush.
    Ce petit livre de 40 pages décrit une utopie devenue notre quotidien, et explore la faille à laquelle on pense tous : la prise d’autonomie d’un algorithme déviant. Un jour, un « logique » souffrant d’un défaut de fabrication qui lui fait perdre les inhibitions prévues par le concepteur se met à répondre froidement à des demandes comme « Comment devenir riche ? », « Comment se débarrasser de son conjoint ? »… C’est simple et direct comme du Asimov, en légèrement plus incarné. En ces temps où l’on entend également beaucoup parler d’égalité femmes-hommes, on remarquera aussi que là où Asimov nous montre des rôles de chercheuses, de professeures, et d’ingénieures, Leinster ne nous présente que des rôles d’épouses et de maîtresses.

    Olivier Ridoux

    Millenium 4 – Ce qui ne me tue pas

    David Lagercrantz (Éditions Actes Sud 2015) 

    Ce roman policier suédois de David Lagercrantz, fait suite à la série des trois premiers tomes de Millenium, écrite par Stieg Larsson, décédé en 2004. L’auteur ne s’en cache pas puisque l’on trouve en exergue « D’après les personnages créés par Stieg Larsson (1954-2004) ». On retrouve donc dans ce thriller les personnages qui ont fait le succès de la trilogie, en particulier Mikael Blomkvist, journaliste d’investigation, et Lisbeth Salander en hackeuse géniale et hors norme. Le lecteur est très vite suspendu à l’histoire – malgré un début qui m’a semblé un peu lourd, peut-être l’écriture ? – et lâche ensuite difficilement l’intrigue passionnante et bien menée. 

    Mais pourquoi parler de ce livre dans Interstices ? La quatrième de couverture parle d’intelligence artificielle, est-ce suffisant ? Certes, l’élément déclencheur de ce roman est le décès d’un chercheur, hors norme lui aussi, qui a dédié sa vie à l’intelligence artificielle et à la réalisation d’une intelligence supérieure. Il y est présenté comme « spécialiste mondial du concept hypothétique de la singularité technologique, état où l’intelligence des ordinateurs surpassera la nôtre ». Mais cette accroche médiatique est peu développée, et il ne faut pas s’attendre à des informations un tant soit peu approfondies sur ce thème. Il y est aussi beaucoup question de protection des données, d’intrusions par des puissances à visée néfaste, de hackers et hackeuses capables de déjouer les mécanismes de sécurité les plus sophistiqués. Cependant, le lecteur n’apprendra pas grand-chose non plus sur ces sujets, à moins qu’il n’ignore les risques potentiels si des données tombent dans les mains des mafias les plus diverses, ou dans celles des organismes nationaux de surveillance de type NSA. Le livre aborde également les notions de crypto, d’algorithme de chiffrement de type RSA, et de factorisation des nombres premiers, et c’est peut-être là l’aspect technique informatique le plus développé, mais cela reste bien superficiel et au service avant tout de l’intrigue… Complété par un zeste de syndrome d’Asperger, d’enfant surdoué, de relations familiales tordues, tous les ingrédients sont bel et bien là pour nous accrocher et nous tenir en haleine. Oublions donc l’aspect sciences du numérique, et dégustons sans modération ce nouvel épisode de la saga !

    Marie-Odile Cordier

    Le dernier fado de l’androïde

    Hugues Bersini (Éditions Le Pommier 2013)

    Ce petit livre regroupe six nouvelles à la fois amusantes et inquiétantes sur ce que pourrait être notre futur proche. Nos vies pourraient être envahies par l’informatique pour le meilleur… et pour le pire, grâce aux avancées technologiques et scientifiques. Celles-ci permettraient de construire des robots compagnons de plus en plus intelligents, et des réseaux neuronaux capables de percer les mystères de la musique, voire du sentiment amoureux.

    La première nouvelle (à l’origine du titre du livre) use d’un ton assez différent, un peu plus noir, que les autres qui sont plus légères. Émaillée d’extraits de textes du poète Fernando Pessoa sur la vie, la conscience et la mort, elle aborde des questions philosophiques, sur fond de robotique.

    Au travers de ces nouvelles à suspense, Hugues Bersini aborde avec brio plusieurs questions d’actualité qui font débat dans nos sociétés modernes. Et il réussit la prouesse d’expliquer au travers de ces histoires très humaines les dessous « algorithmiques » des avancées les plus récentes en apprentissage automatique et en robotique, en soulignant de façon amusante leurs dérives potentielles.

    Marie-Christine Rousset

    La déesse des petites victoires

    Yannick Grannec (Éditions Anne Carrière 2012)

    Dans ce roman, deux récits s’articulent de manière astucieuse. L’un, chapitres impairs, se déroule à Princeton, dans les années quatre-vingts, et dépeint la rencontre et l’apprivoisement de deux femmes : Anna, jeune documentaliste, chargée de récupérer le Nachlass du brillant scientifique Kurt Gödel auprès de sa veuve, Adèle Gödel. Celle-ci, en fin de vie dans une maison de retraite, est de caractère difficile, mais cherche une oreille à l’écoute de l’histoire de sa vie. Le second récit, chapitres pairs, raconte l’histoire sur 50 ans de ce compagnonnage d’Adèle et de Kurt.

    Tranche de vie de ce mathématicien de légende, marquée par des fulgurances scientifiques, mais aussi par cette folie omniprésente qui, sous le couvert d’une maniaquerie extrême et d’une dépression chronique, l’envahit complètement et rythme le quotidien de son couple. Histoire d’un couple aussi, aux prises avec la famille, le milieu social, la politique, la maladie, la folie…  Adèle y est « la déesse des petites victoires » de la vie au quotidien, amoureuse et accompagnant au jour le jour son mari, savant génial mais fou, dont la tête est tellement prise par ses idées et ses obsessions qu’il en devient invivable.

    Grande fresque du XXe siècle, si l’on s’en réfère à la quatrième de couverture, avec les tribulations de ce couple au fil des ans, qui sont autant de titres de chapitres : 1928, date de leur rencontre dans un bar de nuit, dans une Vienne rayonnant de ses intellectuels et de ses artistes ; 1930 avec la montée du nazisme, qui provoque la fuite progressive de cette élite et les laisse seuls, aux prises avec l’antisémitisme et le fascisme, jusqu’à ce qu’en 1940, les Gödel décident de s’enfuir eux aussi vers Princeton, temple de l’élite scientifique dans les années de guerre et d’après-guerre. Là, se côtoient Gödel et Einstein, dont les promenades à pied journalières sont connues, mais aussi Morgenstern, Von Neumann, Pauli, Oppenheimer… Puis les années cinquante aux États-Unis, celles du maccarthysme et d’Edgar Hoover, la guerre froide, la surenchère nucléaire, mais aussi les débuts du jazz… Après la mort d’Einstein en 1955, l’enfermement de Gödel dans sa folie au quotidien s’accentue, jusqu’en 1978, où il meurt dans un état de délabrement physique et psychique avancé.

    Grande histoire des sciences, où s’imbriquent mathématiques, physique et informatique ; où les idées et les découvertes foisonnent dans ce lieu mythique qu’est Princeton. À noter, les contributions les plus marquantes de Gödel, telles que le théorème d’incomplétude, datent de ses débuts à Vienne alors qu’il était jeune universitaire, et qu’il venait de rencontrer Adèle. On suit l’évolution de ses recherches et on se régale des détails sur leur mode de vie à Princeton, avec de grands moments scientifiques certes, mais aussi les petites histoires du quotidien. Et cela fait écho au passage dans les mêmes lieux du mathématicien Cédric Villani, qu’il évoque dans son livre Théorème vivant.

    Tout cela est séduisant et on reste pendu à ce livre, même si la fin est moins vive que le début, et qu’elle est alourdie par quelques longueurs, telles que l’aventure d’Anna et d’un médaillé Fields, ou la digression sur la cryptanalyse, directement sortie du livre de Simon Singh sur les codes secrets (cité par l’auteur…). Occasions de vulgarisation scientifique, qui passent très bien lorsqu’elles sont motivées par le sujet du livre, Gödel et les siens, mais qui, lorsqu’elles sont gratuites, se révèlent un procédé littéraire.

    Mais j’ai aimé ce livre, cet entrelacement des trajectoires, ces anecdotes de vie au cœur de la grande Histoire, cette vision rapprochée au quotidien des grands hommes de science (peu de femmes dans ce livre centré sur les années trente à soixante…) de cette époque passionnante. Sa lecture, après celle du livre de Cédric Villani, est un clin d’œil entre ces deux périodes à Princeton, et c’est un plus, je conseille la lecture des deux !

    Marie-Odile Cordier

    PS : Ne me demandez pas pourquoi un flamant rose flanqué de deux accolades sur la couverture, il y a bien un flamant rose dans le livre, mais les accolades, je ne vois pas, et suis curieuse de le savoir…

    Flatland

    Edwin A. Abbott (1884)

     

    Version anglaise : Dover Publications, 1992
    Version française en téléchargement gratuit.

    La société de Flatland est extrêmement stratifiée. Contraints de se déplacer dans le plan qu’est leur monde, les individus y sont considérés en fonction du nombre de côtés que leur figure comporte. À un extrême se trouvent ainsi les cercles, dont le nombre de côtés est infini, à l’autre… les femmes, réduites à de simples segments de droite, et de ce fait particulièrement dangereuses lors de leurs déplacements. Le ton est donné. Dans cette société rigide et répressive, évolue Carré, le narrateur. Féru de géométrie, il explore par la pensée un monde unidimensionnel, Lineland, puis sans dimension, Pointland, avant de se voir révéler l’existence d’une dimension supplémentaire par l’incursion d’une sphère dans sa maison pentagonale. Mais malheur à ceux qui voient plus loin que leurs semblables…

    Un texte délectable, écrit en 1884, source d’interprétations multiples, qui conduira peut-être ses lecteurs, selon les termes mêmes de la préface, à élever « leurs aspirations vers les secrets de la quatrième, de la cinquième ou même de la sixième dimensions, contribuant ainsi au développement de l’imagination […] ». Tâche ardue à laquelle vous pourrez immédiatement vous essayer à l’aide de l’ouvrage Visualiser la quatrième dimension de François Lo Jacomo (Éditions Vuibert).

    L’assassin des échecs et autres fictions mathématiques

    Benoît Rittaud (Le Pommier 2009)

    Comme chacun sait, un orthocipède est un vélo à roues carrées… Un vélo que seuls les mathématiciens savent faire rouler sans heurts, à condition, il est vrai, de disposer d’une piste bien particulière ! Les algorithmiciens, eux, s’appuient sur des considérations de topologie élémentaire pour trouver un chemin qui mène de façon systématique hors d’un labyrinthe, aussi compliqué soit-il. Quant aux générateurs de nombres aléatoires, leurs défauts sont susceptibles de se révéler tardivement. Voici quelques-unes des considérations qui servent de prétextes à autant de petites histoires, prolongées par les explications techniques requises.

    Et l’assassin des échecs dans tout cela ? Un jeu de mots sur la solution d’une enquête policière qui se poursuit par une présentation du théorème de Zermelo et von Neumann en théorie des jeux. Au total, douze histoires courtes pour accompagner le lecteur vers la découverte de quelques concepts de mathématiques et d’informatique, et le convaincre de leur omniprésence dans la vie quotidienne.

    François Rechenmann

    De l’origine des mathématiques

    Clémence Gandillot (Éditions MeMo 2008)

     

    Ce petit ouvrage, loin des normes de la bande dessinée classique associe des dessins et des phrases très simples en apparence, pour nous offrir une origine métaphorique, vraiment originale et délicieusement délirante, de quelques pépites mathématiques enseignées à l’école ou au collège. La définition mathématique y devient poésie, jeu de mot ou trait d’humour.

    Mieux encore ! La métaphore proposée est immédiatement contestable. Ainsi, un jeune spectateur de l’univers théâtral inspiré de cet ouvrage, ou d’un film d’animation qui en est issu, protestera contre le fait d’exprimer par une soustraction de la maman à elle-même l’arrivée du bébé. Mais si un enfant en arrive à cette complexe interrogation, c’est bien que le système a fonctionné, que les mots ont été trouvés pour le dire et que l’esprit critique est bien invité à se développer. La pensée, dans sa phase féconde de découverte, est désordonnée, la démarche que ce livre invite à partager en constitue par elle-même une preuve.

    Pour en avoir un aperçu, nous vous proposons de télécharger l’avant-propos et l’un des chapitres en PDF.

    Le problème de Turing

    Harry Harrison et Marvin Minsky (Livre de Poche 1998, traduction de : The Turing Option (1992))

    Ce livre est un technothriller exceptionnel à plusieurs titres. C’est d’abord un texte écrit à quatre mains par un écrivain renommé et le chercheur américain le plus connu dans le domaine de l’intelligence artificielle. C’est aussi un conte philosophique qui nous propose de réfléchir au fait que, si un médecin remplaçait l’un des neurones de notre cerveau par un circuit électronique totalement identique, nous resterions évidemment nous-mêmes, s’il continuait avec un deuxième neurone, sûrement aussi. Mais après le remplacement de 10, 1000, 100 000 neurones, serions-nous encore nous-mêmes ? Ou devenus une intelligence artificielle ? Les auteurs nous font découvrir leur solution de fiction. Ou plus précisément de science-fiction, telle que nous pouvions la concevoir il y a quinze ans.

    Ce qui est troublant, c’est que la science-fiction d’il y a quinze ans rejoint la réalité d’aujourd’hui, avec des premiers travaux en neuroélectronique montrant une jonction possible entre les neurones du cerveau et des puces en silicium. Même si ces premières expériences sont très limitées et ne concernent que des animaux, elles ouvrent la boite de Pandore de l’Homme bionique et d’une intelligence artificielle incarnée.

    Le théorème du perroquet

    Denis Guedj (Seuil 2000)

    Du même auteur, vous pouvez lire également Les Cheveux de Bérénice, Les mathématiques expliquées à mes filles, ainsi que Zéro (voir ci-dessous).Un vieux libraire aidé de deux adolescents, de leur mère, d’un voisin et d’un perroquet enquête sur les circonstances étranges de la mort d’un vieil ami en Amazonie. Cette enquête est alors l’occasion d’une plongée pleine d’humour et de rebondissements dans l’histoire des mathématiques. Ce livre se lit très agréablement et présente de manière simple et récréative le monde des mathématiques.

    Les mathématiques expliquées à mes filles

    Denis Guedj (Seuil 2008)

    Une jeune fille, qui se déclare nulle en maths, dialogue avec son père. Les maths seraient nulles (eh oui, le zéro a un rôle fondamental en maths, voir le livre Zéro du même auteur), inutiles, voire violentes. Il est vrai qu’il faut apprendre le langage des maths, qu’il faut respecter une certaine rigueur, que la vérité mathématique est intraitable. Mais parfois, on peut voir une certaine beauté dans une démonstration. Un mathématicien est comme un chef cuisinier, il se sert des ingrédients et de son imagination pour concocter de petits plats. Alors, avant de détester les maths, il faut y goûter ! Le livre est ainsi prétexte à explorer l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie, l’analyse, la logique, autant de mots qui font rêver (ou cauchemarder !).

    Jocelyne Erhel

    Zéro

    Denis Guedj (Pocket 2007)

    C’est cette épopée, qui s’étale sur plus de trois millénaires, que conte Denis Guedj en mettant en scène de façon récurrente une jeune femme, Aémer, dans plusieurs époques successives. Un roman historique donc, qui nous rappelle que faire simple et puissant peut demander beaucoup de temps.L’écriture positionnelle des nombres nous est tellement familière que nous en venons à oublier la puissance et la facilité de mise en œuvre qu’elle apporte aux calculs arithmétiques. S’il fallait encore se convaincre de ses qualités, il suffirait d’essayer d’additionner d’une part 365 et 651 et d’autre part CCCLXV et DCLI, leurs équivalents en chiffres romains… Il nous est aujourd’hui naturel d’interpréter 3805 comme 3 × 1000 8 × 100 0 × 10 5, mais le chemin a été très long pour parvenir à ce niveau d’abstraction dans l’écriture des nombres. Une rupture majeure a été l’invention du zéro pour marquer l’absence de milliers, de centaines, de dizaines ou d’unités, ou plus généralement, avec nos termes actuels, l’absence d’une puissance de 10 (puisque telle est la base habituelle), et de la prendre en compte dans les opérations.

    Le dernier théorème de Fermat

    Simon Singh (Hachette 1999)

    Trois siècles et demi d’efforts donc, contés par Simon Singh en mêlant harmonieusement éléments mathématiques, magistralement rendus accessibles, biographies et anecdotes. On y rencontre nombre de mathématiciens et… une mathématicienne, Sophie Germain, contrainte de signer ses contributions « Monsieur Le Blanc » pour les faire accepter. Au-delà de sa lecture captivante, le livre de Simon Singh parvient à faire saisir l’extrême diversité des mathématiques et simultanément leur troublante unité.« L’équation xn + yn = zn n’admet pas de solutions entières non nulles pour n > 2 ». Tel est l’énoncé, particulièrement simple et accessible, d’une conjecture avancée par le français Pierre de Fermat vers 1640. Appelé « théorème de Fermat », parce que son auteur affirmait disposer d’une démonstration, qui selon lui ne tenait malheureusement pas dans la marge de l’ouvrage de Diophante qu’il était en train d’annoter, sa démonstration n’a finalement été obtenue qu’en 1995 par Andrew Wiles ; elle remplit une centaine de pages et fait appel à des mathématiques nouvelles.

    Oncle Petros et la conjecture de Goldbach

    Apostolos Doxiadis (Seuil 2004)

    Petros Papachristos a-t-il vraiment abandonné la quête de sa vie, la démonstration de la conjecture de Goldbach, après sa rencontre fortuite avec un jeune étudiant de licence de Cambridge, Alan Turing, qui l’informe des travaux de Kurt Gödel sur l’incomplétude des mathématiques ? Ou bien n’a-t-il trouvé là que le bon prétexte pour arrêter ses recherches dévorantes et se consacrer à son jardin et aux échecs ? Quoi qu’il en soit, pour éviter à son neveu de connaître à son tour les tourments de la recherche en mathématiques, il lui impose de renoncer à cette carrière s’il ne parvient pas à démontrer avant la fin de l’été que « Tout nombre pair supérieur à 2 est la somme de deux nombres premiers »… Mais le neveu persiste, pose des questions, et cherche obstinément la vérité. Un roman au style fluide et souriant qui fait entrer dans le monde des mathématiciens et de leurs passions très humaines.

    Requiem pour une puce

    Gérard Ramstein (Seuil 2001)

    Un « roman policier » se déroulant à Cambridge en 1929 et où se télescopent (au mépris total de la chronologie) les fondateurs de l’informatique, prétexte pour présenter les concepts de base de la discipline. Savoureux, informatif et très agréable à lire : à recommander à tous ceux qui ne veulent pas en savoir plus sur les sciences du numérique (pour les aider à changer d’avis…).

    Qui a tué le professeur Stibitz ? Comment Alan Turing, étudiant aussi génial qu’original, va-t-il prêter main forte à l’inspecteur Langsdale pour comprendre les rapports entre la pascaline et le langage binaire ?

    Un livre pour tous, à lire sans modération.

     

    Poulet farci

    Rupert Morgan (Éditions 10-18 2002)

    L’histoire se passe dans un pays qui ressemble fort aux États-Unis. Un petit reporter spécialisé dans le bizarre et le scandaleux se voit proposer d’écrire une biographie sur un grand magnat de l’informatique.

    Au fur et à mesure se développent plusieurs histoires, qui constituent une satire sociale (sont évoqués la révolution informatique, la course au profit au mépris de l’individu, le cynisme des dirigeants, la fatuité des politiques, les soucis quotidiens du « petit peuple »…) : loufoque et délirant. Mais aussi de quoi nourrir notre réflexion sur les enjeux des sciences et technologies de l’information et de la communication pour notre société.

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