Pour la plage, la montagne, la campagne… voire le bureau ou le labo !
Klara et le Soleil
Kazuo Ishiguro (Gallimard, Collection Du monde entier, août 2021)
Un coup de cœur !
L’héroïne et narratrice, Klara, est une AA, une Amie Artificielle, un robot humanoïde de compagnie. Dans le futur proche où se déroule ce roman, un enfant peut avoir un ou une AA personnelle, qui l’accompagne et veille sur lui. Klara est une AA très douée pour l’observation et la compréhension des émotions des humains qui l’entourent. Il lui arrive même d’éprouver des émotions comme la peur ou l’excitation. La jeune adolescente à qui elle tient compagnie est malade et Klara, à sa façon, mettra tout en œuvre pour la sauver.
On s’attache à ce personnage si empreint d’humanité. L’auteur, Kazuo Ishiguro, a cependant le talent de nous emmener dans la vallée de l’étrange bien connue en robotique, le moment où l’on croit avoir affaire à un humain et où on est dérouté par une réaction non humaine. Par exemple — et sans rien dévoiler d’essentiel —, Klara met sur le même plan, celui de la propriété personnelle, un AA ou un adulte accompagnant un enfant. Toutefois, cette étrangeté n’est ni perturbante ni désagréable, plutôt une sensation délicieuse comme celle d’un bonbon acidulé qui malgré sa douceur agace nos dents. Ce roman nous emmène aussi vers d’autres questions sur notre humanité, sa spécificité et ses limites.
Futurs lecteurs,
J’envie votre chance
De découvrir ce roman.
Pour en savoir plus sur les relations entre les robots et les humains dans notre monde actuel, et sur la vallée de l’étrange, voir Des robots et des humains.
Ce livre n’est pas un ouvrage pour cinéphiles écrit par un critique de cinéma : vous ne trouverez pas de commentaires sur la lumière, les décors, la musique ou le jeu des acteurs. En revanche les scénarios sont passés au crible de la vérité historique. Ce livre n’est pas un manuel de mathématiques : aucune prétention à la progressivité ni à l’exhaustivité des domaines couverts. Les questions évoquées sont parfois accessibles à des collégiennes ou collégiens, et parfois en lien avec la recherche actuelle. Les solutions sont parfois totalement développées et parfois seulement évoquées.
« Les maths font leur cinéma » est un livre personnel, avec un choix de films guidé par un unique fil rouge : la présence, plus ou moins centrale, de questions mathématiques spécifiques. Pour chaque film choisi, l’auteur fait un arrêt sur image sur une ou plusieurs scènes dans lesquelles apparaît un problème mathématique, comme par exemple celles où l’on peut lire sur un tableau les deux défis du professeur Lambeau, brillamment résolus — ou non, c’est ce que vous découvrirez en lisant ce livre — par le jeune prodige Will Hunting.
Pour chacune de ces questions mathématiques, Jérôme Cottanceau la replace si besoin dans son contexte historique puis, selon sa difficulté, il nous guide pas à pas jusqu’à sa résolution complète ou bien il nous fait toucher du doigt sa difficulté. Cela explique que les mathématiques abordées soient aussi diverses que la présentation des nombres \(\pi\), ou \(\varphi\) le nombre d’or, ou bien que le problème (ouvert) de l’existence de solutions à l’équation de Navier-Stokes, en passant par la théorie des graphes, la théorie des jeux ou la machine de Turing. La seule ligne directrice de Jérôme Cottanceau, vulgarisateur hors pair en mathématiques, est de nous emmener, comme il sait si bien le faire, à découvrir le plaisir des mathématiques. Si, comme moi, vous vous plongez avec papier, crayon et délices dans une énigme mathématique ou si vous vous offrez une soirée « ciné-club » pour (re)découvrir l’un des films mentionnés ici, alors le pari de l’auteur de ce livre inclassable sera réussi.
Derrière Jérôme Cottanceau se cache El Ji, une chaîne de vulgarisation en mathématique que nous vous conseillons avec plaisir.
Dans ce livre, l’auteur nous invite à une promenade dans ce qu’il appelle les six âges de l’incertitude. Ceux-ci correspondent plus ou moins à une chronologie mais s’entremêlent encore de nos jours. Une première explication des phénomènes étranges a été de croire en des puissances surnaturelles, à des prophéties, à des dieux, etc. Puis la science a progressé et les lois de la physique ont pu expliquer beaucoup de choses, en astronomie par exemple.
Mais les jeux de hasard résistaient, alors les mathématiciens ont inventé la théorie des probabilités. Un grand pas a été franchi avec la notion de probabilité conditionnelle et avec la fameuse formule de Bayes, utilisée aujourd’hui dans les réseaux bayésiens par exemple. L’invention des statistiques, fondées sur les probabilités, a ouvert la voie de l’analyse des données, provenant d’activités humaines. Ainsi, la démographie, la médecine, la justice, l’économie, etc., sont passées à la loupe des statistiques, avec un afflux de données numériques à l’ère du big data. Ce n’est pas sans risques, car un manque de maîtrise des probabilités et statistiques peut conduire à une mauvaise interprétation des données, avec parfois des conséquences graves. L’auteur nous livre ainsi quelques pièges à éviter.
Le quatrième âge de l’incertitude marque une rupture. Jusqu’à présent, tout phénomène était perçu comme déterministe. Ainsi, on peut en théorie suivre la trajectoire d’un dé et prévoir le résultat du lancer, à condition de connaître toutes les variables du mouvement. Bien sûr, dans les faits, la trajectoire du dé est compliquée, son arrivée sur le tapis de jeu aussi, donc un modèle probabiliste est tout à fait adapté pour calculer les chances de tomber sur un numéro donné, ou sur une série de numéros lors de plusieurs lancers. Mais les photons de lumière se comportaient parfois comme des particules et parfois comme une onde. Alors est née la théorie quantique, et le principe d’incertitude d’Heisenberg. Il n’était pas possible de déterminer simultanément la position et la vitesse d’une particule. Pour la première fois, des lois physiques étaient probabilistes. La célèbre phrase d’Einstein « les dieux ne jouent pas aux dés » fait part de sa réticence à admettre le caractère aléatoire des particules. Quant aux phénomènes déterministes, ils n’étaient pas si simples que cela.
Les météorologues savent bien que les conditions météo actuelles influencent grandement la météo future : c’est le fameux effet papillon. Si l’on change d’échelle, en temps et en espace, il reste toutefois possible de prévoir le climat à long terme pour une région assez grande. Les mathématiciens ont approfondi cette sensibilité aux conditions initiales et aux paramètres en créant la théorie du chaos. Ce cinquième âge de l’incertitude contredirait-il le quatrième ? Et si la physique quantique n’était pas si profondément aléatoire que ça ? Si, au contraire, elle était déterministe et pouvait s’expliquer avec des variables cachées et un système dynamique déterministe ?
Le sixième âge de l’incertitude a hérité de toutes ces théories et est entré dans l’ère du numérique. Il est possible de générer par ordinateur des nombres pseudo-aléatoires, qui ressemblent à s’y méprendre à des nombres tirés au hasard. Ainsi, l’algorithme de Monte-Carlo permet de calculer un volume ou le nombre Pi grâce à des tirages aléatoires. Des algorithmes probabilistes peuvent aider à résoudre des problèmes difficiles. Les modèles de météo introduisent une part d’incertitude dans leurs prévisions. Peu à peu, on apprend à se servir des incertitudes et à rester prudent, notamment dans le domaine de la finance. Bien sûr, on peut toujours croire au complot et imaginer que le tirage du loto est truqué…
Comédies Françaises
Éric Reinhardt (Éditions Gallimard, août 2020)
C’est un roman qui parle de communications. Le héros de ce roman, Dimitri Marguerite, enquête sur la fin abrupte en 1973 des recherches françaises sur le protocole de télécommunications désormais utilisé pour Internet, au profit d’une industrie de commutateurs téléphoniques conçus à partir d’un protocole différent. Ces commutateurs reposent sur l’établissement d’une ligne (virtuelle) entre les deux interlocuteurs, qui sera réservée à la communication, à l’exclusion de toute autre et à la merci d’une interruption. Ce protocole est celui qui sera utilisé par le Minitel.
Le projet auquel s’intéresse Dimitri Marguerite est le projet Cyclades, mené par Louis Pouzin à l’IRIA (ancêtre d’Inria) : il s’agit d’envoyer le message, les données à communiquer, en les découpant en petits tronçons appelés paquets et en laissant chaque paquet voyager indépendamment sur le réseau. À réception, il faut alors recenser et remettre les paquets dans l’ordre, qui n’est pas nécessairement celui d’arrivée. Ce protocole est complètement développé dans TCP/IP qui est utilisé par Internet. Selon le roman, qui attribue ces paroles à Louis Pouzin, si on compare TCP/IP à ce qui avait été imaginé dans le projet Cyclades, « en réalité, c’est exactement la même chose mais en moins bien ».
Avec la fin du projet Cyclades, on assiste aussi à la mort dans l’œuf du projet de constructeur informatique européen, le consortium constitué de la CII, Siemens et Thomson. La thèse du roman est que tout ceci est le résultat de manœuvres dans l’ombre d’un grand industriel français, soucieux de protéger son monopole florissant sur les commutateurs téléphoniques. Dimitri Marguerite, reporter à l’Agence France Presse (AFP) au moment où se situe le roman, s’est donné pour mission de faire la lumière sur cette histoire, à défaut de pouvoir réhabiliter l’avance française dans ce domaine. Dans le roman, le héros va s’entretenir avec Louis Pouzin qui lui explique les grandes lignes de ce protocole et le contexte scientifique de l’époque, et avec Maurice Allègre qui a tenté de protéger ce projet et de déjouer les manigances politiques.
N’étant pas historienne des sciences, je ne suis pas en mesure d’attester la véracité du récit. Mais je me suis bien volontiers laissée emporter par cette description des débuts de l’informatique en France. Je me suis aussi laissée subjuguer par le style, luxuriant, par les digressions, qui forment de petits romans dans le roman, et par les aventures intérieures du héros.
Le titre du roman, « Comédies françaises » au pluriel, fait référence aux histoires du héros et des débuts de l’informatique française, peut-être aussi à ces nouvelles enchâssées dans le récit principal. La comédie, mal inspirée, qui a consisté à mettre des bâtons dans les roues de l’informatique française jusqu’à la faire chuter irrémédiablement, se surimpose à la comédie qu’est la vie du héros, Dimitri Marguerite. Elle ne prend son ampleur que dans la seconde moitié du roman. La première partie campe le personnage, auquel on ne peut s’empêcher de trouver de plus en plus de traits de caractère communs avec le grand industriel qu’il pourfend…
Un roman épais et touffu, un style comme une jungle enchevêtrée, un héros très moderne, une histoire de la recherche française pas si ancienne, le tout forme un cocktail très appréciable. « Comédies françaises », paru en août 2020, a reçu le prix du roman français des Inrockuptibles.
Pour en savoir plus :
Tout d’abord, un éclairage en deux épisodes assez détaillé et un peu différent par l’historienne Valérie Schafer, à lire sur Interstices : D’une informatique centralisée aux réseaux généraux : le tournant des années 1970 puis L’Europe des réseaux dans les années 1970, entre coopérations et rivalités
Et aussi :
- Un entretien avec Louis Pouzin : Louis Pouzin, la tête dans les réseaux
- La célébration des 50 ans d’Arpanet : Au cœur de la première connexion française à l’ARPAnet
- Un survol historique : Une brève histoire des réseaux de télécommunications
- Une courte définition de ce qu’est Internet, à la lettre I : L’informatique de A à Z
- Une présentation de Vinton Cerf, l’un des inventeurs de TCP/IP, dans le jeu des 7 familles de l’informatique : Famille « Systèmes & réseaux »
La clé USB
Jean-Philippe Toussaint (Éditions de Minuit, sept. 2019)
L’informatique est la toile de fond du roman de Jean-Philippe Toussaint, « La clé USB ». Le héros, Jean Detrez, travaille pour la Commission européenne et s’intéresse notamment aux utilisations de la blockchain, autres que le bitcoin, et à son développement dans le cadre européen. Il est approché par des lobbyistes qui aimeraient favoriser une implantation de mines (c’est-à-dire de centres effectuant les lourds calculs nécessaires pour valider les transactions enregistrées dans la blockchain) chez leurs clients en Europe de l’Est et l’achat de matériel informatique auprès de leur partenaire chinois. Lors d’une rencontre, ces lobbyistes oublient – fortuitement ou opportunément ? – une clé USB, celle qui donne son titre au roman. Notre héros la récupère et l’examine.
Il découvre alors que le matériel proposé par les lobbyistes est à dessein équipé d’une porte dérobée (ou backdoor en anglais), qui permettrait alors à son vendeur indélicat d’en prendre le contrôle à distance et d’en récupérer discrètement les informations, telles qu’un résultat de minage pour le monétiser à son profit. Intrigué, il décide d’enquêter, seul et sans en référer à quiconque, et part en Chine rendre visite au vendeur de matériel et à l’une de ses mines.
Même si le passage où, suite à un rapide examen du code, Jean Detrez qui n’est pourtant pas un expert en informatique détecte la présence d’une backdoor paraît peu réaliste, on pardonnera cette invraisemblance puisque le reste du roman entre peu dans les détails techniques mais suffisamment pour être plausible. J’ai en effet apprécié de trouver une évocation de la blockchain et de quelques-uns de ses enjeux, par exemple la maîtrise par l’Europe de sa propre technologie blockchain, puisque « à terme, c’est la gestion de nos ressources, de notre santé, de notre sécurité qui pourrait être administrée par la technologie blockchain. » D’autres applications possibles sont mentionnées avec plus ou moins de détails : après l’exemple de la société Everledger, sont cités pêle-mêle les brevets, les contrats intelligents ou le vote électronique. Ce roman n’est naturellement pas une introduction à la blockchain, cependant l’auteur s’est suffisamment renseigné pour émailler le texte de considérations pertinentes sur le sujet. En revanche j’ai été moins touchée par les tribulations du personnage principal, qui a du mal à exprimer et à manifester ses émotions, à tel point que le nouveau roman dont il est le héros, paru en septembre 2020 (et sans aucun lien avec l’informatique) s’appelle d’ailleurs « Les Émotions »… mais c’est une autre histoire.
Pour le plaisir des mots, je vous laisse avec la définition que donne Jean-Philippe Toussaint d’une backdoor : « je réfléchissais au sens du mot « backdoor », qui voulait dire littéralement « porte de derrière », mais qu’on traduisait parfois en français (quand on n’utilisait pas tout simplement, en français, le mot backdoor) par « porte dérobée ». J’aimais beaucoup cette métaphore d’une porte dérobée, qui évoquait une scène galante, avec un visiteur invisible qui vient d’entrer ou de sortir, ou faisait penser à ces escaliers ou corridors dérobés, qui ouvrent l’imaginaire à des représentations chevaleresques. Mais, alors que l’expression « porte dérobée » pouvait avoir des connotations poétiques et gracieuses, la réalité qu’elle recouvrait aujourd’hui, en sécurité informatique, était beaucoup plus vénéneuse, qui définissait la backdoor comme un moyen d’accès non autorisé, dissimulé dans un programme, pour permettre à un ou plusieurs individus malfaisants de prendre totalement ou partiellement le contrôle d’une machine à l’insu de son utilisateur légitime. »
Pour en savoir plus sur la blockchain, je vous renvoie à la page de décembre 2020 du calendrier mathématique que nous vous avons présenté ici et au podcast d’Emmanuelle Anceaume. Pour connaître le lien entre la blockchain et la monnaie bitcoin, je vous renvoie à cet article de Rémi Chrétien et Stéphanie Delaune et à cette discussion plus récente de Jean-Paul Delahaye.
Comme un empire dans un empire
Alice Zeniter (Éditions Flammarion, août 2020)
Dans le roman d’Alice Zeniter « Comme un empire dans un empire », l’informatique ne joue pas un rôle à part entière, mais l’un des deux personnages principaux est un hacker, ou plus précisément une hackeuse. Elle se fait appeler L. L’autre personnage principal s’appelle Antoine et est assistant parlementaire. Un jour, Antoine et L vont se rencontrer, mais le roman commence par tresser leurs deux histoires, leurs deux envies d’agir pour aller vers un monde meilleur, les deux voies qu’ils ont choisies à la mesure de leurs moyens et de leurs compétences.
Le personnage de L est celui qui a le plus retenu mon attention : comme moi elle est informaticienne… mais la ressemblance s’arrête là ! L est surtout hackeuse, avec tous les stéréotypes attachés à ces derniers : outre son jargon impénétrable justement traduit par Alice Zeniter, ses centres d’intérêt très spécifiques comme la classification des trolls, sa formation acquise sur le tas, L est « inadaptée » à la vie normale et à la vie en société : « Ils mangeaient comme ils dormaient, de manière subite et excessive quand ils n’arrivaient plus à ignorer l’un ou l’autre besoin… »
Même si L n’est pas une hackeuse classique, il fallait bien conserver certains attributs des hackers pour qu’elle soit crédible. L ne correspond pas totalement à l’image que l’on peut se faire du hacker : tout d’abord, c’est une femme ; et surtout, elle a pour objectif de faire le bien, dans la lignée des Jeremy Hammond ou, pour citer des noms plus connus, Julian Assange ou Edward Snowden. À une moindre échelle, L travaille à libérer les femmes de son entourage de la cybersurveillance qu’exercent sur elles, le plus souvent, des hommes jaloux, violents et à la volonté de contrôle exacerbée.
Oui, L est une hackeuse attachante, avec ses failles et ses faiblesses, ses côtés parfois incompréhensibles, mais elle est tellement fragile, tellement humaine, qu’on se laisse embarquer par son histoire.
Certes, on ne deviendra pas hacker à la lecture de ce roman, et sans doute que des pans entiers du monde « du dedans » comme l’appelle L nous resteront hermétiques, mais on regardera d’un œil différent ces hackers et leurs actions.
1984
George Orwell, nouvelle traduction de l’anglais par Josée Kamoun (Collection Du monde entier, Éditions Gallimard, mai 2018)
Les grandes vacances approchent, et avec elles, la perspective de s’abandonner à quelques moments d’oisiveté. Se pose alors la question du livre à mettre dans sa besace pour s’allonger sous un coin d’ombre et enfin déconnecter. Apprendre à ralentir, prendre le temps en somme ! Nous vous invitons ici à consacrer un peu de votre temps à un roman d’anticipation un peu ancien, qui s’offre une nouvelle traduction, près de 70 ans après sa première publication : 1984.
Le roman de George Orwell ayant été publié en 1949, sa première version française a été disponible dès 1950. Ce livre dresse le portrait d’une société totalitaire dans laquelle le travail n’a plus de sens et dans laquelle la liberté a quasiment disparu. Vu depuis le milieu du XXe siècle et au sortir de la seconde guerre mondiale, le texte d’Orwell a longtemps été considéré comme un pamphlet politique. C’est à lui qu’on doit notamment des expressions désormais consacrées comme « Big Brother is watching you » ou encore le terme de « novlangue ».
La nouvelle traductrice de l’ouvrage, Josée Kamoun, en propose une adaptation inédite et donc un nouveau point de vue. Cette version est évidemment d’autant plus facile d’accès pour nous lecteurs contemporains. Comme dans toute traduction, des choix ont été faits suscitant bon nombre de commentaires. Si le personnage Big Brother ne change pas de nom, on y trouve le « néoparler » plutôt que la « novlangue ». Cette distinction terminologique est finalement d’une grande importance. Il s’agit ici de mettre en regard une langue technocratique, désincarnée et vide de sens avec la langue littéraire qui redonne corps dans la seconde partie du roman au réel. Les aspects charnels, tant dans la relation amoureuse que dans les scènes de torture, contrastent d’autant plus fortement avec la société de la surveillance généralisée, dénoncée dans le roman.
Dans son livre, George Orwell posait la question de la langue qui est à la fois le meilleur moyen de se libérer quand elle permet de décrire précisément et avec sens le monde, mais également l’arme de l’oppression quand elle réduit le champ de la pensée et d’être des individus.
Dans une société d’ultraconnexion et d’ultracommunication, (re)lire 1984 permet de s’interroger sur le sens que l’on accorde aux mots et donc à la langue. Cela nous interpelle également sur le type de relations que nous souhaitons entretenir avec autrui, et au travers de quels outils. Les sciences du numérique se retrouvent face aux mêmes questions, presque 70 ans plus tard.
Et quand c’est fait de manière magistrale, glaçante et visionnaire, il serait dommage de passer à côté !
Le bot qui murmurait à l’oreille de la vieille dame et autres nouvelles numériques
Serge Abiteboul (Éditions Le Pommier 2018)
Dans ce petit livre, au titre enchanteur, Serge Abiteboul alterne des chroniques sur des sujets actuels en lien avec le monde numérique (dont certaines sont déjà parues dans Le Monde économique ou La Recherche par exemple) et des nouvelles qui introduisent le sujet de manière vivante, en recréant des situations que l’auteur imagine pouvoir se produire dans un futur plus ou moins proche.
Par exemple, une greffe de cerveau pour traiter un malade atteint d’Alzheimer lui permet d’introduire la différence entre l’intelligence artificielle et l’intelligence naturelle. Une course poursuite entre des braqueurs et des flics, robots ou humains, à vous de lire, dans des voitures suréquipées illustre le chapitre sur les véhicules autonomes. Une journée à occuper lorsque le travail ne sera plus qu’une affaire de robots soulève l’épineuse question de la fin du travail…
Les chroniques sont écrites de manière claire, sans jargon, et ne nécessitent aucune connaissance technique. Les nouvelles, rédigées sous la forme de dialogues pour la plupart, sont émaillées d’expressions populaires, de références à des livres et à des chansons célèbres. Ces chroniques et nouvelles de deux, trois pages maximum se lisent rapidement et peuvent ainsi être picorées, mais de préférence deux par deux !
Ce livre insolite nous projette dans un futur où le numérique sera(it) omniprésent pour ne pas dire envahissant. Il mêle la science et la fiction d’un expert reconnu sur les sujets traités. Facile à lire et intéressant pour un large public, il remplit sa mission de donner à réfléchir sur les enjeux du numérique dans notre vie.
Marie-Odile Cordier
Homo Deus
Yuval Noah Harari (Traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat, Éditeur Albin Michel, 2017)
Dans son livre Homo Deus, Yuval Noah Harari nous propose une réflexion sur l’avenir de l’humanité, basée sur le présent mais aussi notre histoire. Selon lui, les priorités que l’humanité est parvenue à gérer jusqu’à présent, guerres, famines et maladies, ne sont plus d’actualité. Les guerres civiles, à défaut de disparaître complètement, sont moins nombreuses, les causes de mortalité sont plus souvent liées à l’excès de sucre dans les pays industrialisés qu’à des problèmes de malnutrition, les décès sont plus fréquemment dus à la vieillesse qu’aux maladies infectieuses.
Le reste du livre se focalise ensuite sur une question : quelles sont les nouvelles priorités de l’humanité ? Et cette interrogation en soulève naturellement d’autres… Que doivent apprendre nos enfants à l’école aujourd’hui pour mieux se préparer ? Quel sera le marché de l’emploi de demain ? Comment s’adapter ? Harari lance ainsi un vaste débat sur ces thèmes en exposant divers éléments de l’histoire et des anecdotes intéressantes mais sans vraiment y répondre. Il démontre qu’au cours du temps, notre capacité à résoudre des problèmes cognitifs a toujours été guidée par notre aptitude à ressentir des émotions (souffrir, aimer, s’énerver, etc.). Autrement dit, l’intelligence appartient seulement aux êtres conscients.
Pourquoi parler de ce livre ? Où sont les sciences du numérique dans tout ça ? La capacité des machines à résoudre des problèmes cognitifs est a priori dénuée de toute empathie humaine. L’intelligence artificielle n’a pas besoin de conscience. Mais quelles seraient les conséquences pour l’humanité si un jour des algorithmes informatiques avaient le pouvoir de prendre des décisions importantes, voire fondamentales, sans que ces prises de décision ne soient accompagnées d’une conscience ? Ne vous trompez pas, il ne s’agit pas d’un livre de science-fiction mais d’une invitation provocatrice à réfléchir sur un futur possible de la technologie. En bref, un livre à lire sans modération.
Un logique nommé Joe
Murray Leinster, 1946 (Édition française, le passager clandestin, 2016)
Dans un futur non précisé, on utilise des appareils appelés « logiques », dotés d’un écran et d’un clavier connectés à des « réservoirs » eux-mêmes connectés entre eux pour regarder la télévision, lire les nouvelles, consulter la météo, etc. C’est somme toute assez banal aujourd’hui. Mais le livre dont nous parlons a été écrit bien avant que les termes « intelligence artificielle » et « algorithme » n’entrent dans le discours politique avec Uber et Google. Avant le Web, avant Internet, avant les grandes promesses de l’IA naissante, avant le test de Turing, avant les ordinateurs de Von Neumann et autres… Cela précède de peu les premières œuvres d’Asimov (ex. Les Robots, 1950) et c’est contemporain du Memex (1945) de Vannevar Bush.
Ce petit livre de 40 pages décrit une utopie devenue notre quotidien, et explore la faille à laquelle on pense tous : la prise d’autonomie d’un algorithme déviant. Un jour, un « logique » souffrant d’un défaut de fabrication qui lui fait perdre les inhibitions prévues par le concepteur se met à répondre froidement à des demandes comme « Comment devenir riche ? », « Comment se débarrasser de son conjoint ? »… C’est simple et direct comme du Asimov, en légèrement plus incarné. En ces temps où l’on entend également beaucoup parler d’égalité femmes-hommes, on remarquera aussi que là où Asimov nous montre des rôles de chercheuses, de professeures, et d’ingénieures, Leinster ne nous présente que des rôles d’épouses et de maîtresses.
Millenium 4 – Ce qui ne me tue pas
David Lagercrantz (Éditions Actes Sud 2015)
Ce roman policier suédois de David Lagercrantz, fait suite à la série des trois premiers tomes de Millenium, écrite par Stieg Larsson, décédé en 2004. L’auteur ne s’en cache pas puisque l’on trouve en exergue « D’après les personnages créés par Stieg Larsson (1954-2004) ». On retrouve donc dans ce thriller les personnages qui ont fait le succès de la trilogie, en particulier Mikael Blomkvist, journaliste d’investigation, et Lisbeth Salander en hackeuse géniale et hors norme. Le lecteur est très vite suspendu à l’histoire – malgré un début qui m’a semblé un peu lourd, peut-être l’écriture ? – et lâche ensuite difficilement l’intrigue passionnante et bien menée.
Mais pourquoi parler de ce livre dans Interstices ? La quatrième de couverture parle d’intelligence artificielle, est-ce suffisant ? Certes, l’élément déclencheur de ce roman est le décès d’un chercheur, hors norme lui aussi, qui a dédié sa vie à l’intelligence artificielle et à la réalisation d’une intelligence supérieure. Il y est présenté comme « spécialiste mondial du concept hypothétique de la singularité technologique, état où l’intelligence des ordinateurs surpassera la nôtre ». Mais cette accroche médiatique est peu développée, et il ne faut pas s’attendre à des informations un tant soit peu approfondies sur ce thème. Il y est aussi beaucoup question de protection des données, d’intrusions par des puissances à visée néfaste, de hackers et hackeuses capables de déjouer les mécanismes de sécurité les plus sophistiqués. Cependant, le lecteur n’apprendra pas grand-chose non plus sur ces sujets, à moins qu’il n’ignore les risques potentiels si des données tombent dans les mains des mafias les plus diverses, ou dans celles des organismes nationaux de surveillance de type NSA. Le livre aborde également les notions de crypto, d’algorithme de chiffrement de type RSA, et de factorisation des nombres premiers, et c’est peut-être là l’aspect technique informatique le plus développé, mais cela reste bien superficiel et au service avant tout de l’intrigue… Complété par un zeste de syndrome d’Asperger, d’enfant surdoué, de relations familiales tordues, tous les ingrédients sont bel et bien là pour nous accrocher et nous tenir en haleine. Oublions donc l’aspect sciences du numérique, et dégustons sans modération ce nouvel épisode de la saga !
Le dernier fado de l’androïde
Hugues Bersini (Éditions Le Pommier 2013)
Ce petit livre regroupe six nouvelles à la fois amusantes et inquiétantes sur ce que pourrait être notre futur proche. Nos vies pourraient être envahies par l’informatique pour le meilleur… et pour le pire, grâce aux avancées technologiques et scientifiques. Celles-ci permettraient de construire des robots compagnons de plus en plus intelligents, et des réseaux neuronaux capables de percer les mystères de la musique, voire du sentiment amoureux.
La première nouvelle (à l’origine du titre du livre) use d’un ton assez différent, un peu plus noir, que les autres qui sont plus légères. Émaillée d’extraits de textes du poète Fernando Pessoa sur la vie, la conscience et la mort, elle aborde des questions philosophiques, sur fond de robotique.
Au travers de ces nouvelles à suspense, Hugues Bersini aborde avec brio plusieurs questions d’actualité qui font débat dans nos sociétés modernes. Et il réussit la prouesse d’expliquer au travers de ces histoires très humaines les dessous « algorithmiques » des avancées les plus récentes en apprentissage automatique et en robotique, en soulignant de façon amusante leurs dérives potentielles.
La déesse des petites victoires
Yannick Grannec (Éditions Anne Carrière 2012)
Dans ce roman, deux récits s’articulent de manière astucieuse. L’un, chapitres impairs, se déroule à Princeton, dans les années quatre-vingts, et dépeint la rencontre et l’apprivoisement de deux femmes : Anna, jeune documentaliste, chargée de récupérer le Nachlass du brillant scientifique Kurt Gödel auprès de sa veuve, Adèle Gödel. Celle-ci, en fin de vie dans une maison de retraite, est de caractère difficile, mais cherche une oreille à l’écoute de l’histoire de sa vie. Le second récit, chapitres pairs, raconte l’histoire sur 50 ans de ce compagnonnage d’Adèle et de Kurt.
Tranche de vie de ce mathématicien de légende, marquée par des fulgurances scientifiques, mais aussi par cette folie omniprésente qui, sous le couvert d’une maniaquerie extrême et d’une dépression chronique, l’envahit complètement et rythme le quotidien de son couple. Histoire d’un couple aussi, aux prises avec la famille, le milieu social, la politique, la maladie, la folie… Adèle y est « la déesse des petites victoires » de la vie au quotidien, amoureuse et accompagnant au jour le jour son mari, savant génial mais fou, dont la tête est tellement prise par ses idées et ses obsessions qu’il en devient invivable.
Grande fresque du XXe siècle, si l’on s’en réfère à la quatrième de couverture, avec les tribulations de ce couple au fil des ans, qui sont autant de titres de chapitres : 1928, date de leur rencontre dans un bar de nuit, dans une Vienne rayonnant de ses intellectuels et de ses artistes ; 1930 avec la montée du nazisme, qui provoque la fuite progressive de cette élite et les laisse seuls, aux prises avec l’antisémitisme et le fascisme, jusqu’à ce qu’en 1940, les Gödel décident de s’enfuir eux aussi vers Princeton, temple de l’élite scientifique dans les années de guerre et d’après-guerre. Là, se côtoient Gödel et Einstein, dont les promenades à pied journalières sont connues, mais aussi Morgenstern, Von Neumann, Pauli, Oppenheimer… Puis les années cinquante aux États-Unis, celles du maccarthysme et d’Edgar Hoover, la guerre froide, la surenchère nucléaire, mais aussi les débuts du jazz… Après la mort d’Einstein en 1955, l’enfermement de Gödel dans sa folie au quotidien s’accentue, jusqu’en 1978, où il meurt dans un état de délabrement physique et psychique avancé.
Grande histoire des sciences, où s’imbriquent mathématiques, physique et informatique ; où les idées et les découvertes foisonnent dans ce lieu mythique qu’est Princeton. À noter, les contributions les plus marquantes de Gödel, telles que le théorème d’incomplétude, datent de ses débuts à Vienne alors qu’il était jeune universitaire, et qu’il venait de rencontrer Adèle. On suit l’évolution de ses recherches et on se régale des détails sur leur mode de vie à Princeton, avec de grands moments scientifiques certes, mais aussi les petites histoires du quotidien. Et cela fait écho au passage dans les mêmes lieux du mathématicien Cédric Villani, qu’il évoque dans son livre Théorème vivant.
Tout cela est séduisant et on reste pendu à ce livre, même si la fin est moins vive que le début, et qu’elle est alourdie par quelques longueurs, telles que l’aventure d’Anna et d’un médaillé Fields, ou la digression sur la cryptanalyse, directement sortie du livre de Simon Singh sur les codes secrets (cité par l’auteur…). Occasions de vulgarisation scientifique, qui passent très bien lorsqu’elles sont motivées par le sujet du livre, Gödel et les siens, mais qui, lorsqu’elles sont gratuites, se révèlent un procédé littéraire.
Mais j’ai aimé ce livre, cet entrelacement des trajectoires, ces anecdotes de vie au cœur de la grande Histoire, cette vision rapprochée au quotidien des grands hommes de science (peu de femmes dans ce livre centré sur les années trente à soixante…) de cette époque passionnante. Sa lecture, après celle du livre de Cédric Villani, est un clin d’œil entre ces deux périodes à Princeton, et c’est un plus, je conseille la lecture des deux !
PS : Ne me demandez pas pourquoi un flamant rose flanqué de deux accolades sur la couverture, il y a bien un flamant rose dans le livre, mais les accolades, je ne vois pas, et suis curieuse de le savoir…
Flatland
Edwin A. Abbott (1884)
Version anglaise : Dover Publications, 1992
Version française en téléchargement gratuit.
La société de Flatland est extrêmement stratifiée. Contraints de se déplacer dans le plan qu’est leur monde, les individus y sont considérés en fonction du nombre de côtés que leur figure comporte. À un extrême se trouvent ainsi les cercles, dont le nombre de côtés est infini, à l’autre… les femmes, réduites à de simples segments de droite, et de ce fait particulièrement dangereuses lors de leurs déplacements. Le ton est donné. Dans cette société rigide et répressive, évolue Carré, le narrateur. Féru de géométrie, il explore par la pensée un monde unidimensionnel, Lineland, puis sans dimension, Pointland, avant de se voir révéler l’existence d’une dimension supplémentaire par l’incursion d’une sphère dans sa maison pentagonale. Mais malheur à ceux qui voient plus loin que leurs semblables…
Un texte délectable, écrit en 1884, source d’interprétations multiples, qui conduira peut-être ses lecteurs, selon les termes mêmes de la préface, à élever « leurs aspirations vers les secrets de la quatrième, de la cinquième ou même de la sixième dimensions, contribuant ainsi au développement de l’imagination […] ». Tâche ardue à laquelle vous pourrez immédiatement vous essayer à l’aide de l’ouvrage Visualiser la quatrième dimension de François Lo Jacomo (Éditions Vuibert).
L’assassin des échecs et autres fictions mathématiques
Benoît Rittaud (Le Pommier 2009)
Comme chacun sait, un orthocipède est un vélo à roues carrées… Un vélo que seuls les mathématiciens savent faire rouler sans heurts, à condition, il est vrai, de disposer d’une piste bien particulière ! Les algorithmiciens, eux, s’appuient sur des considérations de topologie élémentaire pour trouver un chemin qui mène de façon systématique hors d’un labyrinthe, aussi compliqué soit-il. Quant aux générateurs de nombres aléatoires, leurs défauts sont susceptibles de se révéler tardivement. Voici quelques-unes des considérations qui servent de prétextes à autant de petites histoires, prolongées par les explications techniques requises.
Et l’assassin des échecs dans tout cela ? Un jeu de mots sur la solution d’une enquête policière qui se poursuit par une présentation du théorème de Zermelo et von Neumann en théorie des jeux. Au total, douze histoires courtes pour accompagner le lecteur vers la découverte de quelques concepts de mathématiques et d’informatique, et le convaincre de leur omniprésence dans la vie quotidienne.
De l’origine des mathématiques
Clémence Gandillot (Éditions MeMo 2008)
Ce petit ouvrage, loin des normes de la bande dessinée classique associe des dessins et des phrases très simples en apparence, pour nous offrir une origine métaphorique, vraiment originale et délicieusement délirante, de quelques pépites mathématiques enseignées à l’école ou au collège. La définition mathématique y devient poésie, jeu de mot ou trait d’humour.
Mieux encore ! La métaphore proposée est immédiatement contestable. Ainsi, un jeune spectateur de l’univers théâtral inspiré de cet ouvrage, ou d’un film d’animation qui en est issu, protestera contre le fait d’exprimer par une soustraction de la maman à elle-même l’arrivée du bébé. Mais si un enfant en arrive à cette complexe interrogation, c’est bien que le système a fonctionné, que les mots ont été trouvés pour le dire et que l’esprit critique est bien invité à se développer. La pensée, dans sa phase féconde de découverte, est désordonnée, la démarche que ce livre invite à partager en constitue par elle-même une preuve.
Pour en avoir un aperçu, nous vous proposons de télécharger l’avant-propos et l’un des chapitres en PDF.
Le problème de Turing
Harry Harrison et Marvin Minsky (Livre de Poche 1998, traduction de : The Turing Option (1992))
Ce livre est un technothriller exceptionnel à plusieurs titres. C’est d’abord un texte écrit à quatre mains par un écrivain renommé et le chercheur américain le plus connu dans le domaine de l’intelligence artificielle. C’est aussi un conte philosophique qui nous propose de réfléchir au fait que, si un médecin remplaçait l’un des neurones de notre cerveau par un circuit électronique totalement identique, nous resterions évidemment nous-mêmes, s’il continuait avec un deuxième neurone, sûrement aussi. Mais après le remplacement de 10, 1000, 100 000 neurones, serions-nous encore nous-mêmes ? Ou devenus une intelligence artificielle ? Les auteurs nous font découvrir leur solution de fiction. Ou plus précisément de science-fiction, telle que nous pouvions la concevoir il y a quinze ans.
Ce qui est troublant, c’est que la science-fiction d’il y a quinze ans rejoint la réalité d’aujourd’hui, avec des premiers travaux en neuroélectronique montrant une jonction possible entre les neurones du cerveau et des puces en silicium. Même si ces premières expériences sont très limitées et ne concernent que des animaux, elles ouvrent la boite de Pandore de l’Homme bionique et d’une intelligence artificielle incarnée.
Le théorème du perroquet
Denis Guedj (Seuil 2000)
Du même auteur, vous pouvez lire également Les Cheveux de Bérénice, Les mathématiques expliquées à mes filles, ainsi que Zéro (voir ci-dessous).Un vieux libraire aidé de deux adolescents, de leur mère, d’un voisin et d’un perroquet enquête sur les circonstances étranges de la mort d’un vieil ami en Amazonie. Cette enquête est alors l’occasion d’une plongée pleine d’humour et de rebondissements dans l’histoire des mathématiques. Ce livre se lit très agréablement et présente de manière simple et récréative le monde des mathématiques.
Les mathématiques expliquées à mes filles
Denis Guedj (Seuil 2008)
Une jeune fille, qui se déclare nulle en maths, dialogue avec son père. Les maths seraient nulles (eh oui, le zéro a un rôle fondamental en maths, voir le livre Zéro du même auteur), inutiles, voire violentes. Il est vrai qu’il faut apprendre le langage des maths, qu’il faut respecter une certaine rigueur, que la vérité mathématique est intraitable. Mais parfois, on peut voir une certaine beauté dans une démonstration. Un mathématicien est comme un chef cuisinier, il se sert des ingrédients et de son imagination pour concocter de petits plats. Alors, avant de détester les maths, il faut y goûter ! Le livre est ainsi prétexte à explorer l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie, l’analyse, la logique, autant de mots qui font rêver (ou cauchemarder !).
Zéro
Denis Guedj (Pocket 2007)
C’est cette épopée, qui s’étale sur plus de trois millénaires, que conte Denis Guedj en mettant en scène de façon récurrente une jeune femme, Aémer, dans plusieurs époques successives. Un roman historique donc, qui nous rappelle que faire simple et puissant peut demander beaucoup de temps.L’écriture positionnelle des nombres nous est tellement familière que nous en venons à oublier la puissance et la facilité de mise en œuvre qu’elle apporte aux calculs arithmétiques. S’il fallait encore se convaincre de ses qualités, il suffirait d’essayer d’additionner d’une part 365 et 651 et d’autre part CCCLXV et DCLI, leurs équivalents en chiffres romains… Il nous est aujourd’hui naturel d’interpréter 3805 comme 3 × 1000 8 × 100 0 × 10 5, mais le chemin a été très long pour parvenir à ce niveau d’abstraction dans l’écriture des nombres. Une rupture majeure a été l’invention du zéro pour marquer l’absence de milliers, de centaines, de dizaines ou d’unités, ou plus généralement, avec nos termes actuels, l’absence d’une puissance de 10 (puisque telle est la base habituelle), et de la prendre en compte dans les opérations.
Le dernier théorème de Fermat
Simon Singh (Hachette 1999)
Trois siècles et demi d’efforts donc, contés par Simon Singh en mêlant harmonieusement éléments mathématiques, magistralement rendus accessibles, biographies et anecdotes. On y rencontre nombre de mathématiciens et… une mathématicienne, Sophie Germain, contrainte de signer ses contributions « Monsieur Le Blanc » pour les faire accepter. Au-delà de sa lecture captivante, le livre de Simon Singh parvient à faire saisir l’extrême diversité des mathématiques et simultanément leur troublante unité.« L’équation xn + yn = zn n’admet pas de solutions entières non nulles pour n > 2 ». Tel est l’énoncé, particulièrement simple et accessible, d’une conjecture avancée par le français Pierre de Fermat vers 1640. Appelé « théorème de Fermat », parce que son auteur affirmait disposer d’une démonstration, qui selon lui ne tenait malheureusement pas dans la marge de l’ouvrage de Diophante qu’il était en train d’annoter, sa démonstration n’a finalement été obtenue qu’en 1995 par Andrew Wiles ; elle remplit une centaine de pages et fait appel à des mathématiques nouvelles.
Oncle Petros et la conjecture de Goldbach
Apostolos Doxiadis (Seuil 2004)
Petros Papachristos a-t-il vraiment abandonné la quête de sa vie, la démonstration de la conjecture de Goldbach, après sa rencontre fortuite avec un jeune étudiant de licence de Cambridge, Alan Turing, qui l’informe des travaux de Kurt Gödel sur l’incomplétude des mathématiques ? Ou bien n’a-t-il trouvé là que le bon prétexte pour arrêter ses recherches dévorantes et se consacrer à son jardin et aux échecs ? Quoi qu’il en soit, pour éviter à son neveu de connaître à son tour les tourments de la recherche en mathématiques, il lui impose de renoncer à cette carrière s’il ne parvient pas à démontrer avant la fin de l’été que « Tout nombre pair supérieur à 2 est la somme de deux nombres premiers »… Mais le neveu persiste, pose des questions, et cherche obstinément la vérité. Un roman au style fluide et souriant qui fait entrer dans le monde des mathématiciens et de leurs passions très humaines.
Requiem pour une puce
Gérard Ramstein (Seuil 2001)
Un « roman policier » se déroulant à Cambridge en 1929 et où se télescopent (au mépris total de la chronologie) les fondateurs de l’informatique, prétexte pour présenter les concepts de base de la discipline. Savoureux, informatif et très agréable à lire : à recommander à tous ceux qui ne veulent pas en savoir plus sur les sciences du numérique (pour les aider à changer d’avis…).
Qui a tué le professeur Stibitz ? Comment Alan Turing, étudiant aussi génial qu’original, va-t-il prêter main forte à l’inspecteur Langsdale pour comprendre les rapports entre la pascaline et le langage binaire ?
Un livre pour tous, à lire sans modération.
Poulet farci
Rupert Morgan (Éditions 10-18 2002)
L’histoire se passe dans un pays qui ressemble fort aux États-Unis. Un petit reporter spécialisé dans le bizarre et le scandaleux se voit proposer d’écrire une biographie sur un grand magnat de l’informatique.
Au fur et à mesure se développent plusieurs histoires, qui constituent une satire sociale (sont évoqués la révolution informatique, la course au profit au mépris de l’individu, le cynisme des dirigeants, la fatuité des politiques, les soucis quotidiens du « petit peuple »…) : loufoque et délirant. Mais aussi de quoi nourrir notre réflexion sur les enjeux des sciences et technologies de l’information et de la communication pour notre société.
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